AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Academia.hypotheses.org
Une pétition (version .pdf)
Nous, membres des Universités et des EPST, syndicats, sociétés savantes et collectifs de l’enseignement supérieur et de la recherche, demandons solennellement que le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, s’abstienne de prendre toute mesure réglementaire qui ne soit pas justifiée par l’épidémie de covid-19, en particulier celles qui modifient le Code de l’éducation, le Code de la recherche et les statuts des personnels.
Depuis le début du confinement général de la population, le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a par deux fois fait paraître au Journal officiel des mesures réglementaires que l’urgence de l’épidémie de covid-19 ne justifiait en aucun cas.
Il y a d’abord eu le décret du 18 mars 2020, qui donnait aux postes hors-statut enseignant.e-chercheur.se (EC) – postes précaires, tenure-track, chaires d’excellence – l’accès à des primes jusque-là réservées aux titulaires, afin de favoriser de nouveaux recrutements précaires au lieu de titulariser les précaires qui exercent actuellement. C’est ensuite l’arrêté et le décret du 3 avril 2020, qui obligent tout∙e étudiant∙e de licence, licence professionnelle, diplôme universitaire de technologie et BTS à obtenir une certification en anglais délivrée par des entreprises privées étrangères.
Sous couvert de technicité, ces mesures sont tout sauf anodines : la première grignote un peu plus le lien irréductible qui lie les libertés académiques à la situation statutaire des EC, des chercheur∙es et des enseignant∙es ; et les secondes confient au monde marchand une partie des diplômes universitaires, rognant encore le monopole de l’État. Dans les deux cas, c’est la privatisation du service public de l’enseignement supérieur qui avance, sans que le débat soit possible en ce temps de confinement.
Parallèlement, l’effort du MESRI à lutter contre la crise est discutable : pas de remise en cause de tout ou partie du Crédit impôt recherche, alors que le CNRS lance un appel aux dons. Le Ministère n’a pas davantage financé l’acquisition d’un cryomicroscopenécessaire pour étudier le coronavirus, alors que ce dernier est réclamé par les équipes spécialistes depuis plusieurs mois.
Il est inadmissible que le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation profite du confinement général de la population pour faire passer ces mesures.
C’est inadmissible, d’abord, parce que cela signifie que le Ministère, en pleine épidémie, consacre du temps et de l’énergie à la préparation et à la mise en œuvre de ces mesures, qui, pourtant, ne présentent aucun caractère d’urgence.Pis encore, il le fait au moment même où, par ailleurs, il explique aux 120 000 vacataires de l’enseignement supérieur, pour certains en situation de grande précarité, que faute de temps en cette période d’épidémie, le paiement des heures d’enseignement est reporté, et parfois même remis en cause.
C’est inadmissible, ensuite, parce qu’une partie de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche s’oppose à ces mesures depuis des années. Elle s’y opposait plus encore ces derniers mois, avec la grande tempête de colère qui traversait les établissements jusqu’à ce que le confinement l’interrompe brutalement.
Dans une démocratie, si l’on se résout à prendre une décision aussi radicale que celle de restreindre de façon maximale les déplacements de la population dans son ensemble, on reporte toute réforme qui n’est pas directement liée à la catastrophe rendant nécessaire ce confinement. Dans une démocratie, autrement dit, on ne réforme pas si les citoyens ne disposent ni de leur liberté de manifester, ni de leur liberté de réunion, car, alors, leur liberté d’expression est trop réduite et leur droit à contester, trop affaibli.
C’est cela qu’il ne faut pas perdre de vue : si le président a suspendu la réforme des re)traites, ce n’est pas une faveur qu’il a accordée. C’est parce qu’il ne pouvait faire autrement, sauf à porter une atteinte sans précédent à trois de nos libertés les plus fondamentales : la liberté de réunion, la liberté de manifestation et la liberté d’expression.
C’est pourquoi nous demandons solennellement au Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation la suspension de toutes les mesures autres que celles qu’exige strictement l’urgence de la situation, et en particulier la suspension des mesures qui modifieraient le Code de l’éducation, le Code de la recherche et les statuts des personnels. Au moins le temps que la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche puisse à nouveau se réunir.
Pour soutenir cet appel, lien vers la pétition
Premiers signataires
Academia.hypotheses.org, équipe de rédaction du carnet d’information sur l’emploi dans l’ESR
- Association française de sociologie (AFS)
- Association des historiens modernistes universitaires de France (AHMUF)
- Association pour la recherche sur l’éducation et les savoirs (ARES)
- Société Française d’Études du Dix-Huitième Siècle
Références
Voici les textes publiés par Academia au cours du mois passé qui ont suscité l’inquiétude et les interrogations de la rédaction et qui nous ont engagé à cet appel solennel:
- À quoi servira la LPPR ? L’exemple des recrutements, par Noé Wagener, professeur de droit public, 12 mars 2020
- #LPPR, quarantine & money: changement des règles des primes au Journal officiel, 22 mars 2020
- Cynisme et turpitudes. L’enseignement supérieur et la recherche dans la loi sur l’état d’urgence sanitaire, 25 mars 2020
- #COVID19 – opération Pièces jaunes au CNRS, 27 mars 2020
- Pendant le confinement, les affaires LPPR continuent : la privatisation des diplômes universitaires en marche, 7 avril 2020
- Mensonge d’État ou incompétence ? Frédérique Vidal au Sénat, 9 avril 2020