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SOURCE : Blog d'Antoine
Ce qui se passe en ce moment autour de la loi travail commence à mettre au clair ce que, d’une part, l’accord de législature, alias accord de gouvernement, entre le PSOE et Podemos et, d’autre part, l’accord pour négocier sur la Catalogne entre les deux suscités et ERC, occultait : la réalité d’un gouvernement manoeuvrier essayant de se dépêtrer de sa fragilité politique en embarquant tel ou tel au gré des circonstances. Cela s’appelle de la navigation à vue où les principes, voire l’éthique minimale, sont passés par-dessus bord. La preuve par la dernière prouesse de l’autodénominé gouvernement de gauche ou progressiste : un accord en règle signé avec Ciudadanos en “oubliant” 1/ que ce parti n’a aucunement dans son orientation l’abrogation de la loi travail prévue dans l’accord de gouvernement et 2/ qu’il est un totalitaire opposant au droit d’autodétermination de la Catalogne et d’ailleurs l’un des artisans de la criminalisation du mouvement indépendantiste au point de faire une terrible concurrence à Vox.
Nadia Calviño est passée à l’offensive, Pablo Iglesias a encaissé le coup… Sánchez, n’ayant pas vu venir la charge, a dû se dédire.
Voilà en une première approche comment la “gauche” de gouvernement se renie, surtout le parti se réclamant de la nouvelle gauche, Podemos, mais qui voit se réduire ce qu’il a pu croire, un instant, être une marge de manoeuvre, mais, attention, de “gauche”, pour faire pression sur un PSOE qu’il sait pourtant bien ne pas être si à gauche qu’il dit maintenant, loin de ce qu’il disait à ses débuts. Mais revenons sur ce qui s’est passé qui, un évènement d’école, devrait amener à méditer ceux et celles qui, oublieux au moins de ce qu’historiquement (au sens de “depuis la mort de Franco” !) est le PSOE, propagent l’idée que ce gouvernement est de gauche. De gauche était, si l’on veut, l’accord de gouvernement prévoyant, sans trop de précisions, l’abrogation de la loi travail de Rajoy promulguée en 2012 mais omettant, ce qu’un temps Podemos demandait aussi, l’abrogation de la loi “du même tonneau” de l’austérité immédiatement antérieure adoptée par le gouvernement du… socialiste Zapatero. Les Indigné.e.s savaient, de par leur expérience au quotidien de ce que sont le chômage et la précarité, contre qui il se soulevaient. Rappelez-vous l’un de leurs slogans les plus sonores “PP-PSOE, la misma mierda es”. Pas la peine de traduire…
L’abrogation de la loi Travail devient d’une actualité urgente…
On dira donc qu’abroger la loi de droite sans toucher à sa petite soeur (ou petite mère) de gauche, devrait commencer à refroidir les extases sur la gauchitude de ce gouvernement. Une parenthèse ici : il est certain que le salaire minimum a été augmenté et que, “a bombo y platillo” (roulez tambours), on nous annonce qu’un “revenu minimum garanti” va être tout prochainement mis en place. Passons sur le fait, pourtant important, qu’un revenu minimum garanti, dont on sait qu’il se situera en dessous du smic espagnol, est 1/ une mesure toujours bonne à prendre par les bénéficiaires mais qui permet seulement de survivre (une mesure de gauche aurait cette finalité, permettre de survivre ?) et 2/ est une arme de guerre contre le salaire minimum lui-même, appelée à devenir, plus tôt que tard, la référence puisque ledit revenu minimum sera compatible avec une activité professionnelle pour le plus grand profit d’un patronat dispensé de débourser ce que le revenu minimum couvrira aux frais des contribuables ! Enfin, le fond des choses est qu’un coup à gauche (pas si à gauche si on me suit) pour deux, trois ou quatre coups à droite, cela ne donne pas un gouvernement de gauche. Et de ce point de vue, les coups à droite, on les a sous le nez, sans que Pablo Iglesias fasse plus que, dans le meilleur des cas, twitter que, non, ça ne va pas et …pas plus ! Comprenez, il y a le revenu minimum garanti, on ne peut pas rompre et mettre en péril cette avancée. Une ministre podemite du Travail peut ainsi se faire la maîtresse d’oeuvre d’une politique de chômage “temporaire”, pendant la crise sanitaire, impliquant une perte sèche de 30% du salaire, qui plus est avec un million des salarié.e.s concernés n’ayant pas touché à ce jour la moindre indemnité. On a vu quelque chose d ‘apparenté en France avec un PC “accommodant”, résistant tant qu’il a pu, dans le premier gouvernement Mitterrand, avant de se décider à rompre (Podemos semble capable de résister très longtemps) et payer le prix d’avoir laissé croire que le PS était tellement de gauche que la vie tout simplement allait changer ! On avait assez vite vu que ce qui avait changé c’était la gauche ! En Espagne, les prisonniers catalans sont toujours prisonniers et les indépendantistes pourchassés dès qu’ils descendent dans la rue, ce qui n’arrive pas avec les partisans de Vox, les migrants sont toujours maltraités et renvoyés “en caliente” (à chaud), sitôt pris, dehors, retour au pays ! Histoire de ne pas laisser des voix à cette extrême droite.
