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SOURCE : Blog du yeti
https://yetiblog.org/archives/21925
Ce quatrième et dernier volet sur l’indispensable ouvrage d’Emmanuel Todd se terminera par une grosse réserve concernant certaines affirmations contenues dans le dernier chapitre intitulé « conclusion ».
Todd a toujours été très fort dans ses analyses, véritables entreprises d’autopsie au scalpel de la société française. Il l’est hélas beaucoup moins dans les déductions politiques personnelles qu’il en tire (on ne manquera pas de se rappeler sur le sujet son impayable ode au « hollandisme révolutionnaire »).
La Lutte des classes en France au XXIe siècle souffre selon moi du même déficit anticipatif de la part de son auteur.
Un constat impeccable
Rien à redire au résumé de ses principaux constats sur la société française :
- un net vieillissement de la population – les plus de 65 ans sont passés de 8,2 millions en 1992 à 13,1 millions aujourd’hui – qui entrave tout véritable changement politique pays (à commencer par une indispensable sortie de l’euro) ;
- des classes sociales qui regardent vers le bas – avec la petite chaîne ordinaire du mépris du bourgeois pour le prolétaire, du prolétaire pour l’émigré… – au lieu de s’occuper des incroyables malversations commises par la mafia stato-financière des 1% du haut ;
- un État carrément coupé de la société civile et qui fait ses petites saloperies dans son coin (la réforme des retraites) sans ce préoccuper du reste ;
- une société civile encore chloroformée malgré le réveil sporadique d’une partie énervée d’entre elle (les Gilets jaunes), qui approuve le réveil des énervés, mais ne va pas jusqu’à les rejoindre (« toutes la France derrière les Gilets jaunes, mais pas tous les Français »).
Sans le désavouer totalement, on aura quelques réserves sur le pessimisme affiché par Todd sur une sortie de crise dans l’immédiat. « Les révolutions positives ne se produisent pas dans les phases de déclin économique de longue durée », écrit-il… en oubliant que la Révolution française s’est précisément produite après « un siècle d’intranquillité » économique, selon l’historien Jean Nicolas, qui se traduisit par 8 528 révoltes de communautés paysannes de plus en plus politisées.
Des conclusions navrantes… qui sont une raison de plus de lire le livre d’Emmanuel Todd
Mais là où l’on ne suivra plus Todd, c’est dans les quelques pistes de sorties de crise à terme qu’il ébauche et qui ressortent selon nous autant du réveil éveillé surréaliste que de la négation de toute réalité :
- « Le salut de la France passe par l’aide des Américains« : alors que le pays de l’oncle Sam est une puissance en pleine débandade sur à peu près tous les fronts : économique (la récession qui ne dit pas son nom), financier (la dette, la dédollarisation), social (des chiffres catastrophiques en matière de santé, d’appauvrissement, de précarisation), politique (cf. le chaos des primaires de l’Iowa), géopolitique (Le Grand jeu) !
- « Je crois fondamentalement à un marché régulé par un État raisonnable, à un capitalisme apprivoisé par la démocratie politique« : étonnante profession de foi religieuse par un analyste qui vient de brillamment démontrer « l’effondrement religieux et l’effondrement moral » du pays (p. 149)
- « Je pense en termes de réconciliation des élites et des masses, non de populisme » : réconciliation de Jérôme Rodigues avec Castaner ? des Gilets jaunes avec Attali, Minc et Ruth Elkrief ? de Todd avec Aurore Bergé, Emmanuel Macron ou encore Robert Badinter ?…
- « Je le dis sans plaisanter, il s’agit ici de définir un léninisme libéral qui se substituerait, entre autres, au léninisme narcissique et caudilliste de Mélenchon » : sans commentaire…
Le lecteur groggy se demandera pourquoi je tiens encore La Lutte des classes en France au XXIe siècle pour un ouvrage indispensable à la compréhension de notre pays. Eh bien, pour la raison suivante : ce qui me permet de contredire ainsi les conclusions d’Emmanuel Todd (32 pages sur les 367 de l’ouvrages), c’est précisément les brillantes analyses effectuées par l’auteur dans tout ce qui précède.
=> Les Luttes de classes en France au XXIème siècle », Emmanuel Todd, Le Seuil, 384 pages, 22 euros.