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SOURCE : Figaro
Après avoir limité les dépistages, le gouvernement souhaite tester «massivement» pour suivre les recommandations de l’OMS. Nous faisons le point sur ce revirement de stratégie.
Après avoir martelé à l’envie que le dépistage des Français au Covid-19 ne serait «pas automatique» mais réservé aux cas graves ou aux professionnels de santé exposés, le gouvernement opère un revirement de stratégie. La France va passer d’un «usage rationnel» des tests, à un «dépistage massif», qui interviendra toutefois «au moment de lever le confinement», a annoncé le ministre de la Santé Olivier Véran, samedi 21 mars.
Pourquoi la France n’a-t-elle pas eu recours plus tôt aux dépistages massifs, comme ce fut le cas, par exemple, en Corée du Sud ? Comment expliquer une telle évolution de stratégie ? Comment la France va-t-elle rattraper son retard ? Réponse en trois étapes.
1. Pourquoi la France n’a pas eux recours aux dépistages automatiques ?
Des modélisations mathématiques réalisées en Chine ont montré récemment qu’au moins une contamination sur deux serait liée à des patients qui n’ont eu que peu ou pas de symptômes. Une donnée que l’on ignorait complètement au début de l’épidémie et qui change tout.
Début de l’épidémie : isoler les «clusters» en «ciblant les tests»
C’est l’une des raisons qui explique que la France s’est d’abord contentée d’appliquer stricto sensu les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS): ne tester que les personnes suspectes et les placer en quarantaine pour limiter la propagation du virus. L’objectif : identifier très tôt les «clusters» pour tenter de les isoler. C’est par exemple ce qui a été fait avec succès aux Comtamines-Montjoie en Haute-Savoie, en février dernier, quand six touristes britanniques avaient été testés positifs.
Rapidement, toutefois, les autorités sanitaires ont été dépassées. En effet, une personne sans lien avec aucun cluster identifié sur le territoire, et dont l’identité reste inconnue à ce jour, a contaminé de nombreux participants dans un rassemblement évangélique à Mulhouse. La stratégie n’était donc plus efficace et l’épidémie s’est propagée, peu à peu, partout en France.
Arrivée à l’approche du stade 3 de l’épidémie, la France «ralentit» encore son recours aux tests de dépistage : «les personnes fragiles ou les professionnels de santé exposés à des cas avérés de coronavirus seront privilégiés», expliquait la Direction générale de la santé (DGS), dix jours plus tôt, au Figaro. Plusieurs raisons étaient alors données pour justifier cette stratégie. Tout d’abord, il s’agissait de désengorger les appels au Samu pour «ne pas engorger les hôpitaux inutilement», soulignait la DGS.
«À partir du moment où nous ne sommes plus en phase de clusters mais en phase épidémique, il faudra considérer que tout syndrome hivernal infectieux avec un peu de fièvre est potentiellement un coronavirus et qu’il faudra avant tout réduire sa vie sociale par le repos ou télétravail», poursuivait-il.
Mais il existe une autre raison, plus officieuse. La France, tout simplement, manque de tests de dépistage et n’est pas préparée à fabriquer ces tests à échelle industrielle, expliquaient biologistes et médecins au Figaro.
2. Pourquoi la France souhaite-t-elle finalement recourir aux dépistages massifs ?
Peu à peu, la stratégie de ne tester que les «personnes à risque» s’avère inefficace. En effet, il existe de nombreux «porteurs sains» du coronavirus.
«Ces personnes asymptomatiques, ou faiblement symptomatiques, passent totalement sous nos radars, indique au Figaro Vittoria Colizza. La transmission du virus sur le bateau de croisière Diamond Princess au Japon nous donne une idée du nombre de personnes que cela représente.»Sur les 706 personnes testées, 34 % de cas positifs ne présentent aucun symptôme! Une récente étude, publiée dans la revue Science, va plus loin: au début de l’épidémie à Wuhan, près de 86 % des personnes infectées n’auraient pas été détectées. Autant de personnes qui ont pu potentiellement aider le virus à se répandre et accélérer sa propagation en Chine, puis dans le monde.
