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SOURCE : The Conversation
La conquête de Perpignan par Louis Aliot ne se singularise pas seulement par la taille de la cité (121 681 habitants). En effet, la victoire en duel (contre le maire sortant Jean‑Marc Pujol, Les Républicains), au second tour est exceptionnelle pour le Rassemblement national (RN) : en 2014 seul Cogolin (Var) avait ainsi été prise, là aussi contre une liste de droite.
Or, gagner en duel implique de parvenir à créer une alliance temporaire entre citoyens aux intérêts socioéconomiques divergents. Le RN est normalement puissant parmi les classes populaires, mais nettement plus faible parmi les autres secteurs sociaux : aux récentes élections européennes il obtenait 40 % du vote des ouvriers, 30 % de celui des foyers vivant mensuellement avec moins de 1200 euros par mois (quand La République en Marche n’y obtenait que 11 %).
La prise de Perpignan est donc particulièrement significative d’une fusion des droites réussie grâce à un dépassement du socle populaire du lepénisme.
Le ralliement des classes aisées
En 2014 déjà, la liste menée par Louis Aliot avait connu des succès notables au sein de quartiers perpignanais bourgeois. Dans le bureau de vote n°52, quartier des villas avec piscines sécurisées du Mas LLaro situé à l’extrémité orientale de la ville, très huppé et sans mixité ethnique ou sociale, son score était de 50,6 %.
Pour peu qu’un autre trait sociologique polarise le vote à droite, le résultat pouvait être encore plus important : dans le quartier résidentiel de Las Cobas le bureau de vote n°48 comptant 10,6 % de pieds-noirs sur sa liste électorale (selon les dates et lieux de naissance) votait Aliot à 55,4 %, tandis que leurs homologues plus modestes du quartier du Moulin à Vent votaient lepéniste moins puissamment.
Un discours libéral séduisant
Le croisement du fichier d’adhérents du FN, du prix au mètre carré dans les bureaux de vote et des scores comparés de Marine Le Pen et de Louis Aliot éclaire un point particulier :
S’impose l’évidence d’une plus-value locale de Louis Aliot, plus-value qu’en 2020 encore ses adversaires Jean‑Marc Pujol et Romain Grau (LREM) n’ont cessé de nier tout au long de la campagne.
Les classes moyennes déclassées fournissent le gros des militants et ont bien un effet de normalisation de la présence du parti : son score s’y avère corrélé. Cependant dans la catégorie la plus aisée, les choses divergent : si le bureau 52 ne compte aucun militant, « l’aliotisme » y a bien une solide base, quoiqu’avec une moindre marge de progression que dans la classe moyenne.
Le coût en capital social d’une implication directe pour le FN (par l’encartement) était encore trop élevé, ce qui n’empêchait pas d’en partager ses vues.
En 2020, en investissant des notables de droite, en mettant en avant les thèmes de la sécurité et de la prospérité à retrouver, en tenant un discours libéral bien loin de celui de Marine Le Pen, Louis Aliot a raflé la mise en parvenant à allier les classes populaires et les classes aisées.
Un nouveau champion
En somme, la liste et la campagne de notabilisation de Louis Aliot ont joué chez les CSP+ le rôle détenu par les militants dans les milieux moins fortunés. Cette accommodation ne correspond pas seulement à celle du parti, comme en témoigne l’évolution des pourcentages électoraux accordés par le Mas Llaro (bureau 711, après le redécoupage des bureaux de vote) :
Cet électorat filloniste, qui avait largement plébiscité Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle, a conservé sa confiance à LREM aux Européennes, mais est revenu en 2020 à son positionnement pro-Aliot.
On a ici une droite « de l’ordre », qui se cherche un champion. Elle ne considère pas le programme du RN comme crédible, car trop anti-business, mais voit néanmoins dans Louis Aliot l’offre politique assurant conservatisme culturel, ordre sécuritaire et ethnique, et libéralisme économique.
C’est une fusion des droites qui s’opère et qui démontre comment le ralliement de trois colistiers de la liste Romain Grau à Louis Aliot, dans l’entre-deux-tours, n’est pas qu’une question de personnes, mais correspond à la rencontre d’une offre politique et d’une demande sociale.
Un programme concret pour la sécurité
Une fois élu, Louis Aliot a annoncé qu’il prendrait directement en charge la question de la sécurité. Ce thème a toujours été au centre de toutes les campagnes municipales perpignanaises pour le FN, mais ce fut la première fois que la liste présenta un programme concret, listant une série de mesures précises. Si la ville a connu sous la précédente mandature une baisse conséquente des vols sans violence, les atteintes aux personnes y restent en progression, particulièrement les coups et blessures qui ont augmenté de 24,4 % depuis 2013.
En janvier 2020, un sondage IFOP-Semaine du Roussillon-Sud Radio montrait que la « sécurité des biens et des personnes » était estimée être un déterminant du vote par 48 % des électeurs perpignanais sondés.
Prenons ainsi l’exemple du quartier ouest du Bas Vernet, zone modeste parmi les quartiers prioritaires de la ville, connaissant effectivement de réels problèmes de sécurité, en particulier dans le secteur de la cité des Oiseaux.
61 % des habitants de Bas Vernet Ouest considéraient que la sécurité serait un élément important pour leur vote. Et, effectivement, le bureau de vote correspondant a donné 61,65 % de ses suffrages à Louis Aliot au second tour.
