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SOURCE : Le Comptoir
A prenait son mal en patience. Après six heures de route, cela faisait bien une heure qu’il était coincé dans les embouteillages. Le périphérique et ses abords offraient un spectacle désolant. La ville semblait recroquevillée derrière les murs anti-bruit. Entrecoupés çà et là par d’immondes infrastructures, les sièges sociaux formaient une succession de polyèdres plus laids les uns que les autres.
Malgré tout, A était d’excellente humeur. Il ne cessait de se répéter : « Heureusement, cette formation ne dure pas longtemps… Dès que c’est fini, je me casse direct. » Il songea : « Ça roule encore plus mal qu’avant ! Je ne regrette vraiment pas d’avoir quitté cette vie de rat : la ville, plus jamais ! Dans trois jours, je serai au calme dans ma grande villa. La météo annonce un temps radieux. On pourra profiter du grand air ! Une promenade en famille à la forêt me tente bien … C’est à dix minutes de route à peine… Et si le mercure monte bien, on pourra aussi se délasser dans notre piscine ! » Alors qu’il quittait le périph, A jubilait.
Une ribambelle de carrefours modifiés, de déviations, de rues fermées, le contraignirent à tourner en rond un certain temps. Le destin s’acharnait… Autant dire que cela sonna le glas pour son humeur rêveuse ! Fort heureusement, A finit malgré tout par retrouver B, son vieil ami, qui l’attendait, tout sourire, à l’angle d’une rue. Alors qu’il montait à bord, il lui lança :
– Mais quel bordel monstre ! Il y a des palissades de chantier de partout ! C’est quoi ce délire ?
– Hum… Sans doute des rues en train d’être piétonisées et végétalisées ? Un peu plus de calme et de verdure, ça ne peut pas faire de mal ! Mais c’est galère en ce moment, c’est vrai… Et puis, il y a aussi toutes ces pistes cyclables qui sont aménagées petit à petit…
– Encore ! coupa A. Mais ils nous font chier avec leurs vélos !
– Il y aussi des travaux peut-être un peu plus indispensables, comme des rénovations de réseau…comme l’eau par exemple… Et, à moins d’avoir un VTT, certaines routes sont devenues impraticables en voiture : il faut bien les refaire…
– Oui, mais ce n’est pas une raison emmerder le monde ! pesta A.
– Tiens, ta place de parking est là ! Un voisin me l’a prêtée pour ce soir. Sympa, non ? En tout cas, ça nous fait un souci en moins ! Allez, monte chez moi ! On ne va pas faire attendre les bières, quand même !
Ils étaient arrivés. Deux portes munies de digicodes débouchaient sur une paisible cour intérieure. La hauteur de l’immeuble était faible. Des fleurs décoraient les garde-fous. Profitant du soleil et de la luminosité, un jeune couple discutait gaiement, fenêtres grandes-ouvertes. Ils prirent un escalier en bois qui grinçait majestueusement et arrivèrent enfin dans le petit appartement familial de B. Heureux de se voir, ils burent, discutèrent, rirent du bon vieux passé. Puis B proposa d’aller se dégourdir les jambes.
Ils entrèrent dans un jardin. Les arbres fleurissaient, des oiseaux gazouillaient et l’air n’était pas désagréable à respirer. Sans se payer d’authenticité, les mains de l’homme avaient façonné une verdure d’une surprenante harmonie. Étonné, A s’exclama : « C’est joli, dis-donc ! » Mais il ajouta rapidement « C’est bruyant, quand même, non ?… Quel boucan ! Toutes ces bagnoles, sans arrêt, c’est insupportable ! » B ne répondit rien ; affalé sur un banc, les yeux mi-clos, il bayait aux corneilles.
Quelque chose agaçait A. Mais quoi exactement ? Il ne trouvait encore pas les mots… mais il devait s’agir d’une discordance, d’une incohérence… Soudain A comprit et interrompit sans ménagement la rêverie de son ami :
– En fait, vous ne pensez qu’à vos gueules ! Vous ne pensez qu’à votre petit confort !
– Oh ! Tu es dur, quand même ! Tu es sûr qu’on est si différents que ça ? Allez, détends-toi ! L’apéro n’est pas fini ! Il y a un bar très sympa à cinq minutes de marche. Et puis, ajouta-t-il d’un air malicieux, la prochaine fois, tu n’auras qu’à voter aux municipales, non ?
– Ah, ça oui ! Si je pouvais …
– Eh oui… Tant de voix incomprises à faire entendre… Ne pouvoir voter que dans une ville à la fois…ce n’est pas normal, c’est même débile… pire, c’est scandaleux !
Alors que la soirée touchait à sa fin, A se résolut à rejoindre son hôtel en métro. Sur le boulevard, l’odeur âcre des gaz d’échappements irritèrent ses bronches. Il toussota. A travers le grillage d’un parc très touristique qui venait de fermer, il aperçut des rats se ruer sur les déchets alimentaires laissés à même le sol. Les poubelles débordaient, les couloirs de métros sentaient toujours la pisse – des fêtards venaient de se soulager. Un rictus de mépris se dessina sur son visage et cette fois rassuré, il pensa : « Cette ville est vraiment dégueulasse… Que foutent les élus ?… Rien, comme d’habitude… de toute façon, c’est une bande d’incapables ! »