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SOURCE : Front syndical de classe
A propos du soutien syndical à l’opération Macron-Merkel ci-après l’analyse de nos camarades J.-P. Page et Pierre Lévy
Incroyable attelage syndical
pour soutenir le plan Macron-Merkel.
Cinq organisations syndicales françaises dont la CGT, et la Confédération des syndicats allemands (DGB) ont publié, le 20 mai, un texte commun. Son propos explicite et avoué est de soutenir l’initiative commune du président français et de la chancelière allemande pour une « relance » européenne.
Les directions syndicales n’ont vraiment pas perdu de temps : moins de quarante-huit heures après la conférence de presse conjointe d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel, elles exhortent à « emboîter le pas » à la proposition franco-allemande, tout en revendiquant plus d’intégration et donc moins de souveraineté. Simultanément, les organisations patronales allemande, italienne et française se sont exprimées de manière tout à fait convergente. Bel unanimisme !
« Emboîter le pas »… l’expression est savoureuse. Et sur le fond, l’événement est inédit. Certes, depuis deux décennies, le cousinage avec des centrales d’obédience sociale-démocrate au sein de la Confédération européenne des syndicats (CES) a profondément transformé l’idéologie qui prévaut au sein de la direction confédérale de la CGT. Jusqu’à présent cependant, celle-ci n’était jamais allée jusqu’à donner un satisfecit aux deux grands défenseurs des travailleurs qui siègent respectivement à l’Elysée et à la chancellerie fédérale.
Le texte ne se contente pas d’un soutien. Il appelle à aller plus loin dans la voie conjointe et indissociable : encore plus d’Europe, et encore plus de « vert ». Il y a quinze ans tout juste, la direction confédérale de la CGT essuyait un cinglant désaveu quand le Comité Confédéral National se positionnait clairement pour rejeter le projet de traité constitutionnel. Aujourd’hui, les dirigeants confédéraux récidivent, en pire : ils n’hésitent pas à marteler que « seule une réponse européenne ambitieuse » pourra faire repartir la croissance.
D’abord, une telle affirmation apparaît comme farfelue au regard de l’expérience de ces dernières années la zone euro, avec l’austérité qui en est indissociable, a eu les pires résultats au monde. Du reste, sa politique de restrictions et de rentabilité à tout prix en matière de santé n’est pas étrangère aux dramatiques conséquences de l’épidémie de Covid 19 et au désastre de sa gestion. Cela a d’ailleurs conduit des pays comme l’Italie à faire appel, avec succès, à la solidarité de Cuba, de la Russie et de la Chine.
D’autre part et surtout, les dirigeants européens, et la Commission européenne en particulier, définissent désormais comme priorité numéro un leur « Pacte vert », qui vise ouvertement une « transition écologique ». Est explicitement visée l’industrie « carbonée » : l’automobile, la construction aéronautique (ainsi que le transport aérien), mais aussi les raffineries et la sidérurgie sont en première ligne.
Au nom d’un « verdissement » que réclament de plus en plus d’appels patronaux et de médias dominants, il s’agit de se débarrasser des secteurs qui rassemblent bien souvent la classe ouvrière aux traditions de luttes les plus ancrées. La liquidation des mineurs avait joué un rôle précurseur. Du reste, le président de la confédération européenne des syndicats industriels IndustriAll, le syndicaliste belge Luc Triangle, signalait que ledit Pacte vert allait menacer pas moins d’onze millions d’emplois, précisant qu’il n’évoquait là que les emplois directs. Pourtant, IndustriAll est partie prenante de la CES, et donc insoupçonnable d’être climato-sceptique…
Dans le « monde d’après » dont essayent de nous faire rêver les élites dirigeantes, patronales, politiques, syndicales et médiatiques, il est peu probable que les millions de futurs chômeurs se recasent tous comme auxiliaire de vie, comme designer de sites Web, voire comme techniciens d’isolation des bâtiments.
On notera enfin que parmi les axes de Bruxelles dans le cadre de la « transition écologique » figure la proposition de « rendre à la nature » (sic !) 10% des surfaces agricoles. On a bien lu : à l’heure où des centaines de millions d’êtres humains souffrent de la faim, la Commission ose sans trembler suggérer de diminuer les surfaces à cultiver – au nom de la « biodiversité » !