Une convergence entre quartiers populaires et huppés
Les Oiseaux et le Mas Llaro, si différents socialement, convergent ainsi dans le podium des bureaux de vote pro-Aliot. Si Marine Le Pen n’avait battu Emmanuel Macron que dans un seul bureau de vote perpignanais lors du second tour de l’élection présidentielle, cette congruence a permis la construction d’une majorité politique.
Mais elle ne s’est pas faite sans scission à l’intérieur des classes populaires. En effet, la ville a des quartiers pauvres avec une forte concentration de personnes originaires de la rive sud de la Méditerranée – en particulier dans le centre ancien dégradé et dans les quartiers nord.
En 2014, ce sont ces électeurs d’origine maghrébine qui avaient sauvé le maire sortant. Votant à gauche d’ordinaire, ils s’étaient mobilisés pour le maire de droite dès le premier tour, et surmobilisés au second.
La campagne 2020 a ainsi été structurée par une stratégie visant à manœuvrer cette sociologie. Les équipes de Jean‑Marc Pujol ont tout fait pour mobiliser les quartiers nord et leur population d’origine maghrébine. Louis Aliot de son côté, a évité de leur faire peur.
S’il a lancé sa campagne soutenu par Éric Zemmour dans une salle emplie d’un public très « bourgeois », il a par la suite soigneusement omis les thèmes de l’islam ou de l’immigration.
Dans les cités, la mobilisation ne suffit plus
Le résultat dans les urnes peut être lu avec l’exemple du bureau de vote de la cité Clodion.
Avec le plus fort taux de prénoms arabo-musulmans sur sa liste électorale de toute la ville (54,4 %) et un seul militant FN encarté, il donnait à Jean‑Marc Pujol son meilleur score de 2014 (44,4 %) et sa meilleure progression au second tour (plus 34,7 points).
En 2020, le nouveau bureau de la cité a vu sa participation progresser de 13 points au second tour et Louis Aliot y connaître un score plancher de 20,45 %. La dynamique a été structurante… mais non suffisante, car trop resserrée sur le territoire : l’essentiel des quartiers populaires n’a pas été surmobilisé par la présence d’un candidat RN embourgeoisé.
La question s’appréhende en fait en comparant trois cartes :
- celle du vote Aliot au second tour de 2014 avec les principales zones populaires
- celle de la proportion des prénoms arabo-musulmans et de la présence de lieux de culte musulmans, toutes deux réalisées par le géographe Sylvain Manternach
- celle du vote Aliot publiée par le quotidien régional L’Indépendant au lendemain du second tour 2020.
Le schéma qui apparaît est l’inverse de celui des tenants de la thèse de la « France périphérique ».
Le vote RN ne s’est pas construit dans les quartiers populaires par conséquent de la société multiculturelle, mais autour d’eux, avec des sommets dans des zones aisées, contre la société multiethnique estimée responsable du gaspillage financier et de l’insécurité, tandis que l’épuisement du système clientéliste a désaffilié les zones populaires et a empêché la surmobilisation d’opérer cette fois-ci.
Insiders et outsiders
L’objection naturelle à notre démonstration serait que les mouvements électoraux soient une conséquence des conditions du vote induites par la crise du coronavirus et d’un trop long entre-deux-tours qui a démobilisé des pans entiers de l’électorat comme le montre la politiste Céline Braconnier. On peut démontrer que la question est structurelle avec quelques schémas.
La moitié de l’électorat perpignanais est composé de natifs du département, l’autre moitié des autres départements de la France métropolitaine. Dans le vocabulaire de la vie quotidienne perpignanaise, c’est une différence résumée entre « Catalans » et « Gavatx », ceux « de souche » et ceux venus d’au-delà du village de Salses. Ces « allochtones », comme on préférera surnommer les Perpignanais non natifs, vivent plutôt dans les quartiers aisés :
Comme nous l’avions démontré avec Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach dans notre étude sur la ville pour la Chaire Citoyenneté de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, ces allochtones ont un vote nettement plus libéral que les natifs :
Or, il s’avère que ces personnes plus intégrées au système économique et moins au système socioculturel local se sont plus mobilisées lors des municipales.
Si on observe le scrutin en classant les bureaux de vote par participation :
Puis qu’on classe les bureaux par taux de population allochtone :
Il apparaît que la liste Aliot a d’abord souffert au premier tour d’une démobilisation de l’électorat natif qui lui est favorable. S’il a fait alors quasiment le double du score de Jean‑Marc Pujol, ce niveau masque une abstention différenciée à son encontre, de par la plus grande insertion civique des allochtones, moins RN et plus présents dans les urnes.
Certes, le retour de la participation des natifs au second tour a permis à Louis Aliot de récupérer des stocks de voix, mais il doit aussi sa victoire à la partie de l’électorat libéral conservateur issu de la métropole qui s’est désormais tournée vers lui, contrairement aux tendances précédentes.
Il y a bien eu à Perpignan une fusion des droites idéologiquement, sociologiquement, et électoralement. La rencontre des classes populaires locales et des classes aisées métropolitaines construit un bloc social qui devrait peser dans le futur proche du Rassemblement national, puisqu’aux précédentes élections départementales et régionales il avait obtenu d’excellents scores au premier tour par captation des voix populaires, mais avait été incapable d’attirer au-delà pour obtenir la majorité au second tour. La victoire à Perpignan n’est pas un accident, et la possibilité d’une ligne désenclavant le RN est posée.