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SOURCE : Blog de Mickaël Zemmour
Pour Simon Rabaté et Maxime Tô, dans un récent post du nouveau blog de l’IPP, le système à points n’implique pas en lui-même une baisse des pensions. Simplement, dans le cadre de la réforme, le présent gouvernement veut à la fois un système à points et une baisse des pensions.
« La mise en œuvre d’un système universel de retraites par points n’entraîne pas, en soi, de baisses généralisées des pensions contrairement aux idées reçues. Ce sont les choix politiques et non le mode de calcul des pensions qui déterminent le niveau moyen des retraites. En l’état actuel du projet de loi, le choix politique est celui d’une baisse du niveau de dépenses de retraite à un niveau inférieur à celui prévu par le système actuel, autour de 12.9% du PIB à horizon 2050. Mais ce niveau n’est pas directement lié au choix d’un système en points : aussi bien dans l’ancien que le nouveau système, la baisse programmée des pensions peut-être limitée par une hausse du taux de cotisation, si l’on juge collectivement que davantage de ressources doivent être dédiées à notre système de retraite. »
Sur le plan technique, ces deux affirmations sont justes. Mais du point de vue de l’économie politique, c’est plus discutable.
Les systèmes à points comme outil de maîtrise des dépenses publiques
En effet, si on regarde la littérature européenne et internationale, le passage à un système i) à cotisations définies ii) avec une indexation des droits sur l’espérance de vie est toujours compris comme un outil de “maitrise des dépenses” et de baisse des pensions à âge donné. Il faudrait, pour l’établir formellement, faire une vraie revue de littérature, à la fois académique et administrative, mais à titre d’illustration on peut se référer au dernier rapport de l’OCDE “pension at glance” pages 39-49. Dans la section « Long term trends in pension reforms on peut notamment lire » :
From defined benefits to defined contributions
Pension systems in the past were dominated by PAYGO[1] DB[2] schemes where pension benefits typically depend on the number of years of contributions, rates at which pension entitlements accrue (accrual rates) and a measure of individual earnings (reference wage). Especially in the second half of the 20th century, OECD countries established or extended PAYGO DB schemes. At the time, population growth was fast and the economy developed quickly, both of which increase internal rates of return of PAYGO systems. One attractive feature of PAYGO pension systems is that they allow for providing pension benefits to older people who did not contribute. (…) Over the last decades, however, there had been a paradigm shift from DB to DC[3] schemes, as a way of dealing with the financial sustainability issues of PAYGO pensions, especially given population ageing
(…)
Akin to the switch to funded DC plans, in the 1990s, Italy, Latvia, Poland and Sweden radically reformed their public PAYGO pension system, shifting from defined benefit (DB)to notional (non-financial) defined contribution (NDC[4]). Norway did so in 2011. The move to NDC has been part of the trend towards more individualised pension benefits. The core of the NDC design mimics funded DC schemes with strong links between individual lifetime contributions and benefits. Moreover, incentives to work longer with increasing longevity are embedded in the schemes: for given accumulated contributions, rising life expectancy reduces pensions at any given age
Loin d’être une exception, ce texte reflète la vulgate européenne et internationale concernant les propriétés d’un modèle à cotisations définies. On peut donc penser que le gouvernement est justement favorable à un système à cotisations définies parce qu’il souhaite réduire les dépenses de retraite, et qu’il y a une cohérence politico-institutionnelle entre les deux : un système en cotisations définies réduit le risque de voir les dépenses de retraite augmenter, notamment en instaurant une règle par défaut d’ajustement du système par le niveau des pensions (règle d’or et âge d’équilibre glissant).
Au contraire, dans le cadre actuel[5], en cas de choc, le niveau des pensions reste inchangé[6] par défaut : le risque est porté par le système, pas par les assurés. Si un déficit survient, une discussion s’ouvre pour savoir s’il faut le tolérer temporairement, le financer par une hausse de cotisations, ou mettre en œuvre des mesures « paramétriques » d’âge ou de révision des pensions. De même le système actuel permet de tolérer un déficit transitoire de faible ampleur pour des raisons démographiques en le lissant par des recettes à long terme (fond de réserve, CRDS, versement de l’Etat…), sans que sa stabilité financière ne soit aucunement menacée[7].
