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SOURCE : Blog de Mediapart
Alexandria Ocasio-Cortez, incontestée
Nouveau visage de la gauche radicale américaine, Alexandria Ocasio-Cortez était l’adversaire à renverser pour l’establishment démocrate. Pour ce faire, le parti avait choisi Michelle Caruso-Cabrera : l’ancienne présentatrice de la chaîne CNBC au pedigree républicain et acquise à la cause des milieux d’affaires avait réuni quelque 2 millions de dollars pour faire campagne : une bagatelle au regard des 10 millions de dollars récoltés par sa rivale socialiste et constitués exclusivement de petits dons. Peu préparée, la candidate de Wall Street s’était livrée à une prestation bien peu convaincante lors du débat organisé sur la chaîne NY1. Focalisée sur la personne d’Alexandria Ocasio-Cortez, on ne retient de Caruso-Cabrera que le mantra « AOC is MIA » (Alexandria Ocasio-Cortez is Missing in Action) tant elle l’a répété, au point d’être moqué par l’intéressée en fin de débat.
Désormais mondialement connue, la jeune congresswoman n’a quant à elle eu aucun mal à mobiliser l’électorat du 14e district de New York, majoritairement latino. Son programme politique n’a d’ailleurs guère changé en deux ans : la crise du Covid-19 et le bouleversement climatique n’ont fait que renforcer selon elle la nécessité d’un système de santé à payeur unique (Medicare for All) et d’un plan colossal d’investissement écologique (Green New Deal).
Soutenue par une impressionnante kyrielle d’organisations et de personnalités (des Democratic Socialists of America de la ville de New York jusqu’à l’ancien président Barack Obama), Alexandria Ocasio-Cortez s’est imposée mardi 23 juin sans contestation possible : réunissant près de 73% des suffrages, celle qui était auparavant barmaid a désormais la quasi-certitude de siéger 2 ans de plus au Congrès. Dans son sillon, elle entraîne Jamaal Bowman et une importante délégation socialiste.
Jamaal Bowman, le prochain « AOC » ?
À 44 ans, l’ancien principal de collège pourrait bien devenir l’un des nouveaux visages de la gauche américaine. Celui qui a grandi à New York vient de créer la surprise en faisant tomber Eliot Engel : le président du comité des affaires étrangères à la Chambre des Représentants, âgé de 73 ans, n’a recueilli que 34,9 % des suffrages. Dans un district où aucun·e candidat·e du Parti républicain ne se présente, Jamaal Bowman est sûr d’être élu congressman du 16e district de New York le 3 novembre prochain.
« Si je n’avais pas la primaire,
je n’en aurais que faire »
— Eliot Engel
Dans une Amérique tourmentée par le meurtre de George Floyd et de Breonna Taylor, Eliot Engel a lourdement fauté en public au sujet des protestations qui émaillent actuellement la ville de New York en laissant échapper micro ouvert « Si je n’avais pas la primaire, je n’en aurais que faire » : l’expression d’un mépris qui a laissé un goût amer à l’électorat du 16e district ni de son principal rival progressiste. « Nous avons besoin de prendre soin de notre communauté maintenant, que l’on soit en période électorale ou non » a ainsi répondu Jamaal Bowman.
Dans un district où certains secteurs affichent un taux de pauvreté supérieur à 20 % (à Eastchester, par exemple) et où la précarité touche en premier lieu les personnes afro-américaines (qui représentent 34 % de la population), la phrase d’Eliot Engel tranche avec le programme du candidat Bowman, résolument progressiste et tourné vers les plus fragiles. « Reconstruction », une référence à l’ère post-guerre civile et post-esclavagiste, est ainsi le maître-mot de son projet qui met à l’honneur les deux faces de la pièce maîtresse de la gauche socialiste : Medicare for All et le Green New Deal. À l’instar d’Alexandria Ocasio-Cortez (qui lui a apporté son soutien), la candidature Bowman est soutenue par de nombreuses organisations parmi lesquelles : le comité d’action politique Justice Democrats, le Working Families Party, le très écologiste Sunrise Movement, MoveOn et les Democratic Socialists of America.
« Si vous voulez me qualifier de socialiste, qualifiez-moi de socialiste »
Celui qui s’annonce comme la prochaine figure montante de la gauche radicale américain ne mâche pas ses mots. Dans un long entretien accordé au magazine Jacobin l’an dernier, le candidat dressait un constat sévère : « Nous avons un système dans lequel trois Américains possèdent plus de richesses que les 50 % du pays situés en bas de l’échelle. Nous avons 40 millions de personnes qui vivent dans la pauvreté. Nous avons 15,5 millions d’enfants qui vivent dans la pauvreté. Ce que nous avons maintenant ne fonctionne pas pour la majorité d’entre nous » avant d’ajouter, un rien défiant : « Si vous voulez me qualifier de socialiste, qualifiez-moi de socialiste ».
À la sortie des urnes, Bowman l’emporte loin devant celui qui a occupé la Chambre des Représentants durant près de 22 ans. Réunissant 60,7 % des suffrages, le socialiste pourrait ainsi devenir le 3 novembre un élu du Congrès des États-Unis. Une énième victoire pour une gauche socialiste dont la dynamique se poursuit depuis désormais quatre ans.
Délégation socialiste à l’Assemblée
D’abord perçues comme une victoire timide, presque décevante, les primaires démocrates pour l’Assemblée de l’État de New York se révèlent finalement être une réussite majeure pour les profils soutenus par la branche new yorkaise des Democratic Socialists of America.
Le dépouillement tardif des votes par correspondance (absentee ballots) a ainsi permis de renverser l’issue du scrutin pour Marcela Mitaynes, Phara Souffrant Forrest et Emily Gallagher.
