AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Télérama
Du rassemblement pour que justice soit rendue à Adama Traoré, les télés retiennent qu’il était “interdit” et qu’il a “dégénéré”. Si, exceptionnellement, des activistes d’ultra gauche sont invités à témoigner de leur haine anti-flics, les meilleurs experts de BFMTV rappellent le droit imprescriptible des forces de l’ordre à frapper les manifestants et se lamentent des violences qu’elles endurent.
« Un rassemblement interdit qui dégénère », trompette Thomas Misrachi. Ainsi BFMTV présente-t-elle mercredi matin la manif en faveur d’Adama Traoré. Le bandeau interroge : « Traoré : que veulent les vingt mille manifestants ? » On se demande. Des bisous de Didier Lallement ? « Vingt mille personnes ont manifesté leur soutien à la famille d’Adama Traoré hier soir devant le tribunal de Paris avant de vives tensions, reprend Thomas Misrachi. Deux policiers ont été blessés, dix-sept personnes placées en garde à vue. »Même angle d’approche sur les autres chaînes, par exemple sur Franceinfo, où le présentateur annonce : « Dix-huit personnes interpellées à l’issue d’une manifestation interdite. » Ou sur LCI : « Dix-huit interpellations et jusqu’à un million d’euros de dégâts. »
« Un accès de violence inattendu hier soir devant le tribunal de Paris, insiste Thomas Misrachi. Un rassemblement pacifique et, au bout de quelques heures, une situation qui dégénère. » Satanée situation. « Il y a vraiment eu deux ambiances, confirme une reporter. De 19 heures à 21 heures, une foule immense réunie dans le calme pour demander justice pour Adama Traoré. Manifestation qui n’avait pas été autorisée par les forces de l’ordre à cause de la crise sanitaire. Mais à partir de 21 heures, moment de la dispersion, c’est là que la situation va se tendre. On ne sait pas précisément comment ç’a commencé. » Mais on va quand même vous le dire : « Tout ce qu’on sait, c’est qu’il commence à y avoir des jets de projectiles, des affrontements avec les forces de l’ordre qui vont répliquer à coups de gaz lacrymogène. » Et voilà : ce sont les manifestants qui ont commencé et les forces de l’ordre qui ont « répliqué ».
La version des participants est tout autre. Sur LCI, le célèbre avocat « anti-flics » Arié Alimi, défenseur du journaliste « militant » Taha Bouhafs (les guillemets signalent les citations de syndicats policiers) livre un autre récit. En résumé, les forces de l’ordre ont employé l’éprouvée technique du grenadage massif, combiné à la nasse, afin de procéder à une dispersion dans le calme et la bonne humeur. « J’y étais, rappelle l’avocat. Ce que j’ai pu voir et ce qu’on m’a rapporté, c’est une nasse de toutes ces personnes jusqu’à La Fourche, c’est loin, et des gaz lacrymogènes lancés au sein même de la foule alors qu’on ne peut partir puisque les personnes sont nassées. »
« C’est ce qu’on entend très souvent », note la présentatrice. « C’est ce qu’on appelle la “technique Lallement”, explique Arié Alimi. Le préfet de police de Paris décide, au moment où les gens essaient de partir, de nasser tout le monde et de balancer des lacrymogènes pour créer la conflictualité. » Je m’inscris en faux : ce n’est pas spécifiquement la « technique Lallement » (même si celui-ci la manie avec talent) puisqu’elle était déjà à l’œuvre en 2016, lors des manifs contre la loi travail (j’y étais). « C’est pour créer le conflit, c’est fait exprès ? », demande la journaliste. « C’est la technique du préfet de police de Paris pour décrédibiliser la manifestation. » Toutes les manifestations. Sauf celles de la Manif pour tous – ou celle des fafs le 1er Mai dernier. « Il sait que ça va créer une tension et entraîner quelquefois des débordements, des mouvements de foule, des incidents. » Dont vont se repaître les télés.
« Ce matin, on constate les traces de ces tensions, poursuit la reporter de BFMTV. Par exemple sur ces guérites qui ont été complètement caillassées. » Après l’arc de Triomphe et le Fouquet’s, ce sont les nouveaux martyrs des casseurs. « Et quand on regarde à l’intérieur, on voir que ces personnes ont utilisé des poteaux urbains ou encore des pierres comme projectiles. » Ils n’avaient pas de boules de pétanque. « Ici, vous voyez ce panneau de sens interdit qui a été utilisé pour casser les vitres. » Pauvre panneau, pauvres vitres – abominablement mutilées. « Les services municipaux sont en train de tout nettoyer, de retirer les tags importants, notamment cet acronyme anglais que l’on retrouve un peu partout, ACAB (All cops are bastards, “tous les policiers sont des bâtards”), acronyme qui est devenu le mot d’ordre de l’extrême gauche. » Encore une interprétation tendancieuse. Les journalistes vraiment renseignés savent que ACAB résume le slogan All cats are beautiful, c’est-à-dire « tous les chats sont mignons ».
