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SOURCE : Cerveaux non disponibles
A la mi-avril, le gouvernement annonce vouloir gratifier les soignants impliqués dans l’épidémie à Coronavirus de primes, de 1500 euros pour les personnels hospitaliers directement impliqués, de 500 euros pour les autres. Loin de nous réjouir, ces primes nous choquent et nous humilient. Nous, personnels hospitaliers, membres du Collectif Hôpital Ouvert, nous opposons à ces primes.
Ces derniers temps, le monde hospitalier a connu deux mobilisations notables, en réponse à deux crises différentes.
La première mobilisation a fait face à une crise structurelle et dure depuis des années. A travers la constitution de collectifs, de nombreuses grèves, et des démissions administratives, le personnel hospitalier était unanime : les politiques d’austérités mises en place par les gouvernements successifs mettent l’hôpital en danger. Des moyens, humains et financiers étaient sollicités mais le gouvernement faisait la sourde oreille et réprimait nos manifestations. Les personnels de santé, eux, palliaient les manquements de l’État pour que les patients n’en fassent pas les frais.
La deuxième mobilisation fait face à une crise sanitaire et dure depuis plus de deux mois. Pour affronter la pandémie à Coronavirus, le monde hospitalier s’est réorganisé, renforcé, et nous avons tous, directement ou indirectement, agi avec la population afin que les victimes soient les moins nombreuses possible. Pendant que le gouvernement et les instances dirigeantes administratives étaient débordés par la situation, les services se sont très rapidement transformés et adaptés localement et spontanément. Cependant, bien nombreux ont été les acteurs de soins à avoir souffert du manque de réactivité du gouvernement pour soutenir sa population et ses hôpitaux, cette fois en conditions d’urgence.
Le 15 avril, Edouard Philippe annonce une prime exceptionnelle pour les soignants mobilisés dans cette crise sanitaire.
Cette annonce ne nous réjouit pas. Au contraire, elle nous offense et nous scandalise.Une prime ponctuelle de 1500 euros pour les mieux lotis, de 500 euros pour celles et ceux « qui n’ont pas eu la chance » d’être « au front » contre le Covid-19. Et passé le mois de mai ? Cette prime est une réponse ponctuelle à la crise sanitaire et permet au gouvernement d’occulter la nécessité de répondre à la crise structurelle que connait notre Hôpital. Après le mois de mai, donc, retour à la situation antérieure, c’est-à-dire à une situation critique.
Par ailleurs, nous, soignants de l’hôpital public, sommes des fonctionnaires d’État, et à ce titre, travaillons à une mission de service public, en l’occurrence le soin. Notre mission est indépendante de la charge de travail, physique ou psychologique qu’elle implique. Aussi, notre actuelle mobilisation n’a rien d’héroïque, elle fait partie intégrante de notre engagement professionnel. Nous ne la menons pas par motivation financière, mais par engagement social et humain. Vouloir y répondre par une gratification monétaire est un affront que nous fait le gouvernement.
La tendance est à l’héroïsation des personnels de santé. Et cette prime va dans ce sens. Héroïser de façon ponctuelle notre engagement, c’est finalement nier celui que nous apportons quotidiennement, indépendamment de cette crise sanitaire, pour pallier la crise sociale dont l’État est responsable.
« Au fond, nous savons ce que nous leur devons. », nous dit Edouard Philippe. Ce que le gouvernement doit à son peuple et à son hôpital public, ce n’est pas une prime exceptionnelle. C’est le respect de l’humain, des valeurs sociales sur lesquelles est basé le service public, et par là, c’est une revalorisation globale, financière et humaine de l’Hôpital, la même que nous demandons depuis des mois. Gratifier financièrement les soignants, les récompenser, c’est, de la part du gouvernement, se donner le beau rôle. Une position trop facile après nous avoir ignorés et humiliés lorsque nous nous battions pour notre Hôpital. Bien sûr, l’annonce de cette prime a pu être vécue positivement par les plus précaires d’entre nous, ceux pour qui cette somme représenterait une bouffée d’oxygène. Cela révèle à quel point leur salaire habituel est insuffisant et renforce l’idée selon laquelle le besoin n’est pas à une gratification ponctuelle mais à une revalorisation durable, en l’occurrence, des salaires hospitaliers les plus bas. Ne nous méprenons pas, la honte n’est en aucun cas à ceux qui accepteraient ces primes, mais à ce gouvernement qui ose la proposer comme réponse unique à une précarisation progressive de l’hôpital public.
Pour finir, nous considérons, dans ce contexte difficile, avoir la chance de conserver nos revenus, quand d’autres souffrent des conséquences financières dues aux stratégies de confinement : chômage et licenciement pour certains salariés, absence de revenus pour les indépendants. La précarité explose ces derniers mois, et nous pensons que ces primes aux soignants, qui n’ont de but que la gratification, devraient bénéficier aux plus démunis de notre population, ceux qui souffrent des dommages collatéraux de cette épidémie.
Pour toutes ces raisons, nous sommes opposés à ces primes, et refusons tout ce qu’elles représentent. Nous profitons de ce texte pour réitérer les revendications de revalorisations humaines et financières de l’Hôpital Public, indispensable à son bon fonctionnement et à la prise en charge de ses patients. Le temps n’est pas à la construction de héros mais au soin de la population, de ses précaires, et donc, aux services publics qui garantissent ce soin.
Collectif Hôpital Ouvert