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SOURCE : Reporterre
L’épidémie de Covid-19 gagne du terrain au Brésil. La pauvreté, la dégradation de l’environnement et l’aveuglement du président Jair Bolsanoro laissent craindre le pire pour la population, dont les peuples autochtones.
« Les gouverneurs des États et des municipalités doivent mettre fin au confinement, à la fermeture des écoles et des commerces (…) Le groupe à risque est composé de personnes de plus de 60 ans, alors pourquoi fermer les écoles ? (…) Dans mon cas, grâce à mon passé d’athlète, si j’étais contaminé, je ne ressentirais rien, juste un peu de grippe. » Le soir du 24 mars, les Brésiliens ont suivi, abasourdis, l’allocution de leur président, Jair Bolsonaro. Tandis que les chefs d’État du monde entier prennent des mesures fermes pour empêcher la propagation du coronavirus, Bolsonaro a demandé à la nation de « revenir à la normale » et « d’arrêter l’hystérie » pour sauver l’économie.
Des parlementaires, des entités de classe et la presse ont vivement critiqué le discours. Dans les réseaux sociaux ou hurlant à leur balcons, beaucoup de Brésiliens ont appelé à la destitution de Jair Bolsonaro. Il y a de quoi se mettre en colère. Il y a de quoi avoir peur. Si dans les pays développés, qui ont des niveaux raisonnables d’assainissement, d’accès à l’eau potable et aux soins médicaux, il est difficile de contrôler l’épidémie, au Brésil, le défi est bien plus grand.
« Une pandémie comme celle-ci prouve la non-viabilité du modèle urbain brésilien »
« La réalité dans les favelas : mes neveux viennent se laver chez moi car leur maison n’a pas d’eau ! » écrit sur Twitter l’autoentrepreneur Helcimar Lopes, qui habite dans une favela du Complexo do Alemão, à Rio. « Pas d’eau au robinet », dit dans une vidéo l’activiste Raull Santiago tout en ouvrant un robinet dont aucune goutte ne sort. Lui aussi vit dans un bidonville à Rio, avec sa femme et ses enfants. Le manque d’eau fait partie de la routine d’innombrables communautés partout le pays. Des gestes barrière simples, tels que rester confiné et se laver les mains deviennent des défis presque impossibles.
« Parfois, le désespoir nous frappe, vous savez ? Mais ça passera. On s’en sortira. La possibilité du pic possible (du coronavirus) qui arrivera nous déstabilise beaucoup »,écrit Raull sur ses réseaux sociaux, où il publie son Journal d’un habitant des favelas dans la pandémie.
- Le président brésilien, Jair Bolsonaro, et son ministre de la Santé, Luiz Henrique Mandetta, le 22 mars 2020, à Brasilia.
Les données les plus récentes, et probablement déjà obsolètes, montrent que onze millions de Brésiliens vivent dans les bidonvilles, selon le recensement de 2010 effectué par l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE). À Rio, 22 % de la population habitait dans des favelas en 2020, soit 1,4 million de personnes, davantage que la population de Milan, épicentre de l’épidémie en Italie.
À ces chiffres s’ajoutent d’autres statistiques alarmantes : 34 millions de Brésiliens n’ont pas accès à l’eau potable et 49 % de la population ne dispose pas de collecte des eaux usées selon le Système national d’information sur l’assainissement (Snis).
Après le premier cas de Covid-19 confirmé le 26 février, la vitesse de propagation répète ce qui s’est passé dans les pays européens : au 25 mars, le pays comptait 2.433 cas confirmés et 57 morts.
« Une pandémie comme celle-ci prouve la non-viabilité du modèle urbain brésilien », dit à Reporterre l’écologiste Claudia Visoni. Des métropoles géantes telles que São Paulo ou Rio ont canalisé et pollué leurs rivières et fleuves, déboisé les forêts riveraines autour de leurs barrages. La construction effrénée de bâtiments qui atteignent vingt étages, avec deux ou trois sous-sols, se rapprochant du niveau de la nappe phréatique, oblige les entreprises de construction à pomper l’eau de la nappe et à la rejeter dans les égouts afin de ne pas laisser inonder leurs garages souterrains. Le résultat de cette dégradation est que les villes se retrouvent dans un scénario de rationnement d’eau. Avec le coronavirus, cette irresponsabilité sera fatale à des milliers de personnes.
