Des néonazis font carrière dans l’armée française

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SOURCE : anti-k

Mediapart, 8 juillet 2020

Mediapart a retrouvé la trace d’une dizaine de militaires et d’anciens militaires qui ne font pas mystère sur les réseaux sociaux de leur adhésion à l’idéologie néonazie. Ce qui ne les empêche pas de continuer leur carrière.

Le 25 juin 2018, Alan V. explique sur Facebook qu’il faudrait coller « une bonne balle dans la nuque » des migrants… Un énième déferlement de haine sur les réseaux sociaux ? Pas seulement. C’est aussi un problème de sécurité nationale. Alan V. est un jeune militaire du 27e bataillon de chasseurs alpins (BCA).

Sur son compte Instagram, le même Alan publie des clichés qui le montrent en uniforme, notamment à Menton dans le cadre de la mission Sentinelle (Mediapart n’a pu déterminer l’objet de la surveillance à laquelle il était assigné, notamment s’il s’agissait d’un lieu de culte).

Le militaire ne fait pas mystère sur les réseaux sociaux de ses opinions politiques comme lorsqu’il expose un gros plan d’un tatouage sur un avant-bras. On peut y lire : « Meine Ehre heißt Treue [Mon honneur s’appelle fidélité – ndlr] ». Soit la devise gravée sur la boucle de ceinture des SS en référence à leur fidélité à Adolf Hitler.

Lorsqu’elle a rendu son rapport le 6 juin 2019, la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France avait pris soin de placer au premier rang de ses 32 recommandations : « [Le] suivi des membres ou anciens membres des forces armées ou de sécurité intérieure impliqués dans des groupes d’ultra-droite. »

Auditionné par cette même commission, le général Jean-Marc Cesari, le sous-directeur de l’anticipation opérationnelle (SDAO, le service de renseignement de la gendarmerie), s’était voulu rassurant : « À l’évidence, il n’y a pas de place chez nous pour des personnes qui véhiculent des idées antirépublicaines et extrémistes violentes, quelle que soit l’idéologie qui les sous-tend. » À voir.

L’enquête de Mediapart, menée pour l’essentiel en source ouverte (c’est-à-dire en consultant les publications sur les réseaux sociaux accessibles à tous), révèle une dizaine de cas de militaires ou ex-militaires (mais encore en service au moment de certaines de leurs publications) qui affichent leur idéologie néonazie au vu et au su de tous. Sans que cela n’ait entraîné jusqu’ici leur éviction de la grande muette. Les deux seuls militaires ayant quitté l’armée l’ont fait de leur propre chef.

Contacté, le ministère des Armées a répondu (voir la réponse complète dans l’onglet Prolonger) que « parmi les militaires mentionnés dans l’enquête [de Mediapart], certains sont encore en service et les éléments ont été portés à la connaissance de leur chaîne de commandement ».

L’article (L. 4139-15-1) du code de la défense prévoit de procéder à la radiation des cadres ou à la résiliation du contrat d’un militaire lorsqu’une enquête administrative fait apparaître que son comportement « est devenu incompatible avec l’exercice de ses fonctions eu égard à la menace grave qu’il fait peser sur la sécurité publique ».

Pour détecter ce type de comportement, l’enquête de sécurité, menée en amont du recrutement, doit permettre d’« écarter tout candidat présentant des signaux, même faibles, de radicalisation », détaille le rapport de la mission d’information sur les services publics face à la radicalisation des députés Éric Diard et Éric Pouilliat, le 27 juin 2019. Ce contrôle est conduit par le Centre national des habilitations défense (CNHD). Chaque candidat fait l’objet d’un « contrôle élémentaire », qui vise « à évaluer le degré de confiance qui peut lui être accordé ». Le casier judiciaire, les antécédents sont, entre autres, épluchés. Mais les réseaux sociaux ?

