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SOURCE : Zones subversives
Sylvia Pankhurst reste une figure méconnue du mouvement ouvrier britannique. Elle participe à la lutte féministe des Suffragettes au début du XXe siècle. Mais elle diverge avec cette organisation en raison de son fonctionnement autoritaire. Ensuite, elle ne considère pas le droit de vote comme une fin en soi. Surtout, Sylvia Pankhurst refuse le militarisme et la guerre qui appauvrit la population en 1914. Le féminisme ne doit pas se contenter de défendre les femmes issues de la bourgeoisie. Sylvia Pankhurst milite au côté des ouvrières des quartiers les plus pauvres de Londres.
Sylvia Pankhurst soutient la révolution russe et dialogue avec les bolcheviks. Elle polémique avec Lénine au sujet des élections. Les marxistes britanniques sont également divisés sur le sujet. Sylvia Pankhurst critique l’impasse du parlementarisme et de l’institutionnalisation du mouvement ouvrier. Lénine la range alors parmi les communistes de gauche dans son fameux pamphlet La Maladie infantile du communisme. Marie-Hélène Dumas revient sur le parcours de la militante dans le livre Sylvia Pankhurst. Féministe, anticolonialiste, révolutionnaire.
Suffragette et féministe
Sylvia Pankhrust grandit dans une famille de militantes féministes. Même son père défend la cause des femmes. Ses proches sont également socialistes et participent au Parti travailliste indépendant. Cette organisation fondée en 1893 vise à une égalité réelle à partir de la disparition des classes sociales et de la propriété collective des moyens de production. Néanmoins, la mère et la sœur se tournent vers le parti conservateur. Sylvia Pankhrust abandonne le Parti travailliste mais pour soutenir la révolution russe et rejoindre la cause communiste.
Sylvia Pankhrust considère que les injustices commises envers les femmes trouvent leur racine dans le système capitaliste et parlementaire qui repose sur l’exploitation de tous les travailleuses et les travailleurs. « Pour elle, seul un renversement du capitalisme et du colonialisme permettrait un jour aux femmes du monde entier non seulement d’obtenir le vote, mais de devenir les égales des hommes », précise Marie-Hélène Dumas.
Le 23 octobre 1906, Sylvia Pankhurst obtient une bourse d’étude au Collège royal des arts de Londres. Mais, en tant que femme, son avenir professionnel semble limité. Elle rencontre Keir Hardie, une figure du Parti travailliste. Syndicaliste, il mène une importante grève de mineur. Il devient ensuite journaliste. Il n’est jamais allé à l’école mais multiplie les lectures de textes socialistes et révolutionnaires. Sylvia Pankhurst devient également une militante du Parti travailliste et participe à la lutte féministe.
En 1906, les suffragettes occupent la Chambre des communes pour tenir un meeting sauvage. Elles sont arrêtées. Sylvia Pankhurst proteste au cours de leur procès. Elle est condamnée pour obstruction et injures. Plutôt qu’une amende, elle choisit deux semaines de détention à Holloway. Une fois libérée, elle dénonce la prison avec l’isolement, la solitude et le travail abrutissant. Le 12 février 1907, une manifestation féministe devant le Parlement anglais s’oppose à la police. Cinquante-quatre femmes et deux hommes sont condamnés à la prison. Sylvia Pankhurst écope de trois semaines de détention. Elle veut écrire pour témoigner de la condition carcérale.
Sylvia Pankhrust tente de concilier peinture et militantisme pour décrire les conditions de vie de la classe ouvrière du nord de la Grande-Bretagne. Au début de l’été 1907, à 27 ans, elle quitte Londres. Elle voyage dans le Pays noir du Staffordshire, ancien bassin houiller devenu une grande région industrielle. Elle se rend ensuite à Leicester. Elle traverse également le pays minier, entre Liverpool et Manchester. Elle voyage jusqu’en Ecosse. Partout où elle s’arrête, Sylvia Pankhurst peint les ouvrières à l’usine et participe à des réunions militantes. Elle constate les inégalités entre hommes et femmes.
L’art de Sylvia Pankhurst s’inspire de l’esthétique romantique incarnée par William Morris. Mais elle s’attache également à une représentation réaliste. Elle met ses talents de peintre et de décoratrice au service de l’Union politique et sociale des femmes. En 1911, elle publie The Sufragette qui retrace l’histoire du mouvement féministe entre 1905 et 1910. Le succès du livre lui permet de se rendre aux Etats-Unis pour une tournée de conférences rémunérées. Elle prend la parole devant desAfro-Américains, ce qui choque. Elle n’hésite pas à critiquer le racisme et l’impérialisme occidental. Cette position reste rare à l’époque, y compris au sein du mouvement ouvrier.
