La crise, jusqu’à quand ?

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SOURCE : anti-k

Alternatives économiques, 4 mai 2020

Alors que la reprise de l’offre s’annonce graduelle, l’économie française aura besoin pour se relever de mesures fortes afin de stimuler la consommation et l’investissement.

« Cette crise n’est pas une affaire de semaines. Elle n’est pas une affaire de mois. Elle est une affaire d’années et je pense qu’il faut mesurer que nous en avons pour des années avant de sortir des conséquences économiques de cette crise. » Bruno Le Maire, notre ministre de l’Economie, n’y a pas été par quatre chemins le 15 avril dernier à l’Assemblée nationale. Sa prédiction d’une économie française durablement affectée par les effets de la crise sanitaire est-elle justifiée ? Honnêtement, personne n’en sait rien. Tout dépend de la réponse à deux questions : la sortie progressive du déconfinement va-t-elle permettre une relance de l’économie à court terme ? la crise aura-t-elle durablement affecté notre potentiel de croissance de long terme ?

Quelle reprise ?

Selon les estimations convergentes de l’Insee, de la Banque de France et de l’OFCE, l’activité française en confinement se situe environ un tiers en dessous de l’activité normale. Si l’on se concentre sur le seul secteur marchand, c’est en fait tout juste la moitié de l’économie française qui tourne encore. « C’est énorme ! », s’exclame Xavier Ragot, le président de l’OFCE.

Le début de déconfinement à partir du 11 mai va-t-il permettre de relancer l’activité ? Pour Florence Pisani, directrice de la recherche économique pour la société de gestion Candriam, « cela prend du temps de faire repartir l’économie, on ne doit pas s’attendre à une reprise rapide ». A partir du 11 mai, le retour à des journées de travail sera très progressif et suivi par les vacances d’été. « Les gens ne retourneront pas au travail tant que les lieux ne seront pas sécurisés », souligne l’économiste de la London School of Economics, Camille Landais. De plus, ajoute-t-il, « certains secteurs ne vont pas pouvoir repartir alors que d’autres seront en forte demande », comme l’agriculture par exemple. Le premier mois « normal » se situe plutôt en septembre. La reprise de l’offre sera donc graduelle. Qu’en sera-t-il du côté de la demande ?

Le mauvais exemple chinois

La Chine étant sortie la première du confinement, tous les regards se tournent vers elle comme indicateur avancé de ce qui pourrait nous arriver. Si la reprise de l’offre y semble rapide – dans la mesure de la fiabilité des statistiques officielles, l’industrie ne serait pas loin d’avoir déjà retrouvé son niveau de fin 2019 –, c’est une tout autre histoire du côté de la demande.

Comme il est encore trop tôt, à ce stade, pour compter sur une reprise de l’investissement des entreprises, la mauvaise nouvelle provient de la consommation des ménages. Une partie de la frilosité des Chinois  s’explique par leur crainte d’une seconde vague du virus. Mais une partie seulement. Leur pouvoir d’achat a été affecté par des pertes d’emplois importantes, et si les entreprises reprennent leurs salariés, c’est après leur avoir imposé des réductions de salaires ou la prise de congés sans solde.

Les revenus des Français seront en dessous des revenus normaux, mais de manière mieux maîtrisée qu’en Chine. Pour autant, cela ne garantit pas forcément une reprise rapide de la demande

La France ne sera pas logée à la même enseigne. L’indemnisation salariale à 100 % au niveau du Smic et à 85 % du salaire net jusqu’à 4,5 Smic pour les personnes en chômage partiel (certaines entreprises complètent la rémunération jusqu’à 100 %) permet de limiter les baisses de revenus. S’y ajoutent l’annonce de primes exceptionnelles pour les fonctionnaires, en particulier ceux des hôpitaux, ainsi que l’aide de 150 euros (plus 100 euros par enfant) pour les personnes au RSA. Les revenus des Français seront en dessous des revenus normaux, mais de manière mieux maîtrisée qu’en Chine. Pour autant, cela ne garantit pas forcément une reprise rapide de la demande.

Le rôle clé de l’épargne

Tout va d’abord se jouer autour de notre comportement d’épargne. Les ménages se retrouvent avec des revenus plutôt préservés tout en étant dans l’impossibilité d’en consommer une grande partie. Les chiffres sont impressionnants : l’OFCE estime le surplus d’épargne à 55 milliards d’euros sur huit semaines de confinement, soit une hausse spectaculaire de 27 points de revenu disponible durant cette période ! Qu’allons-nous faire de ce bas de laine ?

Pour Xavier Timbeau, directeur principal à l’OFCE, « c’est de l’épargne forcée, elle devrait être utilisée une fois que l’on pourra consommer ». Si c’est bien le cas, la consommation pourrait connaître une reprise suivant le rythme progressif du déconfinement. Mais un autre scénario est possible. La crainte d’une crise durable, les incertitudes sur l’avenir et un niveau élevé de défiance vis-à-vis des messages de santé publique du gouvernement1 peuvent inciter à préserver une épargne de précaution qui mettrait beaucoup de temps à se libérer. C’est clairement la crainte de Bruno Le Maire pour qui cet argent « ne va pas se débloquer du jour au lendemain. Il est probable que les consommateurs auront des comportements attentistes. »

Faute de demande des ménages, les chefs d’entreprise n’investiront pas

Or, si les ménages consomment trop peu, ils ne réveilleront pas les « esprits animaux » des entrepreneurs, selon l’expression de l’économiste britannique John Maynard Keynes, c’est-à-dire leur volonté d’aller de l’avant, sans lesquels, selon lui, « l’entreprise s’évanouit et meurt ». Faute de demande des ménages, les chefs d’entreprise n’investiront pas.

« On ne peut pas exclure une chute brutale de l’investissement, s’alarme Florence Pisani. Cela dépendra des réponses de politique économique. » En effet, les politiques d’austérité qui ont suivi la crise de la zone euro ont fait chuter l’investissement, l’activité et l’emploi. Il ne faudra pas commettre la même erreur.

« Un très gros déterminant de l’investissement ? Les carnets de commandes. Il faudra un engagement du politique pour dire qu’on ne laisse pas tomber la demande », acquiesce Philippe Martin, le président délégué du Conseil d’analyse économique. « Il faudra donc inciter la demande », confirme le ministre de l’Economie. Avec quelles mesures ? Des revalorisations salariales ? Des aides à l’investissement ? En France seulement ou en Europe ? On n’en est pas encore à la définition précise du nécessaire plan de relance et de transition écologique de sortie de crise. De son contenu et de son ampleur dépendra la future santé de l’économie française.

CHRISTIAN CHAVAGNEUX


  • 1.  « Les Français et la science », par Mathieu Perona, Note de l’Obervatoire du bien-être n° 2020-04, Cepremap, 15 avril 2020.

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