Mediapart a déniché le cas de Yann G. qui s’affiche dès octobre 2016, et à plusieurs reprises, avec des vêtements portant le logo du réseau néonazi « Blood & Honour », dont le nom provient de la devise des Jeunesses hitlériennes, « Blut und Ehre ». Cela ne l’empêchera pas de s’engager au 1er régiment de hussards parachutistes à la fin de l’année 2018. Depuis, ni sa qualité de soldat ni la dissolution de la filiale française de « Blood & Honour » prononcée en conseil des ministres en juillet 2019 n’ont gêné Yann pour publier de nouvelles photos en août 2019 sur son compte Instagram sur lesquelles il apparaît vêtu d’un sweat-shirt aux couleurs du groupuscule interdit.

« Par construction, nous n’avons pas les moyens de suivre les publications de nos 140 000 personnels lorsqu’ils s’expriment sur internet, avoue le ministère des Armées. Tous ne font pas état de leur qualité de militaire dans leurs publications ou s’expriment sous une autre identité. […] Une minorité de soldats s’expriment via leurs comptes personnels sur les réseaux sociaux ou sur des sites extrémistes sans que l’armée de Terre puisse le détecter. » Le CNHD dispose bien d’un outil permettant « le criblage des réseaux sociaux ». Mais cela ne permet, selon le ministère, qu’« une photo instantanée à un moment donné ».

« Merci führer », répond un chasseur alpin à un frère d’armes

Une fois l’étape du recrutement passée, il revient à la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD, la police militaire) d’enquêter sur une éventuelle radicalisation qui pourrait intervenir dans le cadre du service ou « lorsque l’intéressé est en contact moins fréquent avec l’institution militaire (congé maladie, reconversion, etc.) », explique le rapport de la mission d’information. La DRSD, service de renseignement dit du premier cercle, peut alors recevoir le renfort de ses homologues.

La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) organise des réunions de sensibilisation auprès des différents corps d’armée. Ce afin d’améliorer l’échange d’informations sur les militaires suspectés d’appartenir à la mouvance de l’ultra-droite. Il faut croire que ce n’est pas suffisant. Il y a encore, comme n’aimait pas qu’on lui rappelle un ancien ministre de l’intérieur, « des trous dans la raquette ».

Parmi les cas recensés par Mediapart, on compte Rurik R. Ce sergent au 2e régiment d’infanterie de marine (RIMA) aime à s’exposer torse nu sur son compte Instagram. Son millier de followers a tout le loisir d’admirer sa collection de tatouages, sa croix celtique au niveau du cœur, surmontée du mot « White », ainsi que la devise de la SS, la même que celle qu’expose le chasseur alpin Alan. Avec une différence, Rurik se l’est fait tatouer en russe et non en allemand sur l’avant-bras.

Pourtant l’armée de terre a mis en place un dispositif censé faire remonter « les informations concernant d’éventuelles radicalisations », peut-on lire dans le rapport de la mission d’information qui cite comme exemple des dérapages sanctionnés : le commandement « ne peut tolérer par exemple une barbe ‘‘mal taillée’’ (contraire au règlement) ou un discours discriminant ». Mais que dire dans ce cas des signes reprenant l’imagerie néonazie ?

« L’armée de terre lutte contre tous les types de radicalismes, assure le ministère. Elle conduit des actions de sensibilisation dès l’incorporation puis reste attentive à tout comportement déviant. Tout cas démontré fait l’objet d’une procédure disciplinaire débouchant sur une sanction immédiate et forte. »

François D. aurait pu être détecté avant comme après son recrutement. Deux mois avant qu’il intègre le 13e bataillon de chasseurs alpins en septembre 2016, on le voit en effet sur Facebook fanfaronner le bras tendu, effectuant un geste qui s’apparente à un salut nazi. Son profil est précisé sur le cliché, ce qui facilite son identification.

