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SOURCE : Arguments pour la lutte sociale
Les élections municipales ne soulèvent pas actuellement les passions, en France, pour deux raisons. L’une est que les préoccupations principales de larges couches de la population sont liées aux affrontements sociaux directs : à la destruction des régimes de retraite et du statut des fonctionnaires, notamment. A quoi s’ajoute maintenant l’affaire du coronavirus. L’autre est que l’expression politique de la recherche d’une issue démocratique, répondant à la véritable urgence sociale, est occultée par les appareils politiques existants comme par ceux qui prétendent les remplacer, et qu’elle est donc le plus souvent faible et, lorsqu’elle existe, embryonnaire.
Pourtant, et précisément pour les mêmes raisons que nous venons de résumer, ces élections municipales seront importantes : elles arrivent en pleine crise sociale, et maintenant nous savons qu’elles arrivent deux semaines après le 49-3 de Macron et Philippe, qui veulent mettre au pas dans ce pays toute représentation élue, même quand elle leur est soumise. Ceci vaut aussi pour les communes, et la défense de leurs droits démocratiques contre la destruction des services publics, la réforme territoriale, la réduction des budgets des collectivités locales, les atteintes à la laïcité, l’emprise croissante des pouvoirs préfectoraux, régionaux et intercommunaux, a été présente en filigrane, et parfois plus, dans tout le mouvement des Gilets Jaunes. Le « grand débat » de Macron a prétendu y répondre et n’en a bien entendu strictement rien fait. Pour l’ensemble de ces raisons, il est certain que les élections municipales prévues les 15 et 22 mars seront une étape de la crise politique et de la crise de régime, et qu’elles vont l’aggraver.
Si l’on en doutait, l’affaire « Griveaux », par laquelle la tête de liste macronienne sur Paris a été liquidée politiquement alors même qu’il s’enlisait déjà -ce qui semble faire le jeu de Dati-, serait là pour le rappeler. L’incapacité du « macronisme » a être relayé localement par des clientèles de notables est flagrante et participe de la crise du régime : le super-Bonaparte Macron n’a, de plus en plus, de relais que policiers et préfectoraux.
Au Havre, le premier ministre de Macron a dû se présenter lui-même directement – son successeur pressenti Lemonnier ayant dû démissionner voici quelques mois car il harcelait une femme en lui envoyant des photos « suggestives » de lui-même. Une telle « affaire » apparaît après coup comme n’étant pas anecdotique : pas mal de petits chefs, édiles et hauts fonctionnaires macroniens tombent dans de telles pratiques dominatrices, au point qu’il est possible d’y voir un trait sociologique de ces milieux. A travers ces biais, la couche d’élus LR passée au « macronisme » avec Philippe s’est largement décomposée, le poussant à diriger lui-même la liste avec un risque politique évident.
A Lyon, c’est le premier grand démissionnaire du gouvernement de Macron, qu’il avait largement fait roi, Gérard Collomb qui, en voulant revenir par la prise de pouvoir dans la « métropole » dotée, par la réforme territoriale de Valls, des pouvoirs cumulés d’une commune, d’une communauté de commune et d’un département, a provoqué une explosion de rivalités et de grenouillages de panier de crabe qu’il serait fastidieux de résumer. Du coup, l’élection de la couche de politiciens locaux macroniens, qui est pourtant la plus étoffée, au niveau national, sur le secteur lyonnais, n’est pas garantie.
Terminons ce très rapide petit tour par Bordeaux, où Alain Juppé, autre soutien politique stratégique de Macron, et père d’une contre-réforme des retraites ayant pavé la route au plan actuel de destruction, a quitté LR début 2019 et été remercié pour ses services rendus à la chiraquie, à la macronie et aux coups fourrés des uns et des autres par sa nomination au Conseil constitutionnel ; à Bordeaux, donc, une combinazione a porté au poste de maire le LR Nicolas Florian, devenu depuis un partisan connu de la casse anti-gilets jaunes. Or, Philippe Poutou, ouvrier licencié chez Ford, militant ouvrier local et dirigeant NPA au plan national, soutenu localement par la FI, perce dans les sondages, devançant le candidat macronien officiel !
Globalement il est facile de pronostiquer ceci : tout candidat ostensiblement et manifestement affublé du statut de macronien peut et doit le payer. C’est pourquoi, Castaner avait d’ailleurs tenté d’effacer toute étiquette politique dans les communes de moins de 9000 habitants ! En même temps, il n’y a pas de représentation politique alternative à l’échelle nationale, et l’échelle nationale est, quoi qu’on en dise, déterminante aussi dans des élections municipales.