Ouvrières de l’East End
Sylvia Pankhurst critique la stratégie féministe dirigée par des personnes issues de milieux bourgeois. L’activisme minoritaire et l’interpellation des élus atteignent leurs limites. Sylvia Pankhrust s’attache à construire un mouvement de masse ancré dans les quartiers pauvres de l’Est londonien. Avec deux amies, elle part à la rencontre des ouvrières de l’East End. Elles racontent les longues journées de travail et leur montre leurs taudis insalubres. Mais il reste difficile d’organiser des réunions publiques. La cause des femmes reste minoritaire dans le Parti travailliste. Les travailleuses menaceraient les possibilités d’emplois pour les hommes. Mais les suffragettes de l’East End parviennent à s’imposer.
Sylvia Pankhrust se fait rapidement accepter par les ouvrières. Les quartiers pauvres de Londres connaissent une longue tradition de lutte. La manifestation de masse reste l’arme la plus efficace. En juin 1908, un grand défilé traverse les rues de Londres.
Les suffragettes de l’East End, ancrées dans la vie quotidienne des ouvrières, scissionnent avec le reste du mouvement en 1914. « La Fédération devient alors une organisation autonome, féministe, ouvrière, militante et radicale, concernée, même s’il reste son objectif principal, par bien d’autres problèmes que celui du droit de vote et dont les activités sont fondées sur la réalité quotidienne des travailleuses », décrit Marie-Hélène Dumas.
Sylvia Pankhrust s’oppose à la guerre de 1914, d’un point de vue socialiste et féministe. Les ouvriers vont se faire tuer pour défendre les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir et les richesses. Ensuite, les ouvrières privées du salaire de leur mari vivent dans des conditions difficilement supportables. Les suffragettes ouvrent un restaurant à prix coûtant et une crèche pour répondre aux besoins immédiats. Sylvia Pankhrust participe également à des meetings et des manifestations contre la guerre.
La révolution russe éclate en février 1917. Les ouvrières du textile lancent une grève de manière spontanée. Le mouvement s’étend progressivement à de nombreux secteurs. L’initiative provient de la base et non des organisations traditionnelles. LeDreadnought, journal des suffragettes de l’East End, se tourne vers la théorie marxiste. Il évoque la révolution russe mais aussi toutes les révoltes à travers le monde. Alexandra Kollontaï, membre de l’Opposition ouvrière au sein du Parti bolchevik, évoque la lutte des classes mais aussi la révolution de la vie quotidienne. Elle attaque le patriarcat et la morale sexuelle. Elle lutte à la fois pour l’égalité entre hommes et femmes mais aussi pour la révolution sociale.
Sylvia Pankhrust se tourne vers la lutte révolutionnaire contre l’exploitation et l’oppression. Mais elle reste attachée à l’implantation ouvrière. « Le socialisme que Sylvia Pankhrust défend est celui qu’elle met en œuvre dans l’East End, libertaire, construit autour de structures d’entraide, de production et de vie collective », souligne Marie-Hélène Dumas.
Débats avec les bolcheviks
Sylvia Pankhrust rencontre également des révolutionnaires en Allemagne, notamment Clara Zetkine. Ses discussions lui permettent de clarifier l’importance des soviets et des conseils ouvriers dans la révolution. Ces organisations de base reposent sur le débat avant la prise de décision. Les soviets permettent de s’organiser là où les gens vivent pour impliquer l’ensemble de classe ouvrière. « Elle croit en une forme locale communautaire et décentralisée du socialisme organisée autour de conseils de délégués élus, système qu’elle considère comme plus démocratique que n’importe quelle assemblée ou parlement existant et qu’elle a elle-même mise en pratique dans l’East End pendant la guerre », observe Marie-Hélène Dumas. Sylvia Pankhrust propose également de s’appuyer sur des soviets sociaux. Ces organisations ne sont pas uniquement implantées dans les usines et les lieux de travail mais aussi dans les quartiers et les lieux de vie. Ce qui doit favoriser la participation des femmes.
Sylvia Pankhrust incarne l’aile gauche du mouvement communiste britannique. Elle adhère à la IIIe Internationale de Lénine. Mais elle refuse le choix de rallier le Parti travailliste pour y créer une tendance communiste. Elle préfère s’appuyer sur une organisation autonome. Son journal le Dreadnought publie la « Lettre ouverte au camarade Lénine » rédigée par Herman Gorter. Il répond au texte sur La Maladie infantile du communisme et critique le parlementarisme qui débouche vers des compromis avec les partis bourgeois.
