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SOURCE : A l'ouest
Révolution noire ! #3 Casey et la condition d’une noire indigène dans les banlieues françaises.
Il aurait été bête de se limiter à uniquement des textes classiques et anciens pour penser la condition noire, surtout vu l’acuité qu’a pu avoir certain.e.s rappeur.euses pour décrire leur quotidien. Casey en fait partie. Rappeuse anti-conformiste, noire, femme leader d’un crew, Anfalsh, constitué d’hommes, lesbienne, et aux textes très critiques.
Elle a toujours tenu à son indépendance dans l’industrie musicale, à la manière de La Rumeur ou des différents rappeurs avec qui elle a constitué l’Asocial Club. Aujourd’hui, elle mêle rap et rock, revendiquant les racines noires du rock n’ roll, elle a également monté un projet de lectures de textes sous fond de rock avec Virginie Despentes et Béatrice Dalle et mis en scène par David Bobée. Dans « Le fusil dans l’étui » elle décrit comme elle en a l’habitude, une réalité sombre, crue, de manière pessimiste et sans compromis. Ici, c’est l’histoire d’une jeune femme noire (même si elle n’insiste pas sur son genre) qui se sent comme étrangère de sa propre vie, cloîtrée dans un monde déserté où on aurait du mal à dire qu’elle y habite, disons plutôt qu’elle le hante. Sa présence dans ce monde est limitée par le fait que ce territoire est occupé (de manière concrète par la police mais aussi de manière mentale), que dans ce quartier comme dans ce pays elle ne sent pas chez elle et même pire se sent en territoire hostile d’où une sensation de vide, de creux. Elle décrit une forme de détresse existentielle qui pousse à être toujours sur le qui vive, prête à dégainer, exploser pour un rien.
Issu du CD Ennemi de l’ordre sorti en 2006.
Je marche sous les voûtes et les arches
Galère sous les porches, (riii peuh !) crache sur les marches
Les mains dans les poches, cannette dans la manche
Je rêve de revanche en semaine et l’dimanche
Je traîne en zone franche,ou l’indigène flanche
Ou le système se penche sur les peaux blanches
Lèche les plus riches,prêche les backchiches
Le vol,la triche,les vices qui aguichent
Ma vie c’est le vide,le creux,le bide
Les coins sordides,les blagues morbides
Le décors du nord et puis des caïds
Sans remord, aucun et que la fièvre de l’or guide
Des frères sous acide,des porcs qui décident
D’infliger la mort sans risquer l’homicide
Des tonnes de suicides et moi qui dilapide
Avant d’avoir des rides,ma santé et mon liquide
J’éprouve pour ce bled une rage qui m’obsède
Quand ils projettent de mettre en place l’appartheid
Quand ma tête a l’écart est la cause qu’ils plaident
Quand ils nous privent nous rejettent et puis nous dépossèdent
Et mes tours sont laides,mon parcours est raide
J’suis à bout abîmée nomade et sans remède
J’ai d’la haine en trop refuse l’entre-aide
Je n’demande ni aumône,ni offrande,ni aide
[Refrain]
La haine me suit,là où je suis
J’ai du mal à garder le fusil dans l’étui
J’ai rempli le canon et puis
Il se peut qu’un beau jour pour un rien j’appuie
La chance me fuit,là où je suis
J’ai du mal à garder le fusil dans l’étui
J’ai rempli le canon et puis
Il se peut qu’un beau jour pour un rien j’appuie
[Couplet 2]
Tous les jours je gère et endure
Insultes,luttes,chutes,échecs et injures
Ignore la nature,le sommeil et l’azur
Et les couchers d’soleil et les bouffées d’air pur
Je n’vois que misère, grisaille et bulldozer
Et pas mal de mes frères moisir sans loisirs
Choisir au hasard un boulot a saisir
Et s’retrouver précaire et sans aucun plaisir
Alors moi je sors et m’emmerde a mort
Je vis sans horaires,je dors a l’aurore
J’adore l’univers de la nuits et ses abords
Et le doux réconfort d’un grand verre d’alcool fort
Les pauvres qui perforent de riches coffres-fort
Sans efforts se sauvent avant les renforts
La casse et le del-bor,ma race et mon folklore
La crasse qui détériore leur emblème tricolore
Derrière les barrières se trouve ma carrière
Aujourd’hui l’brouillard et demain la fourrière
Que veux tu qu’j’espère d’faire du son,du sport
La photo est trop foncée sur mon passeport
J’suis aigrie,amère le coeur sous armure
Même que la rancoeur,le hardcore et le rap dur