Et une fois devenu chasseur alpin, François ne fait pas mystère de ses opinions à certains de ses camarades de régiment, à l’instar de Dylan qui lui écrit « Merci führer » après avoir publié l’une de ses photos.

D’après Streetpress, le chasseur alpin était également un militant de l’Edelweiss, la section du Bastion social basée à Chambéry. Héritier du GUD, le célèbre groupe de l’extrême droite militante post-1968, le Bastion social tente alors de soigner son image en « venant en aide aux plus démunis » tout en appliquant « la préférence nationale ». Ses membres ne renoncent pas pour autant à la tradition du coup de poing. En octobre 2017, François D. participe ainsi aux côtés d’autres militants du Bastion social à l’attaque d’un concert de la fédération anarchiste locale. Il écope d’un rappel à la loi. En attente d’une éventuelle sanction disciplinaire, il est toujours militaire.

Mediapart n’a pas pu déterminer avec certitude si le légionnaire d’origine russe Rodion K. avait posté des photos licencieuses avant ou après son entrée dans l’armée française. Ce qui est sûr, c’est que plusieurs images publiées en août 2015 le montrent effectuant un geste semblable à un salut nazi dans une forêt, ou bien encore vêtu d’un sweat-shirt arborant notamment une croix gammée. Les premières photos de Rodion au sein de la Légion étrangère que nous avons pu identifier datent de janvier 2017, ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’était pas engagé avant. Quoi qu’il en soit, ces photos existent et n’ont soulevé aucune interrogation de la part de sa hiérarchie. Par ailleurs, sur le réseau social VKontatke, un équivalent de Facebook très populaire en Russie, Rodion K. s’affiche dans les locaux de CasaPound, un mouvement néofasciste italien.

Maxime P. et Teddy M. ont été ensemble au 2e régiment étranger parachutiste. Le premier a quitté l’armée, le second y officie toujours. Les deux amis collectionnent les tatouages très évocateurs du néonazisme.

Maxime P. s’affiche ostensiblement sur les réseaux sociaux avec un soleil noir sur l’épaule (symbole couramment utilisé par l’ésotérisme nazi, notamment représenté dans le château de Wewelsburg, quartier général de la SS), une kolovrat (double croix gammée) surmontée du slogan « White Pride » sur le torse, une rune d’Odal (rune nordique notamment utilisée par certaines unités de la Waffen-SS) sur le biceps, l’insigne de la SS sur le poignet ou bien encore les chiffres « 14 » (référence à un slogan du suprémaciste blanc américain David Lane) et « 88 » sur les doigts (référence au H, la huitième lettre de l’alphabet, pour « Heil Hitler »).

Teddy M. a ornementé son corps d’un imposant soleil noir sur l’épaule, le slogan « White Power » sur le bras ainsi qu’une totenkopf (l’emblème d’une division de la Waffen-SS notamment affectée à la garde des camps de concentration et d’extermination nazis), et enfin la devise de la SS sur le torse.

Un sous-officier de la Légion étrangère, qui utilise le pseudo « Piou Turon » sur Facebook, apparaît en la compagnie de Maxime P. et Teddy M. sur plusieurs photos prises ces dernières années à Besançon. Si ce sous-officier se fait plus discret sur les réseaux sociaux que ses deux frères d’armes, le pseudo qu’il utilise est hérité du groupe néonazi « Loups Turons », duquel il a été membre au début des années 2010. Parfois sur Facebook, les commentaires du sous-officier qui se cache derrière le pseudo « Piou Turon » laissent penser que ses anciennes idées sont toujours d’actualité. En novembre 2018, il partage ainsi une chanson du groupe de rock identitaire Insurrection baptisée « Fumeur de Spliff », qu’il assortit du commentaire suivant : « Une pensée à toutes les grosses merdes qui fument des spliffs et qui se disent NS [national-socialiste] »…

« La proximité avec des membres des forces de sécurité augmente leur capacité de frappe »

Dans la période actuelle, la première alerte de la DGSI concernant la proportion grandissante de militaires ou de membres des forces de sécurité ayant intégré des groupuscules d’ultra-droite remonte à l’automne 2017. Et elle avait été révélée quelques mois plus tard par Mediapart.

