Des fonctionnaires territoriaux licenciés sans indemnités

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SOURCE : L'Humanité

La loi du 6 août 2019 rend entre autres possibles les détachements d’office des agents sur un CDI lors du transfert d’un service public au secteur privé, comme la gestion de l’eau par exemple. Soudan E/Alpaca/Andia.fr

L’Humanité, 10 août 2020

La loi dite de transformation de la fonction publique donne désormais la possibilité de débarquer les agents sans poste fixe depuis dix ans. Une mesure injuste qui ouvre une nouvelle brèche pour tailler dans les effectifs.

C’est l’acte I du dynamitage de la fonction publique. Ce 7 août, quatre premiers agents ont été licenciés sans commettre aucune faute. Leur tort ? Avoir passé dix ans sans poste attribué. Carolle, ingénieure en chef dans le domaine de l’environnement, âgée de 59 ans, fait partie des premières victimes de cette disposition incluse dans la loi dite de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, modifiant l’article 97 du statut de la fonction publique. Elle ne réalise toujours pas. « Je ne pensais pas que cela s’appliquerait de manière rétroactive, explique la fonctionnaire de catégorie A +. Je le vis très mal. Personne n’a tenu compte de la période de Covid-19, ni des municipales, nous avons été virés alors que les collectivités étaient en train de se renouveler, c’est une injustice totale ! On a voulu faire de nous des trophées, on s’est précipité. »

Privée de poste depuis 2008, prise en charge par le Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, Carolle n’a cessé de chercher un emploi fixe dans les collectivités. Elle a accumulé trois ans de mission et a passé un master en psychologie des organisations, ce qui n’a pas même été pris en compte au moment de la mettre dehors. « Je suis une victime émissaire non consentante, soupire-t-elle. Je suis licenciée avec zéro indemnité, cela ne se passerait jamais comme ça dans le privé ! Les fonctionnaires vont être incités à ne plus rien refuser. C’est un déni de démocratie. »

La séparation du grade et de l’emploi, au fondement des dispositions statutaires de la fonction publique depuis 1984, a ici volé en éclats. « Pour la première fois, la perte du poste peut entraîner celle du grade et du statut de fonctionnaire, précise Jean-Michel Delaye, secrétaire général de la CGT au CNFPT. Il faut bien comprendre que tout le monde est concerné : des cadres pris en charge au CNFPT – ils sont 70 actuellement –, mais aussi les catégories A, B et C rattachées aux centres de gestion dans les départements. Cette situation peut arriver à n’importe quel agent. La loi prévoit aussi que les personnes dans cette situation perdent 10 % de leur rémunération par an. En plus de la dégressivité des traitements, au bout de dix ans, c’est donc le licenciement automatique ! »

Nombre d’agents risquent ainsi de se retrouver pris en étau. D’un côté, dans les collectivités étranglées par les coupes budgétaires, certains voient leur poste disparaître et peinent à en trouver un autre, mis en concurrence avec des fonctionnaires plus jeunes et moins bien payés. De l’autre, le spectre de l’objectif de réduction de 120 000 postes, dont 70 000 dans la fonction publique territoriale, promis par Emmanuel Macron d’ici 2022 plane toujours. Car cette brèche ouverte n’est pas la seule menace contenue dans cette loi explosive pour l’avenir des 5 millions d’agents de la fonction publique, dont 1,8 million de fonctionnaires territoriaux. Les décrets d’application de la loi du 6 août 2019, publiés en juin dernier, rendent également possibles les détachements d’office des agents sur un CDI lors du transfert d’un service public au secteur privé, comme la gestion de l’eau par exemple, entraînant de fait la perte du statut. Avec ce texte, les