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SOURCE : Marianne
LA MAISON N’EST PAS UN MONDE, L’ÉCRAN PAS UNE CLASSE
La « classe virtuelle », s’est imposée comme dispositif d’urgence de garantie d’une continuité pédagogique en période de crise sanitaire. Effet inattendu : le suivi scolaire dispensé par écran interposé (logiciel « pronote », plateformes de vidéo-conférences en direct et messageries en ligne) a fait apparaître en creux le rôle indispensable des professeurs dans l’évolution des enfants et des adolescents. L’étude dirigée à domicile ne remplace pas la leçon écrite au tableau et prononcée par le professeur devant ses élèves. Combien d’enfants et d’adolescents ont confié que leurs profs leur manquaient terriblement pendant le confinement et continuent de leur manquer quand leur école n’a pas pu ouvrir à nouveau ses portes pour raisons sanitaires ! Une reconnaissance méritée, quand on sait à quel point l’institution scolaire et les professeurs sont communément injustement dénigrés. L’assignation à résidence familiale, qui exacerbe les inégalités de conditions matérielles, culturelles et affectives, tend à prouver que la devise républicaine est pas flatus vocis mais une réalité quotidienne. Pendant toute la durée du confinement, de nombreux reportages ont mis au jour la disparité sociale entre enfants (degré de confort du foyer, de l’équilibre des relations entre parents, du souci de ces derniers pour l’épanouissement de leurs enfants). En temps ordinaire, l’école réduit l’érosion que creuse sur les jeunes visages la pauvreté des biens et des liens. Les enfants qui ne bénéficient pas de l’affection inconditionnelle, des fonds conséquents et du préceptorat avisé de la part de leur famille ont toute leur place légitime.
De la maternelle au doctorat, le foyer domestique augmenté d’écrans ne constitue pas un monde et n’ouvre pas non plus au monde.
En classe, au sein de ce lieu protégé des pressions contingentes, les élèves sont essentiellement libres. Ils ont aussi à le devenir en prenant une distance réfléchie par rapport aux habitudes, aux modes et aux dogmes. L’école, au contraire du lieu de confinement qui expose à l’arbitraire,au repli et à la souffrance, est un lieu de protection. Il y a des inégalités entre élèves mais ce n’est pas l’école qui les produit ni même les reproduit. Au contraire, le système éducatif républicain, laïc, parce qu’il ne renonce à aucune exigence intellectuelle (en remplaçant les cours par des séances ludiques, par exemple, laissant le soin aux familles de rémunérer des répétiteurs ou coachs particuliers) , et ne cède à aucune emprise idéologique ou intérêt particulier, tend à diminuer l’impact des inégalités entre citoyens mineurs.
LE PROFESSEUR, MÉDIATION INDISPENSABLE
En pleine crise de Covid19, sur TikTok et Twitter en ce moment, les sujets de médecine et de biologie sont abordés par des questions du genre : « A quoi ça sert, le test anti-covid ? Les vaccins sont-ils liés aux manipulations génétiques et avec la 5G ? Et la chloroquine, ça marche ? ». Ce n’est assurément pas avec de tels bribes de débats que l’on pourra s’instruire et acquérir une culture scientifique, culture sans laquelle s’installent tous les préjugés, les entreprises de séduction, les calomnies et les faux, viraux sur les réseaux de conversation en ligne. Le confinement aura ainsi fait apparaître la nécessité impérieuse de l’école dans la formation des jeunes à l’esprit critique. L’instruction publique seule est à même de transmettre une culture scientifique, car elle suppose la médiation du professeur entre l’élève et l’objet de la connaissance. Le professeur, nécessairement aussi subjectif qu’un parent puisque humain mais dont la démarche pédagogique obéit à une exigence d’objectivité, analyse, corrige, met en perspective les faits, les affirmations, les interrogations. Il pousse l’élève à se remettre en question pour progresser dans la réflexion (surtout en philosophie), quand les réseaux sociaux n’incitent qu’à la réaction émotive binaire immédiate et définitive (j’aime ou je n’aime pas).
LA FIN DE LA VIE ÉTUDIANTE ?
A la différence de Zoom et de Discord, plateformes qui ne le sont que par métaphore, l’école est un lieu social. C’est d’ailleurs le seul lieu où un enfant peut choisir par lui-même ses fréquentations. Dans ce contexte de post-confinement plus que jamais, les jeunes ont besoin de se construire parmi les autres. De se regarder dans les yeux, de s’approcher, de partager un verre ou un repas. A dix-huit ans, on se demande comment se construire soi, comment construire un monde. On ne devient soi, on n’existe que dans l’intersubjectif. L’action en société associative ou politique, se situe très précisément à la croisée de la trajectoire individuelle autonome et du plan commun. Le défi pour les jeunes en post-confinement est de parvenir à continuer d’articuler la singularité (l’indépendance individuelle) et la solidarité (l’interdépendance collective) en dépit de la conjoncture inédite.
En septembre, les futurs étudiants auront grand besoin de se retrouver dans des amphithéâtres. Quand la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal déclare : « Nous avons demandé aux établissements de prévoir que les cours magistraux puissent être offerts à distance », il y a lieu de s’inquiéter. Des milliers de bacheliers pourraient dorénavant être incités à demeurer des années domiciliés chez leurs parents devant un ordinateur au lieu de sauter dans le train de leur vie adulte. Que deviendra la vigueur de la vie estudiantine qui anime nos villes, Paris, Rennes, Lille, Strasbourg…? Comment pourraient se dessiner chez les adultes en devenir une opinion politique et un horizon d’existence, si ce n’est à travers la discussion de vive voix, les luttes, les coups de coeur et les fêtes ? De la maternelle au doctorat, le foyer domestique augmenté d’écrans ne constitue pas un monde et n’ouvre pas non plus au monde.