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SOURCE : The Conversation
La crise sanitaire ne cesse de nous rappeler combien notre monde est (re)devenu inégalitaire. Des conditions de travail à l’accès à l’éducation, aux soins, ou encore à Internet, de nombreuses dimensions de notre vie sociale sont bouleversées par la pandémie.
Le logement ne fait pas exception à ce triste tableau. Cadre matériel de vie des individus, espace de repos et de restauration psychique, il constitue cette « boîte à habiter » qui abrite nos fonctions vitales avant même d’être un support de notre identité sociale. Nous y vivons par intermittence, plus ou moins longtemps, selon notre profession, notre sexe, notre âge, notre statut social – une large partie de nos activités sociales se déroulant à l’extérieur de celui-ci.
Désormais confinés en son sein, nous faisons l’expérience de sa matérialité avec une acuité particulière. Le temps d’exposition à des conditions de vie confortables, ou au contraire dégradées, augmente drastiquement avec la crise, qui décuple les inégalités.
Rappelons qu’en France, 4 millions d’individus sont mal logés selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre. Ces personnes sont privées de domicile personnel, vivent à la rue, dans un habitat de fortune, dans un foyer ou un centre d’hébergement d’urgence, dans un logement insalubre, ou encore font face à des situations de surpeuplement accentué.
La période actuelle est dramatique pour ces populations parce qu’appliquer les gestes barrière et les mesures rudimentaires de distanciation sociale leur est tout simplement impossible. Les populations carcérales, les campements de Roms, mais aussi les étudiants logés en résidence universitaire sont ainsi devenus des figures médiatiques tristement célèbres ces dernières semaines.
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Ces situations, quoique très hétérogènes, portent en elles le germe de drames humains et renvoient à certaines formes d’incurie des politiques publiques. La crise du Covid-19 remet en lumière cette frange de marginalité sociale qui se maintient dans nos sociétés démocratiques, riches et technologiquement avancées.
Mais il faut aussi revenir sur un aspect plus banal de cette crise sanitaire, en considérant plus largement les conditions de « logement ordinaire » des Français, c’est-à-dire, au sens de l’Insee, les 29 millions de logements situés hors des institutions et établissements spécialisés (EPHAD, résidence universitaire, prison, etc.).
Environ 65 millions de Français vivent ainsi dans des logements dits ordinaires, au titre de leur résidence principale. De nombreux indicateurs présents dans les enquêtes « Logement » de l’Insee permettent de revisiter la question des inégalités pour mieux appréhender ce qui se joue dans le confinement de la population.
Écarts de superficie
10 mètres carrés séparent, en moyenne, la surface de logement dont disposent les individus appartenant aux ménages les mieux lotis (couple de cadres) des individus appartenant aux ménages les moins bien lotis (ouvrier en couple avec une employée, par exemple). Les premiers disposent ainsi de 46 m2 par personne en moyenne, contre 35 m2 par personne pour les seconds.
Cet écart statistique ne doit pas masquer une autre réalité, sociologique, celle de l’expérience globale du logement. En se mettant en couple, les deux cadres de l’exemple ci-dessus bénéficient de 92 m2 quand le deuxième couple ne pourra se déployer que dans 70 m2. C’est donc l’espace de vie lui-même qui s’en trouve considérablement augmenté, ou au contraire réduit, en raison des économies d’échelle que génère, au sein d’un ménage composé de plusieurs personnes, le partage de biens à usage collectif (cuisine, salle de bain, etc.).
D’autre part, dans les familles les moins favorisées, les situations de surpeuplement graves sont plus fréquentes, de même que les situations de « surpeuplement temporairement admissible ».
Les logements s’apprécient par leur superficie, mais aussi par leur localisation, leur environnement immédiat (visuel et sonore), et leurs accès à l’extérieur, particulièrement appréciés en situation de confinement.
Les catégories populaires (ouvriers, petits indépendants et, dans une moindre mesure, employé-e-s) vivent proportionnellement plus souvent en maison qu’en appartement, relativement aux cadres et aux professions intermédiaires, dont les emplois sont davantage concentrés dans les pôles urbains. Toutefois, si les cadres sont plus souvent en appartement, ils vivent dans des surfaces plus grandes en moyenne par habitant que les autres groupes sociaux.