Le fait est que la gestion de la crise pandémique est une vraie catastrophe, faite de la façon la plus chaotique qui soit et, façon très à droite, mobilisant l’armée, quand déjà mobiliser la police n’est pas un cadeau, et surtout recentralisant le fonctionnement des institutions en enlevant (155 pas oublié mais là ce n’est pas réservé aux Catalan.e.s) aux communautés autonomes leur autonomie, véritable aberration si l’on veut bien penser que ce n’est pas depuis Madrid que l’on est le mieux en mesure d’être au plus près des besoins de la lutte antipandémique à Barcelone, Saint Sebastien ou Séville ! On aurait voulu faire la démonstration que l’Etat central, qu’il soit de droite ou “de gauche”, a bien pris un virage centralisateur, on ne s’y serait pas pris autrement. Avec le risque de voir revenir un méchant boomerang : celui de l’urgence plus largement partagée ici ou là à devenir indépendant puisque l’autonomie se révèle être un leurre !
Mais abordons de près ce qu’il est advenu de “la “mesure sociale, emblématique de la gauchitude de ce gouvernement : au croisement de la lutte contre la pandémie, de la manoeuvre pour neutraliser le danger national, catalan (merci ERC), et de continuer à donner des gages qu’on est de gauche même si on fait ami ami avec Ciudadanos, on a donc battu le rappel du social en remettant sur la table l’idée de l’abrogation de la loi travail. Rappelez-vous, longtemps Podemos a été l’outil pour faire miroiter en Catalogne que, à défaut d’obtenir quelque chose du côté “national”, on pouvait bien gratter du côté social : le bon peuple catalan, disait Iglesias à ses interlocuteurs catalans, saurait se “contenter” de mesurettes sociales et oublier les “loufoqueries” indépendantistes. Cela aurait pu être vu comme de la manoeuvre et du mépris, mais tout le monde ne l’a pas vu ainsi. Donc “l’abrogation de la loi travail”, cette mirobolante promesse de gauche, a récemment été ressortie de la boîte où elle était reléguée. Opportunément, autant dire de façon opportuniste car cela n’a pas été pour elle-même mais pour faire passer au Congrès le prolongement de l’état d’urgence pour cause de Covid-19 en se gagnant l’appui, devenu incontournable, des parlementaire basques de Bildu, vous savez les “terroristes d’ETA”, comme les appellent le PP et Vox et que le PSOE, jusqu’à il y a peu ne portait pas dans son coeur. Dans leur logique “terroriste” (j’ironise, soyons clair), Bildu a fait monter les enchères en mettant dans la balance rien moins que l’abrogation de ladite loi travail. Pas de problème, Sánchez a dit banco, demandant seulement aux signataires de l’accord, les député.e.s de Podemos, du PSOE et de Bildu, de, tenez-vous bien, ne pas mentionner cette abrogation avant que le vote sur la prolongation de l’état d’urgence ne soit voté ! Vous ne me croyiez pas quand je parlais de manoeuvres ?
Patatras, abroger tout sec, ce n’est plus possible
Mais un gros grain de sable s’est glissé dans les rouages de cet opportunisme : on l’avait oubliée, Podemos pensait l’avoir marginalisée en s’étant mis Sánchez dans la poche, mais Nadia Calviño, néolibérale parmi les plus néolibérales du PSOE, vice-ministre en charge des Affaires Economiques, a sorti les dents et elles sont aiguisées : jusqu’à envoyer dans les roses Sánchez himself, obligeant le gouvernement à faire marche arrière sur l’abrogation promise et piteusement faire savoir qu’en fait il faudrait remanier seulement les points les plus dommageables de cette loi pour les salarié.es. Ou alors que l’accord sur l’abrogation ce n’était pas pour tout de suite et que cela voulait dire qu’il faudrait négocier avec les “partenaires” sociaux… Ce que les syndicats se sont empressés d’approuver.
