AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Révolution permanente
Le premier n’est plus à présenter : philosophe et essayiste, entre autres, ancien militant de l’UCF-ml, marxiste et penseur du communisme au XXI° siècle. Le second pas davantage, mais pour des raisons différentes : aiguilleur au Bourget, syndicaliste Sud Rail et militant du NPA-CCR, c’est l’un des principaux visages de la grève de l’hiver 2019-2020 qui est partie à l’assaut de la Macronie et s’oppose à sa contre-réforme des retraites.
Tous deux forts en gueule, habitués à ferrailler dur, peu coutumiers du recul, Alain Badiou et Anasse Kazib se sont donc retrouvés en tête-à-tête, en direct sur le plateau de « Courant-Courant », l’émission animée par Aude Lancelin, sur la chaîne QG, mardi soir, à l’occasion de la plus longue grève de l’histoire de la V° République.
Mais ce n’est pas uniquement de ce « nouvel hiver du mécontentement » dont il a été question et dont ont longuement débattu, pendant près de deux heures, Alain Badiou et Anasse Kazib [1]. Au programme, également, « que faire ? » pour qu’advienne « l’après » qui ouvre, à la suite des « si », le champ des possibles qui est le propre de tout processus révolutionnaire.
La grève, brouillon d’un commencement
En effet, et « si », comme le souhaite un large secteur de l’opinion publique, la grève rebondissait, dans l’immédiat ou à l’avenir, et venait mettre un peu plus à mal la Macronie : que se passerait-il ? Comment agir, ici et maintenant, pour dépasser le stade du seul affrontement social dans le bras-de-fer qui oppose une fraction du mouvement ouvrier, à la tête duquel on a retrouvé, ces dernières semaines, la RATP et la SNCF, notamment, mais aussi les raffineurs, les énergéticien.nes ainsi que les enseignant.es et les lycéen.nes, et le gouvernement, fondé-de-pouvoir du Medef ?
Le mouvement ouvrier contre le syndicalisme ?
Le monde du travail est-il condamné à suivre les injonctions « d’en haut », à savoir de ces directions syndicales qui ont très mal préparé la bataille (quand elles n’acceptent pas de participer, encore aujourd’hui, aux négociations avec Edouard Philippe), ou peut-il se constituer en acteur en capacité de prendre les choses en main ? A ce niveau et pour cela, faut-il réfléchir purement en terme de syndicalisme combatif ou doit-on penser à la constitution en organisation politique et révolutionnaire du secteur le plus résolu de notre classe et de la jeunesse, non pas pour « simplement » être à même de faire reculer l’ennemi, mais également pour faire basculer la situation ?
Comment concevoir, alors, l’intervention des révolutionnaires vis-à-vis des médiations existantes, au niveau syndical et institutionnel, indépendamment de leur état de compromission avec l’ordre établi et de leur rôle dans sa perpétuation ? Ces militantes et militants révolutionnaires doivent-ils se situer en totale extériorité vis-à-vis de ces structures ou doivent-ils agir « dans et contre », de façon à proposer un dépassement, non pas tant parce qu’il serait possible de « changer les choses de l’intérieur », de les « modifier à la marge » ou de les rendre « moins pires » que ce qu’elles ne sont, mais pour les utiliser comme des tribunes populaires de propagande de façon à présenter, très largement, le programme des communistes à la grande majorité de la société, au monde du travail et à la jeunesse, à savoir une alternative de pouvoir sans laquelle il ne saurait y avoir d’avenir distinct de celui auquel nous condamne la classe dominante, de façon également à proposer un horizon désirable, celui du communisme, la société sans classe et sans état ?
De quoi la lutte est-elle le nom ?
On aura deviné, entre les lignes, les principaux axes du débat au cours duquel Alain Badiou et Anasse Kazib ont échangé, à partir de la situation actuelle, autour des tâches qui devraient être celles des militantes et de militants révolutionnaires s’il ne se pensent pas « seulement » comme des activistes de la grève, pour la faire rebondir et essayer de la faire gagner, mais également comme des actrices et des acteurs de la transformation sociale radicale à imposer, contre le patronat et leurs représentants politique, aujourd’hui Emmanuel Macron et ses ministres.
A la recherche du parti perdu
Les intertitres qui ponctuent cette présentation des grandes lignes de force de la discussion reprennent les couvertures de quelques-uns des principaux essais publiés par Alain Badiou en guise de bilan, sur le long cours, de la séquence post-1968 : Révolution : brouillon d’un commencement (1968), Le mouvement ouvrier français contre le syndicalisme (1975), A la recherche du réel perdu (2015) et, bien entendu, Circonstances 4. De quoi Sarkozy est-il le nom ?(2007). C’est au croisement et à la lumière, directement ou indirectement, de ces discussions badiousiennes, sur la question du programme en capacité d’offrir un « passage du mouvement singulier » à une « généralité nécessaire », sur les contradictions autour des modalités de lutte contre les directions syndicales, du positionnement des révolutionnaires par rapport à la thématique électorale, au parlementarisme et au ministérialisme, des modalités d’organisation de la classe en parti de façon à « dépasser les freins subjectifs et objectifs à un engagement politique nouveau » qu’Alain Badiou et Anasse Kazib ont croisé le fer, le plus léniniste n’étant pas, en dernière instance, celui que l’on croit. Du moins si l’on suit le cheminot.
Ce n’est qu’un début…
Le débat, riche et extrêmement cordial, est à retrouver, ci-dessous, dans son intégralité. On ne saurait que trop espérer qu’il donne lieu à des prolongations et à une poursuite des échanges, à un renouveau des discussions entre intellectuelles et intellectuels marxistes et engagés et les secteurs les plus radicalisés du mouvement ouvrier qui ont su faire montre, au cours des dernières semaines, d’un très haut degré de créativité mais également d’une très grande avidité politique, symptomatique de ces périodes d’ouverture de situations aux potentialités nouvelles. Le combat, sur ce front-là, comme sur d’autres, plus immédiats, continue. Ce n’est pas Badiou qui sera en désaccord là-dessus.