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SOURCE : Le Comptoir
Alors que le Conseil scientifique y est défavorable, que les parents et les professeurs s’inquiètent, que l’Italie, le Portugal, la Roumanie ou l’Irlande y renoncent, notre gouvernement entend vaille que vaille rouvrir les écoles le 11 mai. Il peut compter pour lui servir la soupe sur une poignée d’éditocrates drapés depuis des années dans un combat spécieux contre le « politiquement correct », la « modernité » ou le « festivisme ». Esprit rebelle, assurément, qui prend toute sa saveur dans le zèle hystérique que mettent maintenant ces gens à défendre leur Macron.
Qu’on soit bien clair : les professeurs du premier et du second degré aimeraient beaucoup reprendre le travail. Nos élèves, nos classes, notre métier nous manquent, nous n’avons pas passé nos concours respectifs pour enseigner à distance. Car, faut-il le préciser, c’est ce que nous faisons depuis plusieurs semaines – et invitons quiconque prendrait cela pour de languides vacances à s’y frotter un peu. Ce n’est pas magasinier pour Amazon, ni aide-soignant en réanimation (mais qui a seulement prétendu cela ?), cependant c’est du travail, bel et bien, et compliqué, bel et bien.
Donc, l’actuelle « grogne enseignante », comme on dit, non pas pour nous la couler douce quelques mois encore. Mais tout simplement car nous somme nombreux a avoir comme l’impression que notre gouvernement nous invite à aller serrer les boulons d’une usine à gaz, qu’on voit d’ici fumer et menacer d’exploser.
L’affaire est entendue : dans les grandes largeurs, nos dirigeants ont été mauvais, sinon malfaisants, depuis au moins le début de la crise – dont on a osé nous dire qu’elle n’arriverait pas en France et qu’elle ne nécessitait, dans le désordre, ni masques, ni confinement, ni tests, ni fermeture des écoles. Chat échaudé, alors, craint l’eau froide… mais il y a plus.
« Il faut n’avoir jamais mis les pieds de sa vie dans une école maternelle pour se figurer que des enfants de moins de 6 ans, fût-ce en petits effectifs, puissent respecter les fameux « gestes barrières », garder un masque plusieurs heures, se déplacer sans se donner la main… – mais y a-t-on seulement pensé ? »
Il y a ce plan de déconfinement du 11 mai , tergiversant, bancal, et tout compte fait assez digne du professeur Tournesol. Pour le résumer : rentrée échelonnée (ou pas, selon qu’on écoute Édouard Philippe ou Jean-Michel Blanquer, et à quelle date…), classes limitées à 15 élèves, rotations avec des activités de plein air, cours à distances pour les enfants restés chez eux. Tout cela, pour ajouter un peu au flou artistique, « sur la base du volontariat » et à l’appréciation des autorités territoriales. On pourrait se demander où se dérouleront lesdites activités de plein air quand il pleuvra, et qui les encadrera ; quand les enseignants dispenseront les cours à distance, et comment les assureront-ils dans des écoles sans internet ; comment garantir le respect des mesures de sécurité dans un va-et-vient permanent (et il faut, par exemple, n’avoir jamais mis les pieds de sa vie dans une école maternelle pour se figurer que des enfants de moins de 6 ans, fût-ce en petits effectifs, puissent respecter les fameux « gestes barrières », garder un masque plusieurs heures, se déplacer sans se donner la main… – mais y a-t-on seulement pensé ?) ; comment assurer le ratio un adulte pour 15 élèves, déjà en soi fantasque, si les collègues « à risque » restent chez eux ; ce qu’il en sera de la cantine, du transport scolaire, de la sieste des petits, des attroupements devant les écoles, etc.
« Le quidam, ce jour, est verbalisable s’il se promène seul sur une plage de 25 km, mais l’on convie ses enfants à batifoler six heures par jour par paquets de quinze dans deux semaines. »
Mais on pourrait se demander surtout quel est l’intérêt de rouvrir les écoles alors que le nombre d’infectés est largement supérieur à ce qu’il était quand on a décidé de les fermer. Ou encore quelle logique fait que le quidam, ce jour, est verbalisable s’il se promène seul sur une plage de 25 km, quand on convie ses enfants à batifoler six heures par jour par paquets de quinze dans deux semaines. Les mauvaises langues parlent de « garderie du MEDEF » ou de méthode Coué. Réamorcer la pompe, décréter que la crise est derrière nous pour qu’elle le soit en effet : belle stratégie.
En pareilles conditions, les professeurs, mais aussi les parents (inquiets par ailleurs de la récente apparition en France de symptômes proches de la maladie de Kawasaki), rechignent. Tout cela reviendrait même ni plus ni moins, selon l’Ordre des médecins ou le conseil scientifique, à « remettre le virus en circulation ». Si tel devait être le cas, d’ailleurs, on imagine très mal le gouvernement se dédire, ce qui imposerait sans doute sa destitution pure et simple. Il ira, il veut aller, jusqu’au bout. Tout prend donc des airs de baroud d’honneur, avec ses chefs aux abois, ses va-t-en-guerre, ses fanatiques.
