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SOURCE : Révolution permanente
Face à une situation de pénurie généralisée, des associations de soignants, dont les Collectifs Inter-Urgences et Inter-Hôpitaux, déposent un référé au Conseil d’État et demandent “une réquisition des moyens de production” de médicaments et matériel médical.
Photo d’illustration. © FRED DUFOUR / AFP
Recours en urgence au Conseil d’Etat par plusieurs collectifs
Plusieurs associations de santé et des juristes ont saisi en urgence le Conseil d’Etat, lundi 30 mars, pour exiger du gouvernement la réquisition à « l’échelle industrielle », des usines de production pour fournir des masques, des respirateurs, et des médicaments indispensables. Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, prévient : « On est très inquiets du risque de pénurie et de rupture d’un certain nombre de médicaments indispensables contre la douleur, notamment la morphine et le curare. Pour le Covid-19, mais aussi en soins palliatifs. Il faut que le gouvernement réquisitionne les moyens de production. »
Le référé « mesures utiles », déposé par l’avocat Jean-Baptiste Soufron, permet de demander au juge administratif l’imposition à l’administration de toutes sortes de mesures. Les signataires sont Act Up-Paris, les Collectifs Inter-Urgences et Inter-Hôpitaux, la Coordination nationale des infirmières, l’Observatoire de la transparence des politiques du médicament, ainsi que des membres de l’Association de défense des libertés constitutionnelles.
Une situation de pénurie
Alors que la question du matériel sanitaire est cruciale pour combattre l’épidémie, la pénurie est généralisée à l’ensemble du matériel, des masques aux médicaments, obligeant trop souvent les soignants à travailler sans protection. Selon Le Monde, le personnel médical a besoin de pyjamas à usage unique, de gilets jetables, de surblouses, de lunettes, de tabliers, de seringues, de ventilateurs, de respirateurs, mais aussi de « moyens de dépistage massif » et de de nombreuses « molécules apparaissant d’intérêt sanitaire » – tociluzimab, dexaméthasone, lopinavir, ritonavir, anakinra, midazolam, morphine, curares, etc.
« Le plus urgent, ce sont les masques et les respirateurs », explique André Grimaldi, professeur à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et fondateur du Collectif inter-hôpitaux : « Même chez les soignants, on est obligé de garder des masques toute la journée, voire le lendemain, ce n’est pas possible. Et contrairement à ce qu’on raconte, les masques sont très utiles pour toute la population, même avant le confinement. » Il ajoute que ce sont les infirmières qui vont en manquer le plus, en réanimation : « On a baissé la garde de la sécurité à l’hôpital. On ne peut pas y envoyer des gens sans précautions, malgré les applaudissements de 20 heures – si le gouvernement ne fait rien, la situation risque de se terminer par des droits de retrait du personnel. Il y a de la colère chez les soignants ». Vendredi, une infirmière témoignait pour Révolution permanente : « Les masques promis ne sont toujours pas là. Les consignes sont toujours d’un masque chirurgical par jour et par infirmière… Les masques sont comptés tous les jours, sinon ils disparaissent… Nous avons 27 masques FFP2 pour 8 lits de réanimation (extensibles à 19). Un chirurgien contaminé a pu voir tous ses patients sans protection en attendant le résultat de ses tests. Il s’est révélé positif au Covid-19.[ …] Un médecin de chez nous a demandé à une de ses patientes, membre d’un club de couture de nous fabriquer des masques… D’anciens soutiens-gorges sont recyclés pour faire des masques ».
La menace d’une rupture de stocks semble aussi peser sur les médicaments. Si le premier ministre Edouard Philippe n’évoquait que « de simples tensions d’approvisionnement » le 28 mars, la situation est pourtant bien plus grave. « Nous sommes en contact avec des soignants, pour certains de ces médicaments, c’est l’affaire de quelques jours pour qu’il n’y ait plus de stocks dans les hôpitaux à Paris et dans le Grand-est », alerte Jérôme Martin, cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament. « Parmi ces médicaments, il y a des antibiotiques. Mais, le plus urgent, ce sont les produits sédatifs, la morphine, le curare. Sans eux, on ne peut pas intuber, pas pratiquer d’opérations chirurgicales, même celles qui ne sont pas liées au Covid. Ces médicaments servent à calmer la douleur, ils peuvent aussi sauver des vies car la douleur peut provoquer des étouffements. Sans eux, on ne peut pas placer les patients en sédation profonde. Une pénurie, ce serait une atteinte au droit à mourir dans la dignité. On est en train d’abaisser le standard de soin ». Les organisations signataires dans le recours au Conseil d’Etat soulignent dans leur communiqué : « Les services hospitaliers sont aujourd’hui contraints d’utiliser “avec parcimonie” et “frugalité” certains médicaments tels que la morphine ou de rationner l’usage des curares. Cette situation dramatique est une atteinte à la sécurité sanitaire des personnes et à leur vie – pas d’intervention chirurgicale sans curare par exemple ».
