Ruffin sort un livre, voici ce qu’il dit de lui

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SOURCE : Huffington Post

Le député insoumis a passé son confinement dans sa cuisine à interviewer des Français et des intellectuels. Il en ressort avec un programme politique.

Le député insoumis François Ruffin semble se préparer pour

Ce qui est sûr, c’est que pendant ce confinement, François Ruffin n’a pas chômé. Quand on a reçu le livre du député insoumis, “Leur folie, nos vies – La Bataille de l’après” (LLL) qui sort ce mercredi 3 juin, on s’est dit que c’était un énième “fast book”, écrit en quelques heures et dont on ne trouverait pas grand-chose d’intéressant à tirer, malgré un bon titre. Erreur.

Le livre de François Ruffin est riche. Écrit comme un journal de bord du confiné qu’il a été dans sa cuisine de Picardie, il a fait ce qu’il fait le mieux: donner la parole aux autres -les catégories populaires en l’occurrence- et la relayer. Sauf que cette fois, contrairement à ces deux précédents films “Merci Patron!” ou “J’veux du soleil”, les témoignages s’articulent avec des entretiens d’intellectuels pour donner une dimension plus politique encore à son ouvrage, en ce qu’elle devient programmatique. Et cette nouvelle dimension dit beaucoup de celle que le personnage connu pour ses saillies souvent théâtrales entend donner à sa carrière politique.

Car François Ruffin ne se cache plus. Cette fois, c’est clair: il entend rassembler la gauche autour de son programme en grande partie détaillé dans ce livre et ne dit plus “non” à la présidentielle de 2022.

Dans sa cuisine, il a organisé une radio sur Facebook qu’il a appelée la radio de “l’an 01”. Ce livre et cette expérience laissent entendre que François Ruffin a aussi décidé de faire de cette crise l’an 1 de son engagement politique vers un “après” encore incertain, mais certainement ouvert. Revue de détail en cinq points du livre qui dit beaucoup de lui.

 1 – Il est résolument journaliste

Il a beau faire de la politique -il en faisait d’ailleurs avant d’y entrer officiellement- son métier initial ne l’a pas quitté. Alors il observe: “À la boulangerie, je regarde la file, un mètre entre chaque personne, la distance est respectée, le voisin un peu suspect, quelle tristesse que ce spectacle immobile!”. Il discute. Avec Nathalie, caissière chez Carrefour qui s’étonne d’avoir à travailler le lundi de Pâques en plein confinement. Avec les soignants qui manquent de matériel. Il relaie quand il le peut à la préfète ou aux autorités, prenant alors sa casquette de député, mais surtout se nourrit de ses rencontres et les conserve. “C’était un devoir de mémoire”, a expliqué le député sur le plateau d’On n’est pas couché, le 30 juin, alors en pleine promotion médiatique.

Il prend aussi parfois le trait du journaliste politique quand il recense la plupart des déclarations gouvernementales ou présidentielles, citant ses sources et mettant en perspective les paroles et les actes. Il donne aussi la parole à des Français de tous horizons, façon micro-trottoir sans distinction sociale ou territoriale et crée même une rubrique au sein de son livre que ne renierait pas un producteur audiovisuel: “On réfléchit avec…” le collapsologue Pablo Servigne, par exemple, avec qui il s’étonne que l’on fasse autant confiance aux scientifiques pendant cette crise quand on ne les écoute pas assez sur le climat.

2 – Il oscille entre pessimisme et optimisme

Comme un clair-obscur, lui qui reprend dès qu’il le peut la formule de Gramsci sur le pessimisme de la lucidité et l’optimisme de la volonté, François Ruffin est parfois désabusé. “Trente années qu’avec d’autres, parmi d’autres, je vitupère dans le semi-désert, comme reporter, puis comme parlementaire, que j’écris et crie en vain”. Ou encore quand il cite les qualificatifs qu’on lui aurait attribués:  “Ouvriériste”, “passéiste”, “nostalgique”, “nationaliste” ‘(…) “quand je n’étais pas moi-même ‘rouge-brun’”. Et dans le même temps, la crise semble lui avoir redonné de l’espoir:  “D’un coup, l’économie n’est plus la suprême finalité, passe avant la santé. (…) Le politique reprend la main. Des mots qui étaient interdits hier, que nous prononcions nous-mêmes avec timidité, ces mots sont aujourd’hui dans le débat public: “réquisitions”, “plafonnement des prix”, “protections”, “nationalisations”…

Critiquant tout au long du livre la rigueur budgétaire, il se met à rêver avec des formules souvent poétiques, jouant avec les mots. “C’est la rupture, la rupture majeure, la Rupture à majuscule, que nous réclamons que nous attendions, qu’il nous faut opérer”.