Pour cibler ces porteurs sains, certains pays asiatiques comme la Corée du Sud ou Taïwan n’ont pas suivi la même doctrine que la France. Marqués par les épisodes du Sras en 2003 et du MERS en 2015, ils ont massifié les tests dès le début de l’épidémie. Ainsi quand seulement 3,7 % des 20-29 ans testés en Italie ont été déclarés positifs, la proportion monte à 30 % pour la même tranche d’âge en Corée du Sud. Ces populations étant moins à risque, la circulation du virus y est sans doute très sous-évaluée. «Cette politique de test a été très efficace, aussi et surtout car elle a été couplée avec un dispositif d’isolement des cas positifs», poursuit Vittoria Colizza. Un système de géolocalisation des malades avertit même les Sud-Coréens sur leur smartphone pour leur permettre de voir s’ils ont pu les croiser les jours précédents, et donc d’aller se faire tester en cas de doute.
Le président du conseil scientifique du gouvernement, le Pr Jean-François Delfraissy, semble persuadé de l’intérêt d’augmenter les capacités dans notre pays. «Les tests permettraient, si on les avait en grande quantité, de tester les individus suspects et de les isoler par rapport aux contacts», explique-t-il, avant de reconnaître : «Si nous n’avons pas choisi cette stratégie en France, comme cela a été fait en Corée, c’est parce que nous n’avions pas la capacité dans un premier temps de réaliser des tests pour un grand nombre de personnes.»
Pour le Pr Delfraissy, le confinement de la population est finalement une stratégie par défaut, faute de pouvoir tester massivement la population, comme il l’a aussi expliqué à La Croix. Pour sortir du confinement, la capacité de mener de très nombreux tests sera indispensable pour éviter que l’épidémie ne reparte de plus belle.
En attendant, il s’agit, pour la France, de se doter le plus rapidement possible de capacités de tests de dépistage.
3. Comment la France se prépare-t-elle à tester massivement ?
Pour l’instant, le type de test pratiqué en France reste trop long et nécessite des techniques sophistiquées. Un goupillon est introduit dans la narine du patient pour prélever des cellules nasales profondes. Jusqu’ici, rien de compliqué. C’est la suite qui se révèle plus complexe. Ce prélèvement est ensuite analysé pour y repérer d’éventuels brins d’ARN (acide ribonucléique : c’est le matériel génétique de certains virus) appartenant au virus SARS-CoV-2. Ce type de test est appelé test PCR (réaction en chaîne par polymérase). En France, seuls 45 établissements disposent ainsi d’un laboratoire en capacité de procéder à ces analyses.
En Europe et à travers le monde, d’autres laboratoires, cependant, travaillent d’arrache-pied pour élaborer des techniques de dépistage plus rapides. En Suisse, la société pharmaceutique Roche vient ainsi d’obtenir le feu vert de la Food and Drug Administration (FDA) et de l’Union européenne pour réaliser des tests beaucoup plus rapides – les résultats sont obtenus en 3h30 – et plus efficaces – jusqu’à un millier de résultats en 8 heures. En outre, ce test est automatisé, adapté aux machines à haut débit utilisées dans les laboratoires de ville, désormais autorisée à réaliser les dépistages. Il leur faudra toutefois être équipés des plateformes d’analyse de Roche, les «Cobas».
D’autres plateformes concurrentes de diagnostics automatisés, les «Panther» de la société américaine Hologic, viennent également d’être autorisées en urgence à détecter le SARS-CoV-2 et sont utilisées dans les hôpitaux de Lyon et de Toulouse depuis deux semaines.
De son côté, la société française BioMérieux travaille depuis mi-janvier au développement d’un test basé sur un échantillon respiratoire, dont une première version devrait être rendue disponible fin mars, avec des résultats en 4 à 5 heures.
Mercredi 18 mars, enfin, des scientifiques chinois de l’université d’Oxford ont trouvé une nouvelle solution, qu’ils vantent d’être plus rapide et sans «instrument compliqué». Il s’agirait d’un prélèvement nasal en trois flacons que l’on ferait réagir avec un produit chimique détectant l’ARN du virus.