On y racontait notamment que les services de renseignement avaient alors « une cinquantaine de policiers, gendarmes et militaires » parmi ses « objectifs » suivis pour leurs liens avec « l’extrême droite violente », ce qui est près du double des objectifs suivis pour une adhésion à l’islam radical si on en croit les déclarations du ministre de l’intérieur qui, fin 2019, a parlé d’une vingtaine de policiers et d’une dizaine de gendarmes suivis pour des suspicions de conversion au fondamentalisme musulman.

Interrogé à propos des révélations de Mediapart lors de son audition à huis clos à l’Assemblée nationale, Nicolas Lerner, l’actuel patron de la DGSI, confirmera le 14 février 2019 : « La participation de membres ou d’anciens membres des services publics régaliens […] est avérée », et de citer, outre des policiers et des douaniers, d’anciens militaires.

Depuis, un rapport confidentiel d’Europol a, à son tour, tiré la sonnette d’alarme : l’ultra-droite européenne s’arme et est en train d’embaucher dans les rangs des militaires. En novembre 2018, un caporal de l’armée britannique, Mikko Vehvilainen, a été condamné à huit ans de prison après avoir tenté de recruter auprès d’autres enrôlés pour le compte du groupe néonazi interdit Action nationale.

Le profil d’anciens militaires est particulièrement recherché par les différents groupuscules de l’ultra-droite. Ainsi, Valentin D., ex-militaire au 17e régiment du génie parachutiste, est un membre actif du groupe néonazi « Arsouille Naoned » basé à Nantes. L’un des auteurs de ces lignes l’a identifié comme étant impliqué dans l’agression d’une militante LGBT en décembre 2019.
Actif dans les milieux militants de l’extrême droite, Valentin a notamment participé à un tournoi de boxe organisé par Génération identitaire en septembre dernier. Il apparaît également dans une vidéo du groupe « Animus Fortis » implanté à Bourges, et proche de la mouvance de l’ex-Bastion social. Contacté, Valentin nous a répondu qu’il était « civil depuis plus de deux ans » et qu’avant cela, il n’a « jamais milité en tant que militaire car [il] respectait [son] devoir de réserve ».

Sur son compte Instagram, Valentin affiche son admiration pour Brenton Tarrant, le terroriste australien auteur de la tuerie ayant fait 51 morts dans deux mosquées à Christchurch, en Nouvelle-Zélande. À plusieurs reprises au cours des derniers mois, Valentin a utilisé comme photo de profil une image à la gloire du tueur qui le montre en figure mythifiée devant un soleil noir.

Les deux soldats du 2e régiment étranger parachutiste, Maxime et Teddy, ont quant à eux fréquenté, à l’été 2019, plusieurs membres des Zouaves Paris, jeune groupe héritier du GUD qui a récemment multiplié les actions violentes dans la capitale. Sur plusieurs photos, ils apparaissent également en compagnie de Marc Bettoni, co-fondateur du groupe néonazi, désormais dissous, « Combat 18 » (1 et 8 en référence à la place des lettres A et H dans l’alphabet, en hommage à « Adolf Hitler »). Yann, engagé au 1er régiment de hussards parachutistes, s’affiche régulièrement – on l’a vu – avec des vêtements portant le logo du réseau « Blood & Honour » ; François, le chasseur-alpin, était, lui, un militant de l’Edelweiss, à Chambéry.