Un masque improvisé fait avec une bouteille en plastique
« Dans un moment d’urgence comme celui-ci, on ne peut pas penser à faire des changements structurels, mais on doit prendre des mesures urgentes telles que garantir l’approvisionnement en eau dans les quartiers les plus pauvres de la ville », dit Claudia, qui est codéputée à l’assemblée législative de l’État de São Paulo.
Avec un masque improvisé fait avec une bouteille en plastique, Claudia a publié une vidéo dans ses réseaux sociaux expliquant qu’elle avait quitté son confinement pour aller déposer une pétition auprès du ministère public demandant qu’il oblige la société des eaux de la ville, Sabesp, à rétablir l’approvisionnement en eau là où elle manque. « Comment maîtriser une épidémie de cette gravité dans les favelas où l’eau est rare, les abris sont précaires et les sanitaires collectifs ? » demande Claudia.
La même préoccupation est partagée par Adriano Sampaio, militant écologiste et défenseur des droits des autochtones. Fondateurs du collectif « Il y a de l’eau à São Paulo », Adriano vit dans un quartier de la banlieue, à proximité d’un village d’Indiens guaranis. Il se consacre à identifier et à récupérer des sources afin de créer de petits lacs dans la ville. Par WhatsApp, Adriano dit à Reporterre qu’il présente lui-même des symptômes de coronavirus. Il est allé à l’hôpital, où les médecins n’ont effectué aucun test, et il a été renvoyé chez lui. « Je vais prendre soin de moi, j’espère que ce n’est pas le virus. Mais je m’inquiète beaucoup pour les Guaranis. Ils vivent dans des logements précaires, ils avaient déjà trop de problèmes à gérer et le coronavirus est une grande préoccupation maintenant », dit Adriano.
Des études menées par la Fundação Nacional do Índio (Funai) montrent que les voisins d’Adriano, les Guaranis, vivent dans la région du Pico do Jaraguá à São Paulo depuis des centaines d’années et devraient donc avoir droit à 532 hectares de terres. Au fil des ans, cependant, ils ont été expulsés de leur territoire. Majoritairement, il est devenu la propriété privée des accapareurs de terres. Aujourd’hui, environ 800 Guaranis sont contraints de vivre sur une superficie de 1,7 hectare, dans des conditions similaires à celles d’un bidonville, où la transmission des maladies avance très vite.
Les épidémies virales sont « l’apocalypse moderne »
Afin de prévenir la contamination des communautés autochtones à travers le Brésil, qui jusqu’à présent n’ont pas de cas confirmé, la Funai a décidé le 17 mars d’interdire l’entrée de personnes non autorisées sur leurs terres, à l’exclusion des médecins et des prestataires de services essentiels. Jusqu’au 17 mars, surtout en Amazonie, ces communautés avaient été visitées par beaucoup des touristes européens et américains.
« Les communautés riveraines et autochtones sont plus sensibles à tous les virus. Leurs membres souffrent d’une faible immunité et ont grandement besoin de services de santé », dit à Reporterre le médecin hygiéniste Eugênio Scannavino. Fondateur du projet Saúde e Alegria, depuis 30 ans, il travaille comme médecin pour des communautés isolées dans la région du fleuve Tapajós, dans l’État amazonien du Pará. « Pour combattre l’épidémie, qui n’est pas encore arrivée ici, nous formons des agents de santé. Nous allons mener des campagnes de collecte de nourriture et de matériel médical. Tout manque ici », dit-il.
Dans un article publié dans le journal Folha de São Paulo, Eugenio affirme que « l’apocalypse moderne » est représentée par les épidémies virales et que le pire reste à venir.
« Les habitats naturels des animaux ont été remplacés par de vastes monocultures qui utilisent des pesticides et détruisent tout : les abeilles, les insectes, etc. Dans l’élevage bovin et de volailles, on donne trop d’antibiotiques. Cela crée des mutations et des agents pathogènes qui passent aux humains. Chaque année, plusieurs virus passent de l’environnement aux humains et le grand public n’en est même pas informé. Nous créons des armes biologiques contre nous-mêmes », écrit Eugenio, qui pose la question. « Combien de temps allons-nous nous obstiner ? »