En outre, d’un bout à l’autre de l’échelle sociale, la proportion des ménages habitant en appartement qui dispose d’un espace vers l’extérieur (loggia, terrasse, balcon) passe du simple au double (36 % pour les ménages d’inactifs contre 71 % pour les ménages de cadre avec profession intermédiaire).
Différences de vis-à-vis
Le type de voisinage à proximité immédiate du logement conditionne plus largement l’expérience du confinement : les ménages d’ouvriers et d’employés vivent en proportion trois fois plus souvent que les ménages à dominante cadre ou intermédiaire à proximité de grands ensembles et de cités d’habitat social, et la vue depuis les appartements est très variable selon l’appartenance sociale.
Les ménages d’inactifs, d’employés et d’ouvriers qui vivent dans les unités urbaines de plus de 100 000 habitants sont surexposés aux vues urbaines denses (immeubles de cités et grands ensembles, immeubles de ville). Si les classes supérieures ont moins souvent un vis-à-vis (près de 40 % n’en ont pas), quand elles en ont un, il est plus souvent composé de maisons individuelles et d’immeubles bas.
Les inégalités devant l’environnement et la vue se doublent d’inégalités de proximité du vis-à-vis : ce dernier se situe à moins de 10 m pour 20 % des ménages inactifs contre 10 % chez les ménages à dominante cadre.
Au cours de leur journée, les classes populaires font plus souvent face à des bruits qu’ils qualifient d’assez, voire très, fréquents (37 % des ménages d’inactifs contre 23 % des ménages à dominante cadre) et ces bruits proviennent plus souvent du voisinage (43 % contre 28 % pour ces deux catégories à fréquence de bruits comparable). Inutile de préciser qu’en période de confinement, ces cris d’enfants, bruits de radio, ou encore de bricolage sont exacerbés par l’occupation quasi continue des logements.
Ainsi, les fenêtres des ménages modestes confinés dans les grandes villes donnent sur des espaces densément peuplés, dont on sait aujourd’hui combien ils nuisent à la qualité de la vie quotidienne : difficile d’évoluer dans le périmètre réglementaire d’1 km2 en respectant les conditions de distanciation sociale requises par le corps médical. Mais ces conditions de vie signent aussi plus profondément l’impossibilité de s’extraire du huis clos qu’est devenu le logement, trop petit, pour s’isoler, se défouler, s’évader, quand les espaces publics et les équipements collectifs abritent en temps normal la vie sociale.
Penser l’après
Les différents attributs qui font du logement un espace de vie digne, voire confortable, capable d’accueillir la vie familiale et la cohabitation prolongée, varient avec le milieu social et se cumulent entre eux. Mais les conditions de logement des catégories populaires et intermédiaires de la population se sont aussi dégradées au cours du temps : la hausse des prix immobiliers dans les grandes métropoles a creusé les écarts sociaux à tout point de vue.
Dans ce cadre, il faut noter que la filière HLM joue un rôle d’amortisseur de crise, ce qui souligne l’importance des politiques publiques. Dans les unités urbaines de plus 100 000 habitants, la surface des logements locatifs privés est de 58 m2 contre 68 m2 dans le secteur locatif HLM. Ramenée au nombre de personnes dans le logement, celle-ci est de 35 m2 par personne contre 38 m2.
Le parc d’habitat social présente également d’autres atouts : en aire urbaine dense, les appartements locatifs du secteur HLM ont plus souvent un espace vers l’extérieur (balcon, terrasse, loggia) que les appartements en location du secteur libre (59 % contre 45 %).
Revenir sur ces enquêtes de l’Insee permet ainsi d’éclairer le délitement des conditions de vie ordinaires d’un nombre croissant de la population et de dégager des pistes décisives pour dessiner l’après. On y constate l’importance d’accroître dans les zones tendues la capacité d’accueil du parc d’habitat social – plus protecteur juridiquement, financièrement et matériellement.
Se pose aussi la question d’un contrôle systématique de la qualité des logements mis en location sur le parc privé à chaque renouvellement de bail, ou celle de la limitation de l’acquisition de logements dans les métropoles aux multipropriétaires. Des enjeux à débattre dans le monde d’après pour que chaque filière du logement soit mieux mise à contribution pour protéger un bien commun : notre santé.