Autant de groupuscules surveillés, suivis par les services de renseignement notamment en raison de la recrudescence de militaires en leur sein. Dès lors comment expliquer que la dizaine de cas identifiés en source ouverte par Mediapart n’ait pas attiré l’attention du ministère des Armées ? Interrogé sur ce point, le ministère n’a pas répondu. Une source interne à l’armée de terre affirme, elle, que certains d’entre eux – sans vouloir préciser combien – étaient déjà repérés et « en cours de traitement ». Cela prend visiblement du temps. Les premiers éléments de radicalisation mis en lumière par notre enquête remontent, pour chaque militaire, entre 2015 ou 2018.

Hormis le fait que cela soit contraire aux valeurs républicaines et accessoirement illégal, la présence de néonazis au sein de l’armée française ne doit pas être réduite à la reproduction d’un folklore aussi vieillot que nauséabond. Elle est porteuse de menaces de passage à l’acte, comme l’a souligné Nicolas Lerner, le patron de la DGSI lors de son audition précitée : « La proximité de certains groupes avec des membres des forces de sécurité (militaires ou policiers, en exercice ou non) augmente leur capacité de frappe et leur désinhibition à la violence. »

Originaire du Kentucky et militaire depuis 2018, Ethan Melzer, un soldat américain de 22 ans vient d’être inculpé ces jours-ci à New York pour avoir aidé un groupuscule sataniste néonazi à préparer, contre sa propre unité basée en Turquie, un attentat qui visait à causer des « pertes massives », selon ses propres déclarations citées dans l’acte d’inculpation. Sympathisant depuis 2019 du mouvement sataniste néonazi britannique Order of Nine Angles (O9A), Ethan Melzer a transmis des informations précises, par le biais d’un forum de discussion en ligne de l’O9A, quant au futur lieu de stationnement de son unité en Turquie, et les points de fragilité dans le dispositif de protection du site.

En France, un ancien du 2e régiment de hussards, reconverti dans la sécurité privée, a été arrêté fin mai à Limoges car soupçonné de vouloir s’en prendre à la communauté juive. Sur sa page Facebook (évoquée par Le Parisien), on trouvait pêle-mêle une photo de profil représentant un œil surmonté du symbole des « escadrons de la mort », un portrait du terroriste survivaliste américain Timothy McVeigh. Antisémite et islamophobe, il glorifiait sur les réseaux sociaux les tueries de masse et s’identifiait à Brenton Tarrant ou encore à Anders Breivik, le terroriste norvégien.

En octobre 2017, la sous-direction antiterroriste (SDAT) et la DGSI démantelaient une cellule dans laquelle on trouvait un élève de l’école de formation des sous-officiers de l’armée de l’air. Ladite cellule projetait des actions violentes contre des migrants et des assassinats politiques – Jean-Luc Mélenchon puis Christophe Castaner avaient été envisagés comme cibles – dans les Bouches-du-Rhône.

S’approprier la violence légitime

Le rapport de la mission d’information sur les services publics face à la radicalisation souligne que des militaires et anciens militaires français se sont engagés dans la rébellion au Donbass, en Ukraine, d’autres ont tenté – en vain – de se charger du service d’ordre des « gilets jaunes », et un groupe baptisé Task force La Fayette réunissant entre autres d’anciens militaires est parti en Syrie combattre l’État islamique « avec des motivations proches de l’extrême droite ».

Questionné par les députés Muriel Ressiguier et Adrien Morenas dans le cadre de la Commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, Jean-Yves Camus, le directeur de l’observatoire des radicalités politiques de la fondation Jean-Jaurès, a souligné que ces groupes ont « la tentation de prendre la place [des] institutions, et ce d’autant plus facilement qu’un certain nombre de leurs membres ont servi dans la police, la gendarmerie et l’armée et, tout en n’étant plus en activité, s’estiment encore en droit de s’approprier la violence légitime ».

Et pourtant à entendre certains discours de représentants de l’État, le problème serait résolu.

