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SOURCE : Lundi matin
L’après midi, lorsque j’arrive aux alentours du commissariat du 3edistrict, l’ambiance est joviale. Des milliers de personnes zonent autour d’une voiture enflammée dans le mini-centre commercial Target complètement tagué.
Encastrée dans le squelette calciné d’un énorme immeuble résidentiel incendié, une fontaine jaillit. A côté, les gens célèbrent cette victoire et son côté surréaliste. Des bagnoles se faufilent dans le parking de Target avec « Fuck the police » de Lil Boosie à fond, le morceau de base de la culture émeutière du Midwest. Des gens pendus aux fenêtres gueulent « Fuck 12 », un slogan qui fait référence aux brigades de stup.
Avec le coucher du soleil, l’humeur change et la colère monte tandis que commence le siège du commissariat du 3e district de Minneapolis. Les gens arrivent à forcer les portes et à pénétrer à l’intérieur. Dans un dernier effort pour défendre leur territoire, les porcs s’entassent lâchement dans le fond de leur batiment et lancent des gazs lacrymogène dans la foule courroucée. Fatigué mais déterminé, le « peuple libre du nord » bombarde de projectiles l’ennemi sous-équipé, sous la protection de boucliers de fortune fait de contreplaqué. Les flics sont débordés. Probablement à court de munitions, la police n’a pas d’autre choix que d’opérer une retraite pathétique quoique stratégique, car il n’était plus possible d’empêcher la prise du batiment. Et le commissariat fut pris.
Tandis qu’un pâté de maison plus loin, les flammes d’un bâtiment de deux étages lampent le ciel, le commissariat du troisième arrondissement de Minneapolis se transforme en Pinata. Ses clotures sont arrachées, les entrées brisées, la devanture du bâtiment incendiée. Les flammes de six mètres de hauteur signalent une victoire sans faille. À ce moment précis, les émeutiers entrent dans une sorte d’état extatique à la vue de l’annihilation complète de ce fléau vieux de plusieurs décennies, et au soulagement que cela représente. Alors que des milliers de personnes s’assoient pour regarder cette cochonnerie brûler, je ne peux m’empêcher de penser à toutes ces générations martyrisées, torturées voire assassinées par ceux qui, il y a peu, marchaient encore dans les couloirs de ce commissariat. La précision de ce geste de justice populaire récapitule une fureur et un désir de vengeance ancestral.
À ce moment-là, les émeutiers forcent les portes arrières du commissariat, qui n’étaient pas encore incendiées – il s’agit d’un bâtiment très long – et pillent les armes, les gilets pare-balles, les munitions et tout ce qui paraît utile. La rumeur selon laquelle des manifestants tenterait de mettre le feu à l’arrière du bâtiment circule mais je pense que s’ils ne l’ont pas fait c’est parce qu’ils étaient trop occupés à s’emparer de tout ce qu’ils pouvaient. Sur le parking, un petit groupe allume un beau feu de poubelle sous les regards fascinés des gens aux alentours. Simultanément, plus loin dans la rue, un autre bâtiment s’embrase. D’où je suis, je n’arrive pas à le situer exactement mais j’aperçois les flammes au loin.
Les premiers coups de feu de la soirée retentissent lorsqu’un patriote décide de tirer en l’air avec son arme semi-automatique, tout en déblatérant des conneries sur 1776, l’insoumission au Nouvel Ordre Mondial, etc. Au début, les coups de feu surprennent tout le monde, mais très rapidement chacun se reprend lorsque l’on comprend que ces abrutis voulaient surtout quelques images chocs de victoire à poster sur leurs réseaux sociaux. Ils quittent les lieux après avoir roulé des mécaniques quelques minutes.
La rumeur commence à circuler : la Garde Nationale pourrait être déployée pour reprendre le commissariat. L’annonce produit son effet sur peut-être 10% des gens présents(surtout avec les tirs entendus dans le voisinage), mais la plupart restent, imperturbables. Certains continuent à enflammer des barricades, d’autres pillent un Arby’s (et finissent par l’incendier), tandis que d’autres encore continuent de danser, perchés sur des voitures au son de Meek Mill, entourés par des motards qui carburent au Redbull et font des burns et des tricks dans tous les coins. Si je devais décrire l’ambiance sur le moment, je dirais qu’on se trouvait à la croisée de Fast & Furious (à part cette bouse de Tokyo Drift) et de l’esprit de Ferguson.
Je ne peux que raconter précisément ce qui s’est passé dans le troisième district, mais l’ensemble des villes jumelles a été mis à sac. On entendait dire qu’un H&M aurait été pillé, que les gens saccageaient le centre-ville de Minneapolis ainsi que de nombreux autres endroits dans Saint Paul. A cela s’ajoutent les nombreux récits de petits pillages et de délits qui ont eu cours dans les deux villes. De toutes évidences, si la police n’avait pas été capable de défendre son vieux commissariat pourri sans faire appel à la Garde Nationale, c’est qu’elle était clairement débordée et incapable d’être partout.
Au moment de rentrer chez moi, les destructions se poursuivaient et s’étendaient à toute vitesse. On évoquait des incendies dans toute la ville, et certains parlaient de se rendre aux commissariat du 1er et du 4e district, la rumeur voulait que celui du 5e avait lui aussi été abandonné. Il est difficile de retranscrire l’intensité de cette bataille du troisième district avec des 1 et des 0 . Il fallait y être, je suppose. Le paysage de Lake Street rappelait le film post-apocalyptique Los Angeles 2013. Cinq à dix pâtés de maisons en flammes ou saccagés. Pas plus de flics en vue que de répit pour cette insatiable danse de guerre.
Si l’on se tient à l’esprit qui a traversé la ville cette nuit-là pour imaginer les jours à venir, on peut douter que l’arrestation des tueurs de George Floyd soit à même d’apaiser la colère des gens, pas plus qu’une intervention de la Garde Nationale. n’y arrivera pas non plus. Nous venons prendre notre revanche et il reste beaucoup à prendre.
La prise et le saccage du commissariat du 3e district représente une victoire stratégique et morale immense. La puissance symbolique qui a été libérée cette nuit-là éclaire les possibilités incommensurables qui s’ouvrent aux révoltes qui viennent.