La première, enfant de Brooklyn originaire du Pérou, avait tout d’abord admis sa défaite face à son principal concurrent : Felix Ortiz. L’élu du 51e district, en place depuis 1995, avait célébré sa victoire le 24 juin avant de concéder son échec le 16 juillet, après décompte des votes par correspondance. La militante pour les droits des locataires signe là une victoire riche en symboles : au micro de Revolutions per minute, la radio du New York City DSA, la future élue a ainsi évoqué non sans une certaine émotion les sacrifices de ses parents venus chercher une vie meilleure aux États-Unis. Cette victoire inattendue de Marcela Mitaynes l’est tout autant pour ses camarades socialistes Phara Souffrant Forrest et Emily Gallagher.
C’est d’ailleurs de cette dernière que vient la plus grande surprise : Emily Gallagher est parvenue contre toute attente à faire tomber Joseph Lentol, élu du 50e district depuis 1973. L’homme aux 23 mandats consécutifs, pourtant soutenu par le progressiste Working Families Party, a été défait à la surprise générale par une autre militante pour les droits des locataires, et démocrate socialiste bien que non soutenue de manière officielle par les DSA de la ville de New York.
Infirmière âgée de 31 ans, Phara Souffrant Forrest a quant elle fait trébucher Walter Mosley, élu depuis 2013 dans le 57e district. Officiellement soutenue par les DSA et sa figure de proue Alexandria Ocasio-Cortez, l’arrivée d’une professionnelle de santé, socialiste de surcroît, à l’heure où une pandémie fait des ravages pourrait avoir une incidence sur la politique de santé publique new yorkaise.
Dans le 36e district, c’est Zohran Mamdani, 29 ans, qui s’est imposé face à Aravella Simotas, élue depuis 2011. Le jeune ougandais, arrivé à New York à l’âge de 7 ans, aide les familles immigrées dans le cadre de procédures d’expulsions. Conscient des problématiques liées au logement, le jeune démocrate socialiste a ainsi mis l’accent sur le droit au logement dans un quartier, Astoria, où 1 personne sur 4 paie un loyer dont le montant représente plus de la moitié des revenus.
Un duo au Sénat
« Le capitalisme est nourrit par le patriarcat, l’oppression des femmes et l’exploitation du travail domestique », « Un végane gay est élu à Brooklyn ». La première phrase, prononcée sur les ondes de la Revolutionary Left Radio le 24 mai, est signée Julia Salazar. La sénatrice du 18e district, marxiste revendiquée, a été réélue avec un score avoisinant les 84 %. La seconde phrase est issue d’un tweet consécutif à la victoire de Jabari Brisport : noir, gay et végane, le vainqueur de la primaire du 25e district est sur la bonne voie pour prêter main forte à la sénatrice Salazar à Albany, capitale de l’État de New York. Interrogé sur les conclusions qu’il tire de cette élection, Jabari Brisport promet une politique combative : « J’espère que les résultats de cette course seront un signal d’alarme pour l’establishment politique qui a trahi ses électeurs en faveur de la classe des milliardaires – mais nous avons encore un long chemin à parcourir. Lorsque les puissants sentent que leur position est menacée, ils se battent avec acharnement et ne s’arrêtent pas. Nous devons être prêts à nous battre dix fois plus fort, même si nous rejoignons Albany, si nous voulons une législature qui soutienne les travailleurs. Julia Salazar a prouvé que c’est une tâche qu’elle est prête à accomplir, et je ne pourrais pas être plus enthousiaste à l’idée de travailler avec elle. »
Pour NYC DSA, la victoire est presque totale : sur les 7 candidat·e·s investi·e·s, 6 ont remporté leur primaire : seule Samelys Lopez, candidate au Congrès, s’est inclinée. Les deux chambres de l’État de New York pourraient donc changer de visage une fois passée l’élection générale : outre l’arrivée d’une poignée de socialistes, le Working Families Party pourrait également envoyer siéger 11 autres élu·e·s, ce qui fait dire au New York Times que la législature de l’État est en passe de devenir la plus progressiste du pays.
La révolution continue
Les regards se tournent désormais vers les primaires du 4 août, qui concernent 5 États. Ces élections du 23 juin, si elles ont été synonymes de victoires dans l’État de New York, sont à nuancer dans les autres États où elles se sont déroulées. Dans le Kentucky, le candidat au Congrès Charles Booker s’est incliné de peu face à Amy McBrath : une défaite à relativiser dans ce red state où son principal adversaire, le sénateur Mitch McConnell (leader de la majorité républicaine), tient fermement les rênes depuis 35 ans.
Le 3 mars dernier au Texas, Heidi Sloan, candidate soutenue par les DSA, avait échoué à passer cette étape décisive des primaires. Dans le 10e district, Mike Siegel s’était imposé : progressiste et en faveur d’un système de sécurité sociale à payeur unique, il n’est cependant pas socialiste bien qu’il soit le fils de Dan Siegel, militant communiste et ex-dirigeant du New American Movement, une organisation qui a fusionné en 1982 avec le Democratic Socialist Organizing Committee pour former les DSA.
Dans l’Ohio, le Maryland, la Géorgie, les candidates soutenues par les DSA ont échoué (Morgan Harper, McKayla Wilkes et Nabilah Islam). Désormais, les attentes se concentrent tant sur la membre du « Squad » Rashida Tlaib (13e district du Michigan) qui joue sa réélection que sur Rebecca Parson, candidate au Congrès pour le 6e district de Washington. Quelle que soit l’issue de l’élection présidentielle, la gauche radicale et les DSA en particulier ont nécessité à remporter des victoires électorales, ne serait-ce que pour que la dynamique engagée il y a quatre ans puisse se poursuive. Wait ‘n’ see.