Mais le Parti communiste de Grande-Bretagne veut mettre le Dreadnought sous son contrôle. Cette discipline militante vise à limiter la liberté d’expression et à étouffer les débats. Sylvia Pankhrust reste attachée à la lutte et à l’auto-organisation plutôt qu’aux calculs d’appareils et aux hiérarchies. Alexandra Kollontaï critique également l’autoritarisme et la centralisation du pouvoir par Lénine et les bolcheviks. Elle soutient l’autonomie ouvrière contre la bureaucratie qui contrôle les syndicats.
Sylvia Pankhrust refuse de céder le Dreadnought. Ce journal lui permet de publier les tracts anarcho-communistes de Pierre Kropotkine, La Révolution russe de Rosa Luxemburg et des lettres de l’Opposition ouvrière en URSS. Sylvia Pankhrust, bien que proche du Parti communiste, reste attachée à la liberté et à l’autonomie. Elle refuse que la Fédération de l’East End se soumette à la centralisation bureaucratique. Sylvia Pankhrust s’attache à faire vivre des pratiques égalitaires et antiautoritaires. « Elle pense que lorsque la révolte s’organise et se hiérarchise, cela veut souvent dire qu’elle est soumise à des fins d’appareil et qu’elle finit dans la soumission au pouvoir, quel qu’il soit », souligne Marie-Hélène Dumas. Elle ne cesse de s’opposer à toutes les structures bureaucratiques.
En 1922, la marche sur Rome illustre l’avènement du fascisme. Sylvia Pankhrust analyse ce phénomène qui fleurit sur l’échec du mouvement révolutionnaire. Les partis fascistes sont financés par la bourgeoisie. Ce sont d’abord des milices au service du patronat qui tabassent les militants socialistes et les grévistes. Attachée à la liberté, Sylvia Pankhrust dénonce l’expression de dictature du prolétariat utilisée par les bolcheviks pour justifier le despotisme exercée par la clique bureaucratique sur les masses. Mais elle tient à distinguer les deux formes de totalitarisme du XXesiècle. Le fascisme et le communisme ne partagent pas les mêmes objectifs initiaux. Mais Sylvia Pankhrust n’a pas critiqué la dérive des bolcheviks durant son séjour en URSS. Elle ignore les mises en garde des anarchistes. Elle ne voit pas l’écrasement des soviets, la suppression des libertés, les prisons qui se remplissent et les exécutions massives.
Mais un an plus tard, Sylvia Pankhrust est exclue du Parti communiste. Elle rejoint alors une véritable organisation révolutionnaire. La Parti communiste ouvrier appelle à la formation de soviets et à l’abolition du salariat. Résolument antiparlementaire, cette organisation refuse toute alliance ou compromis avec le Parti travailliste. En 1924, le Dreadnought cesse de paraître. Sylvia Pankhrust soutient le mouvement des chômeurs puis la grève de 1926. Mais elle s’éloigne de l’activisme politique pour se consacrer à l’écriture. Elle retrace notamment la lutte des suffragettes.
Révolution sociale et féministe
Marie-Hélène Dumas permet de faire découvrir une figure particulièrement oubliée du mouvement ouvrier. La trajectoire de Sylvia Pankhrust reste singulière. Militante et femme libre, elle refuse de soumettre à la tutelle de la moindre organisation. Elle s’organise avec les prolétaires, d’égal à égal. Elle ouvre des débats centraux dans les mouvements sociaux, loin du consensus mou et de l’unité écrasante.
Sylvia Pankhrust polémique au sein du mouvement féministe, même contre sa mère et sa sœur. Elle soutient les luttes des Suffragettes et leurs pratiques qui reposent sur l’action directe. Mais elle observe également les dérives de ce mouvement. La lutte pour le droit de vote reste une revendication qui ne permet pas de prendre en compte les conditions de vie des ouvrières. Le féminisme doit s’articuler avec les luttes des classes pour permettre une véritable émancipation de toutes les femmes.
Sylvia Pankhrust polémique également au sein du mouvement ouvrier. Elle refuse de se plier à la ligne d’un parti centralisé, que ce soit le Parti travailliste ou le Parti communiste. Contre l’idéologie bolchevique, elle valorise l’auto-organisation et l’action directe. Elle combat les hiérarchies et la bureaucratie. La révolution doit s’appuyer sur les structures qui émergent de la révolte, comme les soviets, pour rester autonome des partis et des appareils.