Ceci n’exclut absolument pas que bien des listes locales méritent d’être soutenues. Cela va de listes dans des petites communes qui militent avant tout pour la préservation et le rétablissement des services publics, de l’école, des services de santé, de l’équipement, à des listes « municipalistes » comportant des Gilets jaunes ou étant initiées par eux, sur lesquelles notre ami Patrick Farbiaz, militant écologiste radical, est revenu lors des échanges qui ont eu lieu dans les deux rencontres qu’Aplutsoc a organisées à Paris ces derniers mois (on ne parle pas bien entendu ici des listes de telle ou telle soi-disant « vedette » un temps médiatisée, mais de la réflexion sur le « municipalisme » qui s’est développée dans pas mal de secteurs GJ ). Cependant cela ne va pas de soi : les questions et obstacles politiques sont les mêmes pour tout le monde.
Il est certain que l’écologie, entendue comme la défense d’un monde vivable pour nos enfants, tout de suite, et en précisant – c’est évident mais ça va encore mieux en le précisant – que ceci ne se recoupe en rien nécessairement avec la place politique d’EELV! – est un élément central de la situation sociale et des critères de choix envers telles ou telles listes. La défense d’un monde vivable pose immédiatement les questions les plus élevées de la démocratie et du pouvoir politique.
Des exemples dans l’Allier.
Abordant ce que nous connaissons le mieux en matière d’élections municipales, nous dirons quelques mots de certains secteurs de l’Allier où nous mêmes, rédacteurs d’Aplutsoc, sommes, comme militants locaux du mouvement ouvrier, engagés dans des listes municipales. Nous ne prétendons nullement que ces exemples sont des modèles, loin de là. Ils illustrent simplement la façon dont on peut faire ce qu’on peut comme on peut.
A Moulins, Vincent Présumey, principalement connu localement comme syndicaliste, participe à la liste « Moulins, ma cité », conduite par un militant du PCF, Yannick Monnet, et groupant pas mal de syndicalistes ainsi que les sections locales d’EELV, de Générations.s, de Place publique et du PS. Cette liste a deux caractéristiques : elle réunit les composantes de la « gauche » d’après la catastrophe macronienne, en une unité qui est allée de soi, et en ne comportant aucun ou aucune macronien. Et… elle peut gagner. La chute d’une vieille mairie RPR-LR et aujourd’hui macronienne ne saurait être une chose indifférente aux militants ouvriers.
Il nous faut signaler le cas de Commentry. D’abord parce que Commentry fut la première municipalité socialiste du monde, en 1882, cela, avec l’interruption du régime de Pétain, jusqu’en 2001. Dans cette localité ouvrière, où une grande partie de la population descend d’immigrés polonais, c’est l’abstention du monde ouvrier, causée par l’embourgeoisement de « la gauche », qui a conduit à cette situation. Le président actuel du Conseil départemental, M. Riboulet, d’un cléricalisme prononcé, était maire de Commentry et a laissé son mandat à un proche, en 2017. Or, notre camarade et ami Sylvain Bourdier est ici en mesure de rendre cette mairie au mouvement ouvrier. Ancien militant socialiste, il regroupe les communistes et les militants ouvriers locaux, s’est trouvé en tête de la gauche lors des législatives de 2017, et vient de recevoir le soutien, juste retour des choses, de la section socialiste locale. Sa liste « sans étiquette » est sans doute celle qui représente le mieux le rassemblement de notre camp face à l’absence de perspective unificatrice au niveau national.
Une remarque est nécessaire concernant le PS. Les sections PS représentées dans les listes de Moulins ou de Commentry – il n’y en a plus de constituée à Saint-Germain- le sont dans un cadre politique qui est l’unité contre Macron. Dans ces conditions, il n’y aucun « franchissement des frontières de classe » à faire l’unité au plan municipal avec ces militants-là, qui souvent d’ailleurs n’ont plus grand-chose de carriéristes, ces derniers étant allés, justement, tenter de faire carrière ailleurs. Ajoutons qu’il n’y a pas non plus, à notre avis, de problème à s’allier, si le programme et le cadre en rupture contre Macron et en défense des revendications et besoins de la population, sont clairs, avec des groupes locaux EELV ou LFI qui, comme tels, ne sont pas issus du mouvement ouvrier.
