Val-de-Marne : les adieux poings levés à Maurice Rajsfus, figure de l’antifascisme

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SOURCE : Le Parisien

Rescapé de la Shoah, le militant antifasciste et archiviste amateur a recensé les violences policières de mai 1968 à 2014. Mort à 92 ans samedi, il a été inhumé à Cachan ce jeudi.

 Cachan, ce jeudi. Un comité volontairement restreint en raison du contexte sanitaire a fait ses adieux à Maurice Rajsfus, poings levés au cimetière communal.Cachan, ce jeudi. Un comité volontairement restreint en raison du contexte sanitaire a fait ses adieux à Maurice Rajsfus, poings levés au cimetière communal. LP/Lucile Métout
Par Lucile Métout

Maurice Rajsfus était le « pépé » qui rend ses petites-filles si fières. Le « papa très attentif » que Michelle n’aurait échangé « pour rien au monde ». Et l’acolyte inoubliable de Richard après « 62 ans de lutte commune ».

Mais bien avant cela, il a été cet enfant de 14 ans dont le voisin de palier, policier, est venu arrêter les parents un matin d’été. Parce que juifs. C’était la Rafle du Vel d’Hiv. L’orphelin de Vincennes ne pardonnera jamais. Il consacrera même sa vie, dès « sa renaissance » en mai 1968, à documenter les dérives policières. Les centaines de fiches bristol tapissent encore son bureau.

C’est à cet « historien de la répression », militant antifasciste à l’origine du réseau Ras l’Front et de l’Observatoire des libertés publiques, qu’un comité volontairement restreint a fait ses adieux ce jeudi. Maurice Rajsfus, décédé samedi à tout juste 92 printemps, a été inhumé dans le cimetière communal de sa ville de trente ans : Cachan. Hommage poignant pour « une immense mémoire ».

Les obsèques ont été célébrées en comité restreint, contexte sanitaire oblige. LP/Lucile Métout Les obsèques ont été célébrées en comité restreint, contexte sanitaire oblige. LP/Lucile MétoutBien sûr, sa fille Michelle n’oublie rien de sa « fin de vie peu enviable ». À lui qui, « miné » par le décès de son épouse Marie-Jeanne en 2018, gardait « une grande mélancolie » et « un cancer de l’estomac ». Mais elle s’accroche au souvenir d’un père « toujours présent » quoique « très soupe au lait ».

« Maurice était un peu le Dernier des Mohicans », sourit son fils Marc Plocki, déridant la centaine de visages fermés. Celui de Ian Brossat, porte-parole du Parti communiste français, ou encore de Noreddine Iznasni pour le Mouvement de l’immigration et des banlieues. « Il était le dernier à se servir d’une machine à écrire, à vouloir trouver des rouleaux pour la faire fonctionner », raconte le fils endeuillé.

Et quitte à poursuivre avec ces « choses un peu personnelles », pourquoi ne pas revenir sur son « Solex de 68 » ? Celui qu’enfourchait le jeune quadra « tous les soirs pour rejoindre les insurgés » à Paris. « De l’endroit où on était, se souvient l’ado d’alors, on entendait les détonations et ça inquiétait beaucoup Marie-Jeanne. » Qu’importe, ç’a été « une révélation » pour Maurice Rajsfus. « Tout ce qu’il a fait aujourd’hui, il le doit à ce mois de mai. »

Marc Plocki raconte son père, sa machine à écrire et son « Solex de 68 ». LP/Lucile Métout Marc Plocki raconte son père, sa machine à écrire et son « Solex de 68 ». LP/Lucile MétoutAussi, et surtout, ajoute Marc Plocki, à « sa rencontre brutale avec les flics dès juillet 1942 ». « Je dois à la police française de ne pas avoir de grands-parents paternels », clame-t-il solennellement avant une « adresse au préfet [de police] Lallement ». « Ce monsieur a osé dire [le 2 juin] qu’il ne laisserait pas salir l’institution, comme si la police était un tissu antitache qu’on peut passer à grande eau et puis plus rien. Mais c’est une espèce d’étoffe qui se salit d’elle-même », assène le fils de Maurice Rajsfus avant de lister les Algériens du 17 octobre 1961, « les morts de Charonne », « Malik Oussekine en 1986 » et « plus récemment Adama Traoré ».

« Je vais te raconter une petite anecdote », embraye justement l’écrivain David Dufresne, les yeux rivés sur le cercueil clair. Il décrit les « milliers de têtes noires, blanches, jaunes, dures » rassemblées à l’appel de la famille Traoré samedi à Paris, pour une manifestation antiraciste et contre les violences policières.

« C’était le jour où tu faisais ta valise », métaphore le journaliste pour mieux souligner le hasard du calendrier. Il revient alors sur le « sale coup » des « têtes blondes » de Génération identitaire qui ont déployé leur banderole pour les « victimes du racisme anti-blanc » sur un toit. « Des voisins ont fait comme toi, salue David Dufresne. À main nue, ils ont déchiré la saloperie. Et soudain, un équilibriste est monté la décrocher. Un vrai Rajsfus! Il a démonté le merdier. »

Olivier Besancenot s’engage à « continuer le combat ». LP/Lucile Métout Olivier Besancenot s’engage à « continuer le combat ». LP/Lucile Métout 

« Continuer le combat », c’est ce que promet au micro Olivier Besancenot, ex-candidat de la Ligue communiste révolutionnaire à la présidentielle. « À nous de poursuivre avec la même pugnacité, la rigueur, le tact et la finesse de Maurice, abonde l’autrice Isabelle Zyserman. Lui a vraiment fait le travail en matière de transmission des luttes, par tout ce qu’il a écrit. »

Tout ce qu’il a pu dire aussi. Hélène de Comarmond (PS), maire de Cachan, ne peut qu’en attester : « Car il était aussi un historien du temps présent qui a toujours eu des mots choisis pour transmettre sa mémoire de survivant de la Shoah aux élèves de CM2 ». « Il a mené ce travail jusqu’en 2018 », atteste l’ex-adjoint aux écoles Gérard Najman devenu très proche.

Henri Benoît, « plus vieux compagnon » de Maurice Rajsfus. LP/Lucile Métout Henri Benoît, « plus vieux compagnon » de Maurice Rajsfus. LP/Lucile MétoutAlors oui, le « Grand Monsieur » laisse beaucoup d’amis peinés en ce jour d’au revoir. Tel Pierre Marcel qui a fêté ses anniversaires « comme on plante des arbres de la liberté ». Ou son « plus vieux compagnon », Henri Benoît : « On a tellement partagé, Maurice et moi, qu’on ne se parlait plus que par anecdotes ! Mais ce qui m’a tout de suite frappé, c’est sa sensibilité de fouille-merde. C’était un jeunot pour moi », lâche celui qui est de deux ans son aîné.

Pour permettre à tous ceux qui ne pouvaient pas être présents ce jeudi en raison du contexte sanitaire, Marc Plocki annonce « un grand moment de solidarité » en l’honneur de Maurice Rajsfus le 4 juillet. Il ne peut pas dire où, mais « il y aura des captations d’images, des prises de parole, des artistes et des chansons ».

Au cimetière de Cachan ce jeudi après-midi, les poings se sont levés sur les paroles de La semaine sanglante puis de l’Internationale. Et Maurice Rajsfus est parti, sous les œillets.


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