3 – Il ne ferme pas la porte à 2022

Son livre est un programme politique et un travail d’opposant, minutieux et incisif. À aucun moment, évidemment, ni dans aucune interview de promotion il ne dit qu’il est prêt à endosser le premier rôle, mais c’est sous-entendu, parfois encore plus que d’habitude, comme lors de ce passage sur l’Europe où l’on comprend que son “président rêvé” pourrait être lui-même, voire qu’il se réclame de De Gaulle, sans jamais le citer. “Et le premier geste de mon président rêvé, son premier voyage, aussitôt élu, devrait l’emmener à Madrid, à Lisbonne, à Rome, à Athènes, à faire le tour des capitales du Sud, à rencontrer ces peuples en souffrance, à discuter avec leurs dirigeants (…)  tapant du poing, ouvrant dans un sombre horizon de résignation une lueur d’espérance. La voilà, à travers l’histoire, parfois, la grandeur de la France”.

4 – Il acte la défaite de son adversaire: Macron

L’ouvrage est ponctué de déclarations d’Emmanuel Macron sur “le monde d’après” qu’il s’attache à mettre en perspective pour critiquer l’action du gouvernement sur les plans économique ou sanitaire et de ceux qui les ont précédés au long de ces trente dernières années. ”Ces masques, ces respirateurs, ces surblouses, ces médicaments me paraissent un cas d’école. Un cas miniature: s’ils ne sont pas fichus de produire ça (…) comment feront-ils pour le climat? Pour réorienter l’agriculture, l’industrie ? Pour baisser, et pas qu’un peu, la consommation d’énergie? (…) C’est simple : ils ne feront pas. Ils ne font pas”.

“‘Ce que révèle cette pandémie’, c’est avant tout leur connerie”, résume le parlementaire qui alterne entre formulations simplistes et analyses intellectuelles comme lorsqu’il conclut, avec la philosophe Cynthia Fleury, que le monde qu’ils appellent de leurs vœux ne se fera pas sans les ”mouvements sociaux”. “Il n’y a pas de secret. Si la pression ne vient pas de la société civile, des citoyens, le business as usual des politiques va reprendre la main. Le virage sémantique de Macron ne sera suivi d’aucun effet”, prédisent-ils ensemble.

5 – Il propose un programme politique

Il replace au centre du jeu “l’égalité”, à laquelle il consacre de longues pages et qu’il souhaite “sans la honte des crimes de Lénine ou de Caïn, de Robespierre ou de Lady Macbeth”. Il amorce des propositions pour la retrouver. “Il nous faut un ‘choc fiscal’, un électrochoc sur les nouveaux seigneurs”, écrit le Ruffin qui a accompagné le mouvement des gilets jaunes jusqu’à en faire un film, “J’veux du soleil”.

Deuxième jambe, la revalorisation des métiers du bas de l’échelle sociale, s’appuyant là encore (et de façon ironique) sur les mots du président Macron: “Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal” qu’il traduit, à dessein, par l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen: “Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune”. En conséquence, il propose un écart maximum des revenus qu’il souhaite fixer par référendum, mais sans trancher: “des revenus variant de 1 à combien? À 5 ? À 10 ? À 20 ?”.

“Vous n’êtes pas assez doux”

Car comme sur l’Europe à laquelle il ne croit pas pour changer l’économie, mais qu’il semble vouloir transformer de l’intérieur ou sur la mise en oeuvre concrète de ce changement de paradigme, il y a ce que François Ruffin dit, mais aussi ce qu’il ne dit pas. Quelle Europe veut-il construire? Sous quels traités? Comment concrètement mettre en oeuvre ce programme? Quelle distance vis-à-vis de Jean-Luc Mélenchon qui n’est “pas (s)on patron”, mais pour qui il a “plus que de l’estime”? Quel système démocratique et sous quelle constitution? Qui pour réunir la gauche en 2022? À quelles conditions?

Ce qui frappe aussi c’est la différence entre le ton de l’écrit, parfois vulgaire, mais réfléchi et ses saillies souvent raccourcies de l’oral. Comme le lui faisait remarquer un auditeur de France inter le 2 juin au matin “Vous n’êtes pas assez doux”. Ce à quoi il a répondu: “Je vais faire du coaching, ma mère me le dit aussi”. Ruffin n’est sans doute pas encore prêt, mais ce qui est certain c’est qu’il se prépare.

“Leur folie, nos vies – La Bataille de l’après” – Editions : Les Liens qui Libèrent,276 pages, 17,50 euros. 


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