Afin de prendre du recul, la reporter de BFMTV fait appel à un expert. « D’ailleurs, pour le maire du 17e arrondissement, ce sont bien des activistes politiques qui sont derrière ces tensions et qui n’ont rien à voir avec la cause d’Adama Traoré. » « À l’évidence, cette manifestation a été noyautée par des manifestants politiques qui étaient là pour casser. Des ennemis de l’État. » Les défenseurs d’Adama Traoré, trop naïfs, se sont laissé noyauter. « On les a laissés faire, alors que tout rassemblement de plus de dix personnes est interdit. » Sauf dans les transports, les écoles et les entreprises. Conclusion de la journaliste : « Voilà, pas d’amalgame, dit le maire du 17e. » Sauf avec les anarcho-extrémistes.
« Raphaël Maillochon, il s’est passé quoi exactement hier soir ? », demande Thomas Misrachi en plateau. « Deux temps dans cette manifestation. Tout s’est très bien passé de 17 heures à 21 heures. À 21 heures, j’ai vu des tensions au niveau de la dispersion. » Maudite dispersion d’ultra gauche. « Quelques personnes, parfois cagoulées, habillées en noir, se sont servies de mobilier urbain. Ces échauffourées ont duré une heure et demie. Nous n’avons pas vu de forces de l’ordre aller au contact. » Ça se confirme : nous ne savons pas ce qui s’est passé mais les manifestants sont responsables des « échauffourées ».
Pour en avoir le cœur net, Thomas Misrachi interroge une autorité indépendante. « Bonjour Linda Kebbab, du syndicat Unité SGP Police. » « La gestion de la manifestation a été très bonne », se réjouit la syndicaliste, estimant qu’« il faut faire la part des choses » entre les gentils manifestants et « des groupuscules extrémistes qui s’attaquent aux forces de l’ordre ». « C’est un rassemblement interdit, martèle Thomas Misrachi. Vingt mille personnes sont sur place et puis ça dégénère sous les yeux des policiers qui n’interviennent pas. Y a quand même un problème ! » Les policiers auraient dû tirer dans le tas.
Linda Kebbab se désole : « On a des personnes qui se permettent de faire un parallèle entre la situation très ségrégative des États-Unis et la France. » Comme si la France ségréguait et discriminait les descendants d’immigrés. « On a un amalgame constant. » Un « relativisme inquiétant », disait-on la veille sur CNews. « La question, c’est : comment vingt-trois mille jeunes ne font plus confiance aux institutions au point que même une enquête dirigée par la justice est remise en question ? » Pas plus de vingt-trois mille, comme si seuls les manifestants présents à Paris mardi soir avaient des reproches à adresser à la police. Quant à l’enquête de la justice, elle a fait la preuve de son indépendance et de son efficacité.
« Il y a un tel complotisme qui est en train de s’installer dans les quartiers qui fait qu’aujourd’hui ils sont dans les rues de Paris, manipulés par des antifas et des personnes d’extrême gauche. » Ces benêts d’habitants des « quartiers » ne sont pas capables de constater l’arbitraire policier ni de penser par eux-mêmes, il faut que des antifas les manipulent. Heureusement, Linda Kebbab, elle, ne fait preuve d’aucun complotisme quand elle reprend l’argument de Donald Trump sur l’activité terroriste des antifas.
Je m’emporte, je m’emporte… Mais je dois reconnaître que jamais les militants anti-flics n’ont été aussi présents sur les écrans. Si Linda Kebbab a écumé LCI, CNews et BFMTV en moins de douze heures, Arié Alimi, évoqué plus haut, était aussi présent sur LCI. Encore que son invitation en plateau était balancée par la présence de Laurent-Franck Liénard, avocat de policiers (donc payé par nos impôts, puisque le ministère de l’Intérieur prend en charge la défense de ses fonctionnaires). « Le maintien de l’ordre est quelque chose que la police et la gendarmerie savent très bien faire, rappelle l’avocat. Les manifestations de Gilets jaunes ont été très difficiles à gérer parce que par nature elles étaient illicites. » Comme le rassemblement pour Adama Traoré ? « Comme celle d’hier soir, elle était illégale. »C’est bien ce qu’il semblait.