Me tape sur les murs,me tape du futur
Joue ma vie au baltrap jusqu’à ma sépulture
[Refrain]
La haine me suit,là où je suis
J’ai du mal à garder le fusil dans l’étui
J’ai rempli le canon et puis
Il se peut qu’un beau jour pour un rien j’appuie
La chance me fuit,là où je suis
J’ai du mal à garder le fusil dans l’étui
J’ai rempli le canon et puis
Il se peut qu’un beau jour pour un rien j’appuie
[Couplet 3]
Je suis noire,désinvolte et en révolte
Il en résulte mes raisons d’prendre le colt
Aux vues d’ce qu’j’récolte la crise et la honte
La haine qui me hante,la tension qui monte
Le glaive sur ma tête et puis sur ma route
Sirènes,descentes,doutes et déroutes
Une sale vie d’alutes que seul le sang exhale
Et qui souvent exulte quand il coule sur l’asphalte
Et ça suinte,la crainte,les pleurs et les plaintes
Les rues et les feintes,les caves que j’emprunte
Les caves que j’arpente l’ennui et l’attente
L’achat et la vente et les rêves qu’on s’invente
Les flics qu’on évite,souvent qu’on évoque
Quand tribunaux et grandes instances nous convoquent
Et je suis ce produit qu’on a réduit
A marcher jour et nuit le fusil dans l’étui
[Refrain]
La haine me suit,là où je suis
J’ai du mal à garder le fusil dans l’étui
J’ai rempli le canon et puis
Il se peut qu’un beau jour pour un rien j’appuie
La chance me fuit,là où je suis
J’ai du mal à garder le fusil dans l’étui
J’ai rempli le canon et puis
Il se peut qu’un beau jour pour un rien j’appuie
Casey commence par planter le décor. La vie en « zone franche » c’est une vie où, quand on est indigène, on se terre : on se cache sous les porches, on cache sa canette dans sa poche, on marche sous des voûtes. Certains décident de gagner leur argent par le banditisme, d’autres se perdent dans la drogue et d’autres errent tout simplement comme des zombies. Le décor joue également : le béton des grands espaces urbains est une autre forme de dépossession, la structure même de l’environnement est vide de beauté, hostile. On se sent non seulement étranger et ciblé dans ce lieu colonisé, en proie à la police raciste, pas à sa place, mais également étranger à soi-même, aliéné. D’où une sensation presque de « nausée » qui peut faire penser à cette détresse existentielle constitutive de l’Homme moderne telle que Jean-Paul Sartre l’a dépeint. Mais c’est plus que ça, c’est la couleur de la peau qui détermine aussi son destin, trace une frontière, au-delà des frontières déjà existantes. Casey est antillaise, française de naissance, c’est là que la condition de noire intervient. Parce qu’une « couleur trop foncée » sur un passeport limite les chances. La conséquence de cette détresse existentielle est un sentiment de révolte d’où la métaphore au centre du morceau elle est contrainte de marcher « un fusil dans l’étui ». Casey raconte bien les mécanismes de la rage, tellement forte qu’elle est prête à prendre n’importe qui ou n’importe quoi pour cible. On pense à Fanon qui dans « les Damnés de la terre » dit que la société coloniale et sa violence produit des « nègres qui se bouffent entre eux ». La colère est tellement forte qu’on ne sait pas toujours vers qui on pourrait la diriger et même si on veut la laisser éclater. On aimerait l’azur mais c’est impossible. La société, si elle existe, produit son propre envers : des asociaux et des asociales prêt.e.s à tout faire exploser. C’est encore dans la question de l’aliénation qu’il faut y voir un écho avec la condition noire, on erre, dans des quartiers conçus par d’autres, dans d’autres logiques. On subit son existence ou l’existence que d’autres semblent avoir dessiné pour nous. Fanon dans les Damnés de la terre, décrit le monde colonial comme un monde de statues, des statues de conquérants, un monde où on se sent entouré par une présence étrangère. C’est ce que semble également décrire Casey dans son morceau, Mathieu Rigouste ou d’autres écrivains ont insisté sur une certaine continuité entre gestion des banlieues et gestion des quartiers populaires habités majoritairement par des racisé.e.s. On pourrait penser également aux réserves des indiens, le monde blanc, occidental et capitaliste, celui qui a inventé le béton et le barbelé est un monde d’enclos, de case, qui enferme.