Car arrivent ici quelques inénarrables, dont même une pandémie ne sait nous débarrasser.
Paris Match, illustré du groupe Lagardère à destination des conducteurs de Mercedes, non content de célébrer Brigitte Macron en Une ( elle « se bat pour l’hôpital » … allégation qui à elle seule devrait être passible de prison ferme), convoque la Science, oublie le conditionnel et affirme, photo d’enfant norvégien se rendant joyeusement en classe à l’appui : il n’y a pas lieu d’attendre pour rouvrir les écoles, car une étude en cours suppose que les enfants ne transmettent pas le virus. Interrogé, un « pédiatre libéral dans le XVIème arrondissent » est formel : « il n’y a pas à tortiller » . CQFD toutefois, quand une étude allemande publiée le 29 avril dit exactement le contraire. Mais il n’est que de feuilleter un instant la presse du Régime, ou de consulter sa télévision, pour être assailli de sentences définitives du même bois -auxquelles, comme de juste, personne ne croit : « Radio Paris ment… » .
Pourtant, pour dangereuse qu’elle soit dans les cas rares où elle sait convaincre, ce type de propagande n’égale pas l’ordurier des condottieres, d’ancienne ou récente allégeance, de la Macronie. Pascal Praud : « Il y a un moment, il faut y aller ». Élisabeth Lévy : « La vie c’est prendre des risques. (…) Les soldats quand ils vont faire la guerre ils vous disent venez la faire à ma place ? ». Jean-Paul Brighelli, qu’on a connu mieux inspiré et qui confesse exagérer : « …voilà une belle occasion de mourir en scène et en héros ». Ivan Rioufol, filant comme il se doit la comparaison présidentielle et inspirant comme un désir de rétablir la coutume du duel -pour voir un peu, n’est-ce pas, qui au juste est « trouillard » : « Même durant la dernière guerre l’école a continué. On est aujourd’hui dans une société qui est devenue une société trouillarde ».
« Tout prend des airs de baroud d’honneur, avec ses chefs aux abois, ses va-t-en-guerre, ses fanatiques. »
Toutes gens qui se figurent sans doute que nous passons nos journées à faire du coloriage entre deux week-ends de 6 jours, payés des millions. Or, ce qui est vrai de certains « profs » (les demi-universitaires de chez Causeur, allez savoir…) ne l’est pas de tous.
Notre Président lui-même prétendait que le monde allait changer… On se vantait il y a peu d’avoir compris beaucoup, notamment l’importance de disposer d’un service public digne de ce nom. On croyait même avoir perçu, dixit encore la présidence, que certains métiers comptaient. Et pourtant, les mêmes disent encore la même chose ; ici on conseille imbécilement dans un document officiel de « faire sortir en (sic) chacun l’entrepreneur qui est en lui », là on conchie les fonctionnaires. Ne nous y trompons pas : le faisant, fût-ce par le biais de sots chroniqueurs qui s’imaginent faire « popu » en tenant des propos d’alcooliques, c’est bien une vision du monde que l’on martèle – celle qui s’insurge contre le bien public et qui, si elle le pouvait, privatiserait jusqu’à la pluie. Celle, précisément, qui a mis l’hôpital à genoux et, donc, à qui nous serions en droit de demander des comptes. Mais qu’à cela ne tienne, on envoie Yves Calvi déplorer la « pleurnicherie hospitalière » et Élisabeth Lévy, grossièrement déguisée en nostalgique des blouses et des encriers, réclamer la tête des professeurs. Seulement, voilà : le déguisement lui va comme une chemise à un cochon et les accents contrefaits de IIIème République pour nous refourguer le monde de Bolloré, son employeur, ne trompent pas grand monde. Au reste, de deux choses l’une : pour servir la France de Cnews en invoquant celle de Charles Trenet, soit on est idiot, soit on est vil.
Toujours est-il que nous autres, professeurs de France, qui travaillons parfois dans des conditions qu’on ne saurait soupçonner dans les couloirs climatisés de Cnews, en avons assez de nous faire cracher à la gueule. Cela fait au bas mot trente ans que ceux d’en haut nous désignent à la vindicte de nos compatriotes « du privé », dans le scélérat dessein que ces derniers consentent au démantèlement du service public – qui avant tout les sert eux et nous, faut-il le rappeler. En les circonstances, il faut être conscient que de telles piques – la routine, par temps calme…- prennent des valeurs d’affronts. Aussi inviterions-nous volontiers ces braves gens à aller constater d’eux-mêmes à quoi ressemble une journée dans une école en REP+. Et ce non sans leur avoir cordialement signifié qu’il est question, dans le présent mécontentement, au moins autant de notre sécurité que de celle de nos élèves (et donc… du pays). Et qu’enfin, au contraire des soldats, nous n’avons jamais signé pour « la guerre ».
Alors, oui, qu’ils y aillent, l’expérience serait intéressante. Pas forcément à Stains ou à la Castellane, d’ailleurs, dont on aimerait bien protéger les enfants. Une école hors-contrat d’ « élite »- qu’on délocaliserait pour la peine dans le tout venant des vétustés municipales – ferait largement l’affaire.
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