« L’Intérieur a laissé faire parce que quand vous voyez ces hordes arriver… » Des hordes de barbares. « Le problème des policiers, c’est qu’ils ne peuvent plus faire respecter la loi, ils ne peuvent plus sortir un LBD sans qu’on crie à la violence policière… » Pourtant, le LBD est indispensable au respect de la loi. « Ils peuvent plus interpeller un gars en le mettant par terre sans qu’on dise : “Oh là là, plaquage ventral, c’est interdit.” » Alors que le plaquage ventral est indispensable pour l’interpellation de délinquants qui, manque de chance, souffrent souvent d’insuffisance cardiaque. « Comment font-ils, ces gars qui tous les matins se lèvent en disant : “Un bicot, ça ne sait pas nager…” » Oups !, pardon, je me suis encore égaré : « Comment font-ils, ces gars qui tous les matins se lèvent en disant : “Je vais essayer de faire tenir ce pays.” » Et son merveilleux gouvernement œuvrant pour la justice sociale. « Comment font-ils sans toucher un délinquant ? » Ils lui tirent dans le dos ? L’étouffent sous le poids de leurs corps réunis sur le sien ? Impossible, ça n’arrive jamais.
BFMTV aussi donne la parole aux adversaires des violences policières. Yassine Bouzrou, avocat de la famille d’Adama Traoré, est interviewé deux fois mardi soir. Assa Traoré est présente en duplex le même soir et en plateau le lendemain. Le présentateur remarque alors : « “Sans justice, vous n’aurez jamais la paix”, dit votre tee-shirt. Mais la paix… Il y a eu des incidents hier en marge de votre manifestation. » Preuve que vous voulez la guerre. « Vous avez dit : “Là on est devant le tribunal mais la prochaine fois on rentrera.” Ça veut dire quoi ? » « La prochaine fois, précise Assa Traoré, il faut qu’on aille au procès. » « Ah, vous n’envahirez pas le tribunal ? » s’étonne le présentateur. Des délinquants pacifistes, ça ne s’est jamais vu.
Si les militants anti-flics ont pour une fois droit de cité, leur extrémisme est heureusement tempéré par le bon sens de commentateurs assermentés. Ainsi mardi soir, sur BFMTV, où la manifestation pour Adama Traoré occupe l’antenne (sans la moindre pause publicitaire) à partir du moment où des heurts (et des flammes très télégéniques) apparaissent, succédant aux reportages sur les terrasses, piscines, plages, campings et clubs de gym enfin rouverts, signe du « retour des jours heureux », selon Emmanuel Macron – rappelons que le programme du Conseil national de la Résistance prévoyait l’égal accès des consommateurs aux terrasses, piscines, plages, campings et clubs de gym.
Mardi soir, Bruno Jeudy analyse : « Ça fait écho à ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique, à une cause lointaine qui n’a rien à voir. » « À propos de l’éventuelle comparaison avec ce qui se passe aux États-Unis, on sait que comparaison n’est pas raison », abonde la présentatrice Aurélie Casse, demandant à son « spécialiste police-justice » de faire le point sur l’enquête à propos de la mort d’Adama. « C’est le plaquage ventral qui est à l’origine, possiblement selon les familles (sic), du décès d’Adama Traoré, explique Guillaume Farde. C’est aussi cette technique qui est mise en cause dans l’affaire qui secoue les États-Unis. » Mais on sait que comparaison n’est pas raison. « C’est encore cette technique qui avait été dénoncée dans l’affaire Cédric Chouviat. » Mais on sait que ce sont des cas isolés.
Après le témoignage de Yassine Bouzrou, avocat de la famille d’Adama Traoré, Guillaume Farde précise : « Nous ici, on n’a pas accès au dossier, il y a des éléments dont nous ne disposons pas. » Dommage. Du coup, on défend la légalité républicaine : « Je comprends le discours de l’avocat qui dit qu’il faut un procès pénal mais il s’avère que les magistrats ont l’opportunité des poursuites et, s’ils estiment que les éléments du dossier sont insuffisants, il peut ne pas y avoir de procès. » Et tant pis pour Adama. « Les magistrats ont des éléments pour décider dont nous ne disposons pas. » C’est pourquoi nous leur accordons toute notre confiance.