Surtout, Sylvia Pankhrust fait vivre ses idées dans des pratiques de lutte. Elle ne se contente pas de postures idéologiques et de discours ronflants. Elle consacre son activité militante, à la fois féministe et communiste, à lutter aux côtés des ouvrières de l’East End. C’est son indispensable point de repère. Cet ancrage ouvrier, avec ses luttes et ses discussions, lui permet de se méfier des manœuvres bureaucratiques. Elle construit une organisation autonome qui refuse les hiérarchies et la centralisation. Elle lutte avec les ouvrières, d’égale à égale, et non pas pour les guider ou les encadrer.
La postface de Marie-Hélène Dumas évoque une pensée décoloniale. La quatrième de couverture annonce une pensée intersectionnelle. Pourtant, Sylvia Pankhrust semble très éloignée de l’idéologie postmoderne désormais à la mode. Certes, elle partage certaines chimères de la mouvance décoloniale et néo-stalinienne. Elle s’illusionne un temps sur l’URSS. Puis elle soutient la dictature éthiopienne comme une puissance anti-impérialiste.
Néanmoins, Sylvia Pankhrust reste une marxiste et une révolutionnaire. Même à la fin de sa vie, elle évoque une « fraternité universelle ». De quoi crier au racisme pour les universitaires décoloniaux. Sylvia Pankhrust lutte aux côtés de la classe ouvrière, des femmes et des colonisés. Mais elle refuse de séparer ses mouvements comme des luttes spécialisées et distinctes. Sylvia Pankhrust reste une révolutionnaire qui combat toutes les formes d’exploitation et d’oppression.
Elle peut se rattacher à la tradition de l’autonomie ouvrière. Elle soutient les révoltes spontanées qui sortent du cadre des partis. Elle défend également l’auto-organisation. Elle reste vigilante à ne pas reproduire une forme de hiérarchie et de bureaucratie. Mais sa pratique s’inscrit clairement dans une pensée globale. Plutôt que d’additionner les collectifs spécialisés, elle porte la perspective d’une révolution sociale qui ne peut être que féministe et anticoloniale.
Source : Marie-Hélène Dumas, Sylvia Pankhurst. Féministe, anticolonialiste, révolutionnaire, Libertalia, 2019
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Le marxisme critique de Karl Korsch
Une histoire de l’autonomie des luttes
Pour aller plus loin :
Pankhurst Sylvia, notice publiée sur le site du Maitron
Textes de Sylvia Pankhurst publiés sur le site de l’Archive Internet des Marxistes
Sylvia Pankhurst, La Russie soviétique telle que je l’ai vue en 1920. Le Congrès du Kremlin, publié dans le journal Workers’ Dreadnought le 16 avril 1921 et mis en ligne sur le site Fragments d’histoire de la gauche radicale
S. Pankhurst – N. Lénine, Lénine et le parlementarisme, publié dans le Bulletin communiste n°18 le 15 juillet 1920 et mis en ligne sur le site Fragments d’histoire de la gauche radicale
Sylvia Pankhurst, Pourquoi les révolutionnaires sont contre le Parti travailliste, publié sur le site du Courant Communiste International le 11 décembre 2015
Sylvia Pankhurst, “La voix d’une conscience”, publié dans La Voix Libertaire n°241, 21 octobre 1933 et mis en ligne dans Annexe : En défense de Marinus Van der Lubbe sur le site Fragments d’histoire de la gauche radicale
Critique du livre Sylvia Pankhurst. A life in Radical Politics, publié sur le site Left Wing Communism
L’art de Sylvia Pankhurst, publié sur le site Liberation Irlande le 25 janvier 2014
Maïlys Celeux-Lanval, Qu’ont apporté les artistes aux luttes féministes ?, publié sur le site de Beaux Arts Magazine le 10 octobre 2019
Myriam Boussahba-Bravard, « Vision et visibilité : la rhétorique visuelle des suffragistes et des suffragettes britanniques de 1907 à 1914 », publié dans la Revue LISA/LISA e-journal , Vol. I – n°1 en 2003
Juliette Deborde, Quand les suffragettes réclamaient le droit de vote à coup de prises de jiu-jitsu, publié sur le site du journal Libération le 5 octobre 2015
Christine (AL Orne), 1903 : Les suffragettes passent à l’action directe, publié sur le site de l’Union communiste libertaire le 8 novembre 2013