Cette ministre a sorti le grand jeu, appuyée par un patronat qui avait dénoncé violemment cet accord : déduisez-en que, dans le PSOE et dans le gouvernement, comme c’était au demeurant prévisible, on peut amuser un temps le patronat et le deep PSOE libéral, mais le (pseudo) “principe de réalité”, auquel tiennent tant les gens de gauche raisonnable, revient au triple galop. Nadia Calviño, en fine tacticienne, ayant compris qu’il fallait faire le dos rond pour amener le duo, Podemos jouant à croire au Père Noël et Sánchez le maître opportuniste, à s’enferrer, a choisi son moment pour rappeler à l’ordre libéral capitaliste cette gauche se targuant d’être de gauche sans vraiment l’être. Plus que jamais, au moment de convaincre les dirigeants de l’UE, spécialement les allemands et les hollandais, qu’il faudrait débourser des sommes considérables pour une Espagne chamboulée par le Covid-19 car, selon eux, prise au piège d’être une compulsive et anarchique dépensière, elle a fait valoir à ces turlupins “de gauche” qu’on allait dans le mur avec cette “sottise” d’une abrogation de la loi en question. Les dits dirigeants ordo-libéraux de l’UE ont en effet un décodeur qui leur aurait fait dire qu’en abrogeant la loi travail, l’Espagne disqualifiait leur propre choix d’imposer aux autres peuples la même loi travail antitravail. Il serait bon de se souvenir que Nadia Calviño a eu en charge pendant des années les cordons des budgets européens et qu’elle sait parfaitement les lignes rouges que l’UE, toute bienveillante qu’elle s’affiche en ces temps pandémiques, n’est pas près d’accepter qu’on franchisse. Et comme ni le PSOE, ni Podemos (qui n’est jamais revenu sur son soutien à l’autéritaire “de gauche” Tsipras) ne prévoient de mobiliser pour créer un rapport de force contre ces choix européens d’un capitalisme bon teint, on ne s’étonnera pas de la palinodie de Sánchez et, de fait, d’un Iglesias se contentant de rappeler qu’un accord signé devrait être respecté. Des mots, des mots, chantait Dalida. Ceux de la ministre des Affaires économiques ont un autre poids que ceux du dirigeant podémite renvoyé à l’humilité, voire l’humiliation, de ne pouvoir rien faire d’autre que gémir.
Rectification “sociale” avec un prix politique
Mais le problème, c’est que, si la droite du PSOE a remis de l’ordre libéral dans le perturbateur logiciel des manoeuvres opportunistes du sanchisme au Congrès des député.e.s, le désordre politique s’en trouve, lui, aggravé : la gauche est prise dans une contradiction de plus en plus intenable en jouant au sauve qui peut pour avoir une majorité parlementaire qu’elle n’a pas à elle seule. Elle a cru parvenir à faire un coup politique en se gagnant les voix de la droite (Ciudadanos qui, en déroute électorale, cherche à se recentrer en se rapprochant d’un PSOE jusque là honni), en sachant que Podemos avalera la couleuvre de par son propre affaiblissement. Mais au prix de deux coups de massue : l’offensive teigneuse de Nadia Calviño en interne mais aussi la défection d’ERC mis dans l’impossibilité de voter pour le gouvernement ou s’abstenir, comme il faisait jusque là, alors que Ciudadanos, toujours aussi anticatalaniste indépendantiste, ferait l’appoint des voix nécessaires à Sánchez ! Et ne parlons pas de la colère rentrée des Basques du PNV (droite autonomiste), fidèle soutien de Sánchez contre quelques concessions électoralistes, devant l’accord passé avec le rival indépendantiste Bildu qui aurait pu lui permettre de se présenter aux toutes prochaines élections autonomiques dans la position avantageuse du nationaliste soucieux du social au point d’imposer à Madrid une mesure de première importance. Mais Nadia Calviño veillait au grain.
Soulignons au passage qu’ERC pourrait bien payer aussi d’avoir laissé penser que le PSOE et Podemos allaient négocier sérieusement sur les droits de la Catalogne. Il y a comme une gifle monumentale qui a été administrée à des républicains bien “nigauds”. Gifle d’autant plus douloureuse que, face au vote contre d’ERC, Sánchez n’a pas pris de gants pour souligner son inconséquence. Ce qui, osons le dire, n’est pour le coup pas faux ! Terrible leçon sur la capacité qu’a le sanchisme à embarquer les gens dans ses sinuosités d’homme d’appareil soucieux avant tout de rester au pouvoir que ce soit en allant à droite, à gauche, au centre… toujours sans sortir du système, en essayant de phagocyter ses alliés (mais sans pouvoir faire de même avec Nadia Calviño). Et ensuite de venir achever le benêt qui a cru qu’il avait une parole (de fait, pourtant, Sánchez a toujours dit qu’il ne négocierait pas un droit d’autodétermination !)…
Cela dit, le discrédit de ces virevoltes sanchistes pourrait bien réduire toujours plus les marges de manoeuvre : le grand échec de la girouette étant de ne pas avoir convaincu la droite “populaire”, héritière historique du franquisme, de faire un deal de gouvernement (au moins par de l’abstention continûment négociée) lui permettant de renvoyer Podemos à sa profonde crise (spectaculairement mise en évidence par son récent congrès mobilisant à peine le tiers des votants du précédent !), de satisfaire Nadia Calviño qui est l’entremetteuse incontournable pour être dans les petits papiers de l’UE, et de repartir de plus belle contre l’hydre catalane, voire basque si elle s’avisait de renaître. Mais voilà, le PP, revivifiant son syndrome prédémocratique, joue à dépasser Vox sur sa droite, en appuyant l’actuelle mobilisation de rue des quartiers chics de l’Etat espagnol contre “l’incapable Sánchez et le ‘communiste’ Iglesias”. Une mobilisation à prendre au sérieux car elle pourrait bien se gagner d’autres couches de plus en plus déçues par le pitoyable spectacle de “la gauche” gouvernementale. Par où il se confirmerait, une fois de plus, hélas, que les démissions de la gauche, son refus d’assumer les radicalités nécessaires pour combattre les diverses crises croisées, sont l’un des aliments les plus forts de la droitisation de pans entiers de la société.
Antoine
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