« Les images en direct, qu’est-il en train de se passer ? » s’inquiète Aurélie Casse. Guillaume Farde rappelle « le contexte de cette manifestation qui, dans ses mots d’ordre, est assez ouvertement hostile aux forces de l’ordre ». Et qui est interdite. Bruce Toussaint jubile : « Ça faisait un moment qu’on n’avait pas vu de telles images de manifestation et de violences. » Bruno Jeudy s’indigne : « Cette manifestation était doublement interdite. » Par la préfecture et par BFMTV. « Ce qui surprend, c’est l’importance de cette manifestation. On voit qu’elle est très difficile à disperser. » Malgré les lacrymos et la nasse des forces de l’ordre. « Les soutiens d’Adama Traoré, ça fait des années qu’ils manifestent. Là, ils ont cherché à profiter d’un contexte d’actualité. » Pauvre George Floyd, instrumentalisé par des activistes français.
Seule Géraldine Muhlmann se risque à légitimer la « frustration » des citoyens face à l’impunité des forces de l’ordre. « Les brutalités policières n’ont pas connu de sanction, il est très rare qu’un gendarme ou un policier finisse au pénal, il y en a eu deux dans le cadre des Gilets jaunes alors qu’il y a eu plus de six cents condamnations de Gilets jaunes. » Aurélie Casse salue : « Rebonsoir Rodolphe Bosselut, vous êtes l’avocat de deux des trois gendarmes ayant interpellé Adama Traoré. » L’avocat atomise la contre-expertise brandie par l’avocat de la famille Traoré : « Ce n’est pas une expertise, c’est un avis médical produit par la famille. Les trois expertises judiciaires, de nature contradictoire, exonèrent totalement les militaires de leur responsabilité. » Adama Traoré a été victime de sa mauvaise santé.
L’avocat des gendarmes s’insurge contre la « vérité médiatique » cultivée par l’avocat de la famille Traoré pour contrer la vraie vérité judiciaire, aussi scientifique qu’une vidéo de Didier Raoult. « Il ne s’agit pas de plaquage ventral, pas du tout. C’est une personne qui a pris la fuite, qui a eu des gestes de violence. » C’est Adama le coupable. « Il y a eu un simple contrôle costal, dorsal. » Des chatouilles sous les omoplates. Aurélie Casse lui demande de commenter en direct les images de « violences », il affirme ne pas pouvoir les voir, aussi la présentatrice les lui décrit : « Il y a un feu sous le périphérique, plusieurs personnes qui ont jeté des projectiles sur les forces de police. »
Bruno Jeudy déespère : « Il faut aussi dire que les manifestations sont de plus en plus violentes, les manifestations à répétition, avec des situations de guérilla vis-à-vis des forces de l’ordre depuis le début du mouvement des Gilets jaunes. »Pauvres forces de l’ordre soumises au harcèlement de manifestants subversifs alors qu’elles cherchent simplement à les protéger.
« On rappelle que ce rassemblement était interdit », psalmodie Aurélie Casse. Ce qui justifie sa répression sans pitié. « De toute manière, appuie Raphaël Maillochon, on est en état d’urgence sanitaire, Paris est en zone orange, donc les rassemblements ne sont pas permis. » Le lendemain matin, un débat éminemment pluraliste oppose Sébastien Chenu à Bruno Bonnell sur LCI. « Une manifestation, lorsqu’elle est interdite, on la disperse dès le début », clame le représentant du RN. « Christophe Castaner rend légitimement hommage aux forces de l’ordre qui évitent des débordements, se félicite le représentant de LREM. Il n’y a pas eu de blessés graves, de morts. » Ce fut une grande réussite.
Sur BFMTV, la nuit tombe, rendant d’autant plus télégéniques les feux de barricade. Pour prendre du recul sont appelés à la rescousse deux porte-parole de la préfecture de police, l’une officielle, l’autre officieux, Laëtitia Vallar et Dominique Rizet. Ce dernier me rassure : « Les policiers parisiens sont rodés. » À la non-violence. « Ce qui se passe aux États-Unis est une aubaine pour le Comité Adama Traoré. Sans l’affaire Floyd, je ne suis pas sûr qu’il y aurait cette manifestation. »Purement opportuniste. En toute indépendance, Dominique Rizet fait sienne l’argumentation de l’avocat des gendarmes : « L’avocat des gendarmes dit que c’est un avis médical, pas une expertise. Il ne s’agit pas d’une contre-expertise, elle n’est pas demandée rogatoirement par le juge. » C’est rogatoirement indiscutable.