Et que dire de la désignation de Black Rock comme expert « social et environnemental » de la Commission européenne ? Premier gestionnaire de fonds mondial, la firme US administre 7 000 milliards de dollars d’actifs. Elle a fortement inspiré Macron dans sa réforme des retraites.
Mais qu’importe : pour les organisations signataires du texte « cinq + un », on « ne doit rien délaisser des ambitions affichées avec le ‘Green Deal’ », appellation officielle du « Paquet vert » de Bruxelles ainsi officiellement désigné dans la langue du pays qui vient de dire adieu à l’UE…
Curieusement, si les signataires saluent l’initiative Merkel-Macron, ils restent discrets sur son contenu exact. Il faut donc le préciser : Paris et Berlin proposent que l’UE emprunte 500 milliards sur les marchés financiers. Puis répartisse cette somme entre les pays bénéficiaires en fonction de leurs difficultés économiques et sanitaires (Italie, Espagne…). Quant au remboursement de cette somme et des intérêts, il sera à la charge des pays les plus « riches ». Autrement dit de l’Allemagne… et de la France – détail sur lequel le maître de l’Elysée ne s’est pas étendu.
Pour ce dernier comme pour sa collègue de Berlin, cela doit être ainsi fait « au nom de la solidarité » vis-à-vis des pays du sud, et c’est sans doute cet affichage qui séduit les dirigeants syndicaux. Tout syndicaliste digne de ce nom devrait pourtant savoir qu’il n’est de solidarité que de lutte.
La réalité – et nul ne s’en cache vraiment – c’est qu’à Paris et à Berlin, on s’inquiète pour l’avenir de la zone euro. Car la crise provoquée par des années d’austérité, et qui risque de tourner au carnage social et industriel dans les mois qui viennent, menace de creuser encore plus le fossé entre les différents pays de la monnaie unique. Les dirigeants français, et plus encore allemands, doivent donc jouer les pompiers pour sauver une zone euro menacée par l’éclatement. Une stratégie dans l’intérêt bien compris de la classe possédante qu’ils défendent, et au détriment de tous les peuples d’Europe, au nord comme au sud.
Pour bien comprendre l’empressement des syndicalistes dont la CGT courant à la rescousse du duo franco-allemand, il faut avoir en tête que la Commission européenne présente son propre plan le 27 mai, et que celui-ci sera ensuite discuté par les chefs d’Etat et de gouvernement des vingt-sept pays membres de l’UE (notamment lors d’un sommet les 18 et 19 juin).
Quatre pays en particulier rechignent à être les dindons de la farce de la (pseudo)-solidarité, et sont de ce fait accusés de « radinerie » par d’autres dirigeants européens (dont l’ancien banquier de chez Rothschild). Non pas tant parce qu’ils seraient des défenseurs du peuple, mais parce que leurs électeurs sont les plus réticents à se sacrifier « au nom de l’Europe ». En l’occurrence : les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark et la Suède.
Ces deux derniers pays ont comme particularité d’être dirigés par des sociaux-démocrates, très liés à leurs syndicats nationaux selon la tradition scandinave. Or ni les syndicalistes danois, ni leurs camarades suédois ne sont enthousiastes pour que les travailleurs de ces pays payent les pots cassés des drames italiens, espagnols et, à nouveau, grecs causés par les politiques communautaires.
On peut raisonnablement penser qu’au sein de la « grande coalition » qui gouverne l’Allemagne, les sociaux-démocrates se soient donc vu demander de tenter de convaincre leurs petits camarades scandinaves. Parallèlement, le DGB allemand pourrait bien avoir mobilisé ses homologues français pour tenter de faire pression, à travers le texte commun, sur les confédérations suédoise, danoise – et autres. Avec l’aide décisive de Laurent Berger, à la fois leader de la CFDT et président de la CES.
Il revient donc aux syndiqués CGT de décider si la direction confédérale était fondée à s’embarquer dans cette galère.
Des milliers et des milliers de militants CGT ont, depuis plus d’un siècle, employé leur énergie, déployé intelligence et courage, et parfois donné leur vie en liant le combat pour défendre les intérêts de classe et la souveraineté du pays.
Face à la classe dominante qui réussit aujourd’hui à marquer des points en étendant son emprise idéologique, la meilleure manière d’être fidèle aux générations qui ont fait la CGT est de poursuivre ce double combat.
Jean-Pierre Page, ancien responsable du département international de la CGT
Pierre Lévy, journaliste, ancien responsable CGT au sein d’un groupe de la métallurgie