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SOURCE : L'Humanité
La colère atteint des sommets dans les sites français du géant du commerce en ligne. En cause : son refus d’assurer la protection de ses salariés, qu’elle embauche à tour de bras pour surfer sur le boom des commandes.
Saran (Loiret), correspondance particulière.
A utour du site Amazon de Saran, qui regroupe près de 2 500 salariés, usines et dépôts sont à l’arrêt. L’un des deux seuls bus acheminant habituellement les ouvriers repart pratiquement à vide. Sur le parking, mercredi, 200 salariés se sont retrouvés pour exiger que leur droit de retrait soit enfin appliqué. Face à eux, la direction pratique un chantage salarial. Si ce droit est appliqué, le salaire ne suivra pas. « Les gens viennent travailler dans des conditions déplorables », explique Jean-François Bérot, responsable syndical SUD-Solidaires. « Nous n’avons aucun moyen de protection, ni l’espace suffisant pour conserver une distance raisonnable. Il faut savoir que 300 à 400 salariés travaillent ensemble, tous confinés dans l’entrepôt. » Or, ces travailleurs n’ont pas accès à des flacons de gel hydroalcoolique alors qu’ils en charrient des cartons entiers pour l’expédition. « Un carton peut être manipulé une vingtaine de fois par des personnes différentes », pointe un salarié. « Nous venons travailler la peur au ventre chaque jour, ça ne peut plus durer. »
« Les managers sont tous d’accord avec nos positions », assure un délégué CFE-CGC
Pour Jean Silvère, un autre représentant syndical, la situation chaotique repose en grande partie sur les épaules de l’exécutif. « Le gouvernement n’a pas été clair sur les enseignes qui devaient fermer et celles qui devaient rester ouvertes », pense-t-il. « Il n’a pas voulu assumer ses responsabilités et a réagi avec quinze jours de retard. » Désormais, l’intersyndicale, dont les membres se sont retrouvés toute la journée de jeudi en comité social et économique (CSE), met dans la balance la possibilité d’une fermeture pure et simple des sites français et européens si les principes croisés du chômage partiel et du droit de retrait ne sont pas reconnus par la direction. « Les managers sont tous d’accord avec nos positions », assure Nadhir Rafrafi, délégué CFE-CGC. « D’ailleurs, si la situation dépendait des chefs de site, ils fermeraient. Mais la décision de rester ouvert dans de telles conditions de travail vient de beaucoup plus haut. » Pressé par cette situation inédite, Bruno Le Maire a fait mine de taper du poing sur la table. « Ces pressions sont inacceptables et nous le ferons savoir à Amazon », a indiqué, jeudi matin, le ministre de l’Économie sur France Inter. Pas de quoi faire trembler le géant américain, mais un signe que la mobilisation des salariés s’est fait entendre en haut lieu. La direction d’Amazon n’est cependant pas restée sourde à la détresse de ses salariés en leur proposant une augmentation de… deux euros brut de l’heure durant la pandémie. « C’est tout simplement honteux », peste un salarié qui demande également que l’on respecte son droit de retrait.
Dans l’environnement du site, apparaissent très vite les premières zones pavillonnaires. Les habitants de Saran se retrouvent donc, dans les transports et les commerces alimentaires, en contact direct avec ces salariés maltraités. En responsabilité, Maryvonne Hautin, la maire communiste saranaise, vient d’écrire au préfet de région pour demander que ce dernier prenne des décisions concrètes. « Monsieur le Préfet, j’ai l’honneur d’attirer votre attention sur les inquiétantes conditions de travail des salariés de l’entrepôt de la société Amazon, en partie installé sur la commune de Saran », écrit l’élue. « Les mesures minimales requises de protection des salariés (…) ne sont pas appliquées au sein des bâtiments concernés. » En conséquence, Maryvonne Hautin s’interroge sur la réaction des pouvoirs publics : « Je souhaiterais connaître les décisions que vous entendez prendre pour contraindre le groupe Amazon France à assurer immédiatement la protection de ses salariés », et précise que, dans l’éventualité d’une fin de non-recevoir, il conviendrait de réduire drastiquement l’activité au sein du site, voire d’envisager sa fermeture.
à Douai, 200 salariés ont déjà fait valoir leur droit de retrait malgré les menaces de la direction
Le bras de fer est donc engagé avec une direction qui continue de recruter à tour de bras dans la perspective d’une poursuite du confinement au niveau national. « Le kilo de pâtes alimentaires est passé à plus de 10 euros. C’est tout simplement de la spéculation dont profite Amazon », dénonce un salarié.
Une discussion devait avoir lieu jeudi soir entre représentants des salariés et direction française d’Amazon, tandis que sur le site de Douai (Nord), 200 salariés ont déjà fait valoir leur droit de retrait malgré les menaces de la direction. « Les salariés en sont à scander : sauvez nos vies ! » rapporte Khaled Bouchajra, délégué CGT. « Mon épouse me demande de cesser le travail pour protéger notre famille. Je ne comprends vraiment pas comment cette situation est possible. Tout le monde ferme à l’instar de PSA, sauf nous. En quoi Amazon serait-elle essentielle à la survie de la nation ? » La plupart des cadres de la direction des ressources humaines sont, depuis plusieurs jours, en télétravail. Principe de précaution sélectif oblige.