« La manifestation s’est parfaitement déroulée, se réjouit Laëtitia Vallar. On ne peut pas accuser les forces de l’ordre d’avoir attisé la violence. » Si ça avait été le cas, la porte-parole de la préfecture l’aurait aussitôt dénoncé. « Elles ne sont intervenues que lorsque des infractions ont pu être constatées. » Lancer des grenades sur une foule pacifique et la nasser ne saurait constituer des infractions. « Est-ce que vous avez déjà identifié les auteurs ? s’inquiète Sarah Lou-Cohen, cheffe du service police-justice. Est-ce qu’il y a déjà eu des interpellations ? » Faudrait voir à pas mollir sur la répression.
« On voit encore un brasier, alerte Aurélie Casse, les manifestants ont mis le feu une nouvelle fois. Pourquoi ne pas avoir retiré le mobilier urbain ? » Et ne pas avoir rasé le 17e arrondissement pour pouvoir tirer au RPG et charger les manifestants avec des chars Leclerc et des hélicoptères de combat ? Bruce Toussaint s’enflamme :« Vingt mille personnes pour un rassemblement interdit ! C’est un énorme succès. »
Bruce Toussaint sollicite l’avis de « deux des meilleurs spécialistes du monde policier, Sarah Lou-Cohen et Dominique Rizet ». Plus exactement, deux des meilleurs défenseurs du monde policier. La première a une explication : « On est dans un contexte où, pendant le confinement, beaucoup ont pu croire qu’il y avait eu des violences policières. » En vertu d’affabulations documentées par des activistes anti-flics. « Et puis on est dans une France qui se déconfine donc avec des gens qui ont envie de se retrouver, de se rassembler. » Et qui, au lieu de se retrouver sur les terrasses de café ou les plages, dans les campings ou les clubs de gym, préfèrent se réunir sur le parvis du tribunal pour allumer des brasiers. « C’est beaucoup de monde, admet Dominique Rizet. C’est lié au contexte, deux mois et demi d’enfermement dans des appartements ou des cités de la région parisienne. » Les délinquants ont besoin de se défouler.
Tandis que les experts de BFMTV s’emploient à condamner les casseurs anti-flics, la mention « en direct » reste inscrite à l’écran… alors que sont diffusées en boucle les images les plus spectaculaires des exactions des manifestants prises au cours de la soirée. « On voit que les fauteurs de troubles ne sont pas masqués, se félicite Aurélie Casse. Ce sera donc facile de les retrouver. » Et de leur administrer un simple contrôle costal, dorsal. « Oui, même s’il y a le masque pour se protéger du coronavirus », nuance Sarah Lou-Cohen. Il faudrait interdire le masque chirurgical dans les manifestations interdites. « Et puis les organisateurs pourraient être soumis à des sanctions pour s’être associés à cette manifestation interdite. » Une bonne comparution immédiate avec mandat de dépôt à la clé leur apprendra à braver l’état d’urgence sanitaire.
Ulysse Gosset, éditorialiste international, offre son recul : « On ne peut pas faire de comparaison parce que la violence policière aux États-Unis a des proportions incomparables. Comparaison n’est pas raison. » Là-bas, ce sont les Blancs qui tuent les policiers noirs, a démontré Eric Zemmour. « On voit bien qu’une partie des manifestants essaient de tirer profit de ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique, déplore aussi Bruno Jeudy. Mais comparaison n’est pas raison. Y a quand même une enquête qui est en cours. » En effet, comparaison n’est pas raison : aux États-Unis, le policier qui a tué George Floyd est suspendu alors qu’en France les gendarmes qui ont étouffé Adama Traoré, les policiers qui ont tué Cédric Chouviat, Steve Caniço, Zineb Redouane, etc., sont toujours en fonction des mois ou des années après.
Justement, Sarah-Lou Cohen rappelle qu’en France « la politique est de ne pas suspendre les policiers tant que l’enquête judiciaire n’est pas clôturée, or ces enquêtes sont longues ». Au contraire des enquêtes pour outrage qui, elles, provoquent illico des comparutions immédiates sanctionnées d’incarcérations tout aussi immédiates. « Et elles laissent ces policiers en poste, donc elles créent pour la population un sentiment d’impunité. » Juste un sentiment. « Mais une enquête judiciaire, c’est long. » Surtout quand l’enquête concerne un membre des forces de l’ordre. « Prendre une décision dure à l’égard d’un policier qui incarne l’ordre et qui a la violence légitime pour lui (sic)… » Être exemplaire envers quelqu’un qui a a le devoir d’être exemplaire, ce serait idiot. « Il faut pouvoir prouver que cette violence était illégitime et, pour certains, ce temps est trop long. » Pour certains activistes anti-flics.