Une gestion coupable de la part du gouvernement
Le 25 mars déjà, le Collectif Inter-Urgences, membre de la coalition ayant déposé ce recours, avait déposé une plainte contre X pour « abstention volontaire de prendre les mesures visant à combattre un sinistre », « homicide involontaire », « mise en danger délibérée de la vie d’autrui pour rappeler la responsabilité de ce gouvernement dans la crise en cours ». Le communiqué du référé rappelle les « hésitations de l’exécutif.
La casse de l’hôpital public dure depuis plusieurs décennies avec les politiques néolibérales menées par les gouvernements de Sarkozy, Hollande ou Macron qui ont eu comme point commun la volonté assumée de faire des économies sur la santé, tout en réduisant dans le même temps les impôts sur les plus riches. Le manque de moyens dans les hôpitaux est criant lorsque l’on sait que depuis 20 ans, 17 % des lits dans les hôpitaux ont disparu quand dans le même temps, la population a augmenté de 10 %.
Depuis le début de la crise le gouvernement dévoile son inconsistance dans sa gestion, après avoir fait longtemps preuve d’amateurisme, il multiplie désormais les annonces de livraisons de matériel médical, celles-ci étant bien en-deçà de la demande réelle. Ces derniers jours, le gouvernement a médiatisé l’arrivée de masques provenant de Chine. Une première cargaison de 5,5 millions de masques nous est parvenue dimanche, un avion en transportant plus de dix millions est arrivé hier. L’arrivage est loin d’être suffisant, lorsque les besoins en masques sont de 6 millions par jour, un masque devant être changé toutes les 3 heures lorsqu’il y a deux millions de professionnels de la santé. Les annonces de Macron, ce mardi, ne rassurent pas. Il promet une augmentation de la production à 15 millions de masques par semaine pour fin avril, quand il en faudrait plus de 40 millions par semaine, il s’engage à 50 000 tests par jour fin avril, quand l’Allemagne en fait déjà plus aujourd’hui. Enfin lorsqu’il annonce une augmentation de quatre milliards pour la santé, ce montant semble dérisoire par rapport aux plus de 3000 morts et quarante cinq milliards d’aide aux entreprises.
Alors que le collectif demande l’approvisionnement en « moyens de dépistage massif » et l’autorisation pour « tous les laboratoires vétérinaires et de biologie médicale à réaliser les tests ». La stratégie du gouvernement du confinement tardif et répressif à l’origine du recul des libertés individuelles, et de milliers de morts ne paraît pas en mesure de résoudre la pénurie. Une réponse conséquente sur le plan sanitaire serait, la généralisation des tests et sur le terrain du travail, celui de l’organisation de la production au service de la résolution de la crise.
Réquisitions, nationalisations, réorganisations, contrôle ouvrier
Face à la rupture des stocks, le gouvernement refuse d’exiger leur réquisition. Pourtant le 13 mars dernier le Premier ministre avait médiatisé un décret qui annonçait la réquisition « des stocks […] détenus par toute personne morale de droit public ou de droit privé » … Mais seules « les entreprises qui en assurent la fabrication ou la distribution étaient concernées ». Ce qui se dévoilait alors c’est le travail, main dans la main, du gouvernement et des patrons pour continuer la production et leurs profits, puisque le décret permettait l’exposition au virus de travailleurs de secteurs non essentiels, en situation de pandémie, et ce en utilisant des masques de protection qui devraient être destinés aux soignants. Plusieurs entreprises disposent donc de plusieurs millions de masques. À titre d’exemple, Airbus a pu en donner plus de deux millions récemment.
Le communiqué vise particulièrement les « usines de production nécessaires pour fournir aux professionnels divers équipements (masques FFP2, lunettes, respirateurs…), mais aussi des masques chirurgicaux aux malades et à la population générale », ajoutant qu’il est « indispensable de mettre en place des mesures pour que la production industrielle s’adapte à la “guerre sanitaire” déclarée, et donne aux hôpitaux les moyens d’effectuer leurs missions dans des conditions nécessaires en termes de sécurité pour les patients et les soignants ».
Alors que le gouvernement réprime et sanctionne ceux qu’il estime être les contrevenants au confinement, il autorise et encourage les entreprises et grands groupes à continuer la production, n’hésitant pas à mettre en danger les travailleurs pour les profits du patronat.La question du contrôle ouvrier se pose plus que jamais, notamment parce que ce sont les soignants qui connaissent le mieux les besoins en personnels, tests de dépistage, ou masques et car ce sont ces travailleurs des transports qui sont les plus compétents pour organiser le déplacement, parce que de nombreux travailleurs revendiquent la réorganisation de la production pour répondre aux besoins médicaux. L’arrêt des usines non-essentielles, les réquisitions, les nationalisations et la reconversion de la production au service de la lutte contre le virus, seraient des solutions nécessaires pour combattre efficacement le virus.