Lors de la conférence ayant pour thème « Sécurité intérieure : état des menaces et perspectives » du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure fondé par l’avocat Thibault de Montbrial en septembre 2019, les différents intervenants avaient insisté, légitimement, sur la menace djihadiste qui a tant frappé ces dernières années, mais également sur de nouvelles formes intitulées « les subversions violentes », qui nécessitaient le redéploiement des moyens de l’État, notamment de ses services de renseignement.

L’alors secrétaire d’État Laurent Nuñez avait énuméré « les anarcho-autonomes, l’ultra-gauche, parfois les antifas », le coordinateur national du Renseignement et de la lutte antiterroriste, Pierre de Bousquet de Florian, avait complété avec « les défenseurs supposés du climat, les indépendantistes qui ressurgissent, les antispécistes ». De l’ultra-droite, il avait été très peu question. Le coordinateur national du Renseignement considérant que ses militants étaient « plus faciles à décramponner, ils établissent le siège social de leurs mouvements dans un bistrot… ».
Trois mois plus tôt, le rapport de la mission d’information sur les services publics face à la radicalisation estimait que « le personnel des forces armées […] paraît dans notre pays à l’abri, pour l’instant, de toute radicalisation notable ». Pourquoi ? Parce que « par essence, l’institution militaire est peu permissive, ne laissant ainsi que peu de place à des comportements incompatibles avec le service de la nation et les valeurs républicaines ».

Selon les chiffres soumis par la DRSD aux rapporteurs, la proportion de suspicion de radicalisation (« qu’elle soit islamique ou politique ») est évaluée à 0,05 % dans l’armée de terre, à 0,03 % dans la marine (« Le seul cas de radicalisation ayant conduit à affecter une personne dans un poste très peu exposé a concerné l’ultra-droite », est-il précisé) et, dans l’armée de l’air, « aucun aviateur n’est actuellement suivi pour radicalisation clairement démontrée ». Le ministère nous confirme que « la DRSD constate une stagnation des suspicions de radicalisation au sens large (islamique ou politique) au sein du ministère des Armées depuis ces douze derniers mois ».

Comparée à l’ensemble de la communauté des armées (230 000 militaires et 130 000 gendarmes), la douzaine de cas identifiés par Mediapart pèse peu mais notre enquête, menée en source ouverte avec les moyens qui sont ceux d’un journal et non de l’État, ne saurait être exhaustive.

Mediapart a demandé au ministère des Armées combien de soldats sont identifiés comme étant d’extrême droite, combien font l’objet d’une fiche S, combien sont inscrits au FSPRT. Il nous a été répondu que « la DRSD ne communique aucun chiffre dans ce domaine. En effet, les personnes suivies (militaires ou civils) font l’objet d’investigations qui nécessitent la plus grande discrétion ». L’Allemagne n’a pas ces pudeurs.

Le service de renseignement militaire allemand vient de publier un rapport sur la radicalisation des troupes. Et les chiffres sont préoccupants : 592 soldats ont été identifiés comme d’extrême droite en 2019.
Pour le coup, la ministre de la défense fait le ménage dans les rangs de son armée et vient de dissoudre une partie de son commando des forces spéciales (KSK), infiltrée par l’extrême droite. Le rapport d’enquête piloté par le chef d’état-major de la Bundeswehr, ayant conduit à la dissolution partielle de l’unité d’élite, dénonce l’existence d’« un mur du silence » ayant favorisé une culture de l’impunité.

En France, cherche-t-on à savoir ?

La loi SILT a institué un conseil qui doit rendre un avis sur une éventuelle radiation dès lors qu’une enquête administrative a fait apparaître que le comportement d’un militaire est devenu incompatible avec l’exercice de ses fonctions.

Ce conseil ne s’est pour l’heure jamais réuni. Les représentants de l’institution militaire auditionnés par la mission d’information sur les services publics face à la radicalisation ont indiqué que, les cas étant traités en amont, « cette instance paritaire pourrait n’être jamais consultée »…

PAR SÉBASTIEN BOURDON ET MATTHIEU SUC


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