Dominique Rizet prédit que l’acharnement judiciaire de la famille Traoré est voué à l’échec. « Ça va être difficile de faire marche arrière parce que si un procès avait lieu devant un tribunal correctionnel, certainement pas aux assises… » Il ne manquerait plus que ça. « … Ça voudrait dire que les juges ont décidé de faire autrement, que quelqu’un a pu faire pression sur les juges, ça paraît extrêmement difficile. » Pas question pour les juges de succomber à une autre pression que celle du ministère de l’Intérieur : ça paraîtrait louche.
« Est-ce que la police française est raciste ? s’émeut Aurélie Casse. Je voudrais citer le directeur de la police nationale… » Le mieux placé pour en juger. « Ce soir, sur RTL, il dit : “La police française n’est pas raciste. En 2019, sur les 2 500 enquêtes dont l’IGPN a été saisie, une trentaine concernaient du racisme ou de la discrimination.” » Or, on sait combien l’IGPN est sévère avec les exactions policières.
« Sur cent cinquante mille policiers, y a des personnes qui sont racistes, forcément, admet Dominique Rizet. Mais la très grande majorité des policiers n’est pas raciste. » Elle se contente de laisser faire et d’approuver – tandis que sa hiérarchie dénie et absout. « On peut pas empêcher toute une institution d’avoir des éléments qui vont déraper. Malheureusement, quand c’est dans la police, c’est immédiatement visible. » Pauvre police, soumise au regard du public. Éric Ciotti a bien fait de déposer une proposition de loi pour interdire de filmer les policiers.
« On ne traite pas de la même façon un manifestant qui frappe un policier qu’un policier qui frappe un manifestant, revendique Sarah-Lou Cohen, excellente pétendante au poste de porte-parole du ministère de l’Intérieur. Ça sera toujours cette règle-là. » Pas question d’en changer. « Parce qu’il va falloir prouver si le policier agissait de manière illégitime ou pas. Alors qu’un manifestant, lui, n’a pas le droit de frapper un policier. » Tandis qu’un policier a parfaitement le droit de frapper un manifestant. « Donc ça prend plus de temps. C’est parfois incompréhensible pour les gens. » Si les gens sont bêtes, les experts de BFMTV sont là pour les éclairer. « Et puis on est aussi dans un climat de tensions très dur, on a des forces de l’ordre qui sont mises à dure épreuve pendant des mois. Pendant le confinement, on avait encore des policiers qui devaient contrôler à tout-va. »Pauvres policiers condamnés à harceler et à brutaliser les habitants des quartiers.
Bruno Jeudy propose une perspective historique : « Il y a cette bascule en 2016 avec les manifestations contre la loi El Khomri. » Quand le gouvernement Valls a choisi de réprimer les mouvements sociaux hostiles aux progrès de notre compétititivité. « On bascule dans des manifestations qui deviennent extrêmement violentes, où il y a des saisies de boulons, de ce qui ressemble à des armes. » Des boules de pétanques par milliers (sur BFMTV). « Depuis quatre ans, les manifestations sont de plus en plus violentes. » Et les pauvres policiers de plus en plus violentés.
« Le pouvoir s’appuie sur la police, décrypte Dominique Rizet. Si le pouvoir se met la police à dos, comment cela se passera-t-il pour faire du maintien de l’ordre ? » Et pour faire accepter ses réformes menées pour le bien du peuple ? « Les syndicats policiers sont très puissants. Pendant les manifestations des Gilets jaunes, la police a été tellement malmenée, certains policiers se sont mis en arrêt maladie. » Ils n’en pouvaient plus de se faire mutiler tous les samedis. « Donc, pour le pouvoir, il faut marcher sur des œufs. Les syndicats sont plus puissants que le ministre de l’Intérieur. » Autant nommer le secrétaire général d’Alliance à Beauvau pour entériner la mainmise de l’extrême droite sur le maintien de l’ordre.
« Il y a des craintes à Beauvau qu’il y ait d’autres mobilisations de ce type, relaie fidèlement Sarah-Lou Cohen. Parce que le renseignement territorial est assez inquiet de la remobilisation de l’ultra gauche, des Gilets jaunes. » Sans parler des ultra jaunes. « Il y a des petites actions locales menées souvent par l’ultra gauche. »Heureusement, l’ultra droite veille sur BFMTV.