Sur le secteur de Vichy, l’argument « plus jamais avec le PS » est invoqué, la fleur au fusil, par les groupes locaux tant EELV que LFI dont le rôle est ici notable. Plus jamais avec le PS… ni avec le PCF, accusé de représenter le vieux monde… (davantage que la mise en cause de possibles compromissions passées, c’est bien l’appartenance aux organisations traditionnelles du mouvement ouvrier qui est en cause). Moyennant quoi, ils sont alliés sur tout le secteur avec… le PRG, ce résidu du plus vieux parti bourgeois de France, qui a appelé au vote Macron dès le premier tour en 2017. Mieux encore : à Cusset, banlieue industrielle, et surtout pauvre et chômeuse, de l’agglomération de Vichy, qui fut longtemps une mairie PCF, aujourd’hui tenue par la droite, nous avons une liste dite « écocitoyenne », prenant garde de ne jamais revendiquer une quelconque appartenance de près ou de loin à la gauche, conduite par une figure locale de LFI qui a annoncé ne plus être adhérent d’aucune organisation politique pour faire sa liste, qui a toutefois le plein soutien d’EELV, d’une partie de LFI. Et aussi du PRG, dans sa tendance majorité présidentielle. Et bénéficie aussi du ralliement d’une élue UDI de la majorité de droite sortante, d’une élue d’opposition votant avec la droite en conseil municipal, et de multiples candidats et soutiens ayant revendiqué leur soutien à Emmanuel Macron. Et aussi d’un magnifique « représentant de la société civile » : Patrice Vaiente, officier CRS à la carrière exemplaire, ayant, d’après la Montagne, « géré de durs conflits sociaux » (comme officier CRS) à Montluçon, passé depuis par des postes élevés à Bordeaux et en Corse. Voilà qui ne s’invente pas.
Voilà qui s’invente d’autant moins que cette liste ouverte au macronisme et à l’appareil répressif est en somme un aboutissement pour l’histoire locale de la « France insoumise » : une histoire qui commençait, aux présidentielles de 2017, en décidant de respecter les collages d’affiche des « copains de Debout la France et de l’UPR », d’arracher celles de Hamon et de recouvrir celles du PCF ou d’Ensemble! appelant pourtant elles aussi à voter Mélenchon, et qui s’est directement poursuivie dans une campagne de calomnies contre le responsable départemental de la FSU -récemment reprise à propos des municipales justement-, coupable de jouer un certain rôle dans le mouvement ouvrier et de ne pas avoir cédé aux sirènes de l’ « insoumission » derrière un Chef et sans frontières de classe. Il y a là un bilan politique qui mérite d’être connu, car il comporte, comme par un fait exprès, toutes les dérives en modèle réduit.
Cela dit, une autre liste à Cusset permettra de voter à ceux qui veulent réellement combattre Macron dans la lutte quotidienne. Une liste regroupant PCF, PS et groupe local ayant rompu avec le PS, conduite par un militant syndicaliste de l’Hôpital. Laquelle n’est sans doute pas pour rien dans l’échec de LO à monter une liste dans cette ville. Toutefois, cette liste n’a pas été non plus à l’abri – tout en tentant, elle, de s’en démarquer – de la pénétration d’éléments franchement douteux : il y a un travail à faire pour rétablir les fondamentaux, partout mais particulièrement dans notre bassin de Vichy!
A cet égard est encourageant le fait que pas très loin, à Saint-Germain-des-Fossés, Alexis Mayeta pris la tête d’une liste qui constitue, dans cet ancien fief du monde cheminot, l’opposition à une mairie de droite anciennement en place, et qui, de fait, constitue aussi un renouveau réel. C’était une gageure que de parvenir à faire une liste, face à la disparition des organisations politiques traditionnelles du mouvement ouvrier dans une telle commune. Elle est faite, à la fois jeune et comportant pas mal de syndicalistes (CGT et FSU notamment). Elle est faite et la dynamique est enclenchée pour aller à la bataille avec la victoire pour objectif. Elle est clairement délimitée sur la défense du service public et par la force des choses, par sa composition même, la volonté d’unité de notre camp social, sans aucune concession macronienne. La révolution, c’est le mouvement réel contre l’ordre existant, et la formation d’une telle liste est un signal, dans le département, pour tout le secteur de Vichy.
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Répétons-le pour conclure : le débouché politique en France ne dépend pas de ces élections municipales, mais celles-ci doivent être et seront le moyen d’un coup de plus à Macron, et d’une aggravation de la crise. Quant à sa solution, elle appelle l’organisation démocratique à grande échelle. Et la lutte pour l’auto-organisation passe aussi, nécessairement, par les regroupements locaux, au niveau des petites communes et des quartiers. Comme un certain Lénine le rappelait à propos de l’insurrection irlandaise de Pâques 1916, il n’y a pas lieu de « s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira « Nous sommes pour le socialisme ! », et qu’une autre, en un autre lieu, dira « Nous sommes pour l’impérialisme », et que ce sera alors la révolution sociale !» Non : ce sera beaucoup plus compliqué, touffu, coloré, bizarre et rigolo, ce qui n’empêche en rien, bien au contraire, d’être fermes sur les vrais principes. Nous espérons modestement que les petites expériences rapportées ici le montrent assez bien.
AM & VP, 11-03-2020.