Le fait résoudre définitivement la question du déficit (et donc de faire peser le risque liés aux chocs sur le niveau des pensions) était même un des arguments initiaux de la présentation d’un nouveau système par Antoine Bozio et Thomas Piketty (certes dans une version moins brutale que celle actuellement proposé par le projet de loi).
Quel type de système à points est mis en place dans la réforme ?
Pour mener plus loin l’analyse il faudrait lever une ambiguïté sur la caractérisation de la réforme proposée : s’agit-il simplement d’un simple système “à points” (AGIRC ARRCO), ou d’un système en rendement définit (RD) qui ne dit pas son nom(Suède)? La réponse n’est pas évidente du tout.
Sur le papier, un modèle très proche du schéma suédois…
Le gouvernement dans le discours se défend de toute référence au modèle suédois, mais c’est pourtant bien ce type de modèle (à rendement défini) qui inspire tous les mécanismes centraux de la réforme : “points indexés” sur les salaires, droits indexés sur l’espérance de vie, quasi-neutralité actuarielle des pensions …
Et dans ce modèle, comme le souligne le COR, le relèvement des cotisations est plus compliqué et n’a d’effet qu’à très long terme[8] : contrairement à un système en annuités, on ne peut pas augmenter en 2030 les taux de cotisations pour relever les pensions en 2030. Dans un système en annuités, si les pensions sont trop faibles en 2030, on peut réagir sans délai (par exemple sur cinq ans) pour relever les cotisations et enrayer la dégradation. Dans un système à rendement défini, pour sauver les pensions en 2030 il faut augmenter les cotisations dix, vingt, ou trente ans avant (et les mettre en réserve). Dans le modèle à rendement défini, l’essentiel de l’ajustement (à l’augmentation de l’espérance de vie) se fait par l’âge et le niveau des pensions. C’est d’ailleurs bien le réglage par défaut choisi par le gouvernement.
…avec moins de verrouillages
D’un autre côté, au contraire du modèle suédois, si on lit bien les deux lois, rien n’est vraiment “garanti” dans la réforme du gouvernement, sauf l’équilibre financier. Il y a bien des règles par défaut (l’âge d’équilibre qui évolue) mais tout est manipulable. Le système proposé apparaît donc nettement plus flexible qu’un vrai système en rendement défini.
Si on est très optimiste, cela veut dire que la porte n’est pas totalement fermée à un relèvement du taux de cotisation…à condition d’obtenir une majorité au conseil d’administration où siègent ensemble l’Etat et le patronat qui y sont opposé, et d’obtenir un vote du parlement. Si on est pessimiste, cela veut dire que même les garanties à minima que constituent l’indexation du point sur les salaires, ou l’indexation des pensions sur les prix, pourront être remises en cause, au nom de l’équilibre financier, dès la survenue du prochain choc macro-économique.
Il ne faut pas idéaliser la situation actuelle : beaucoup des limites pointées dans le cadre de la réforme jouent déjà dans le système actuel et notamment à l’agirc arrco. Mais si le gouvernement actuel s’engage dans une telle réforme, assortie de mesures d’économies, le plus vraisemblable c’est qu’il y voit un moyen de réduction à long terme des dépenses de retraites, conformes à ses orientations programmatiques, et qu’il suit en cela le consensus sur les propriétés politico-institutionnelles des modèles à rendement définis.
[1] En répartition.
[2] A prestations définies.
[3] Cotisations définies.
[4] A cotisations définies et à rendement défini (ou en compte notionnel).
[5] Ceci est vrai au régime général et dans la fonction publique, la situation est nettement moins favorable à l’AGIRC ARRCO.
[6] Même s’il y a une réelle « dépendance à la croissance », largement documentée par le COR et l’IPP, qui dégrade la situation relative des retraités en cas de croissance (mais les protège en récession).
[7] On peut par exemple mentionner ici les propos de P. Aghion qui envisageait de financer par l’emprunt le déficit transitoire prévu jusqu’à 2030, ce qui est possible aujourd’hui et serait impossible dans le cadre de la réforme.
[8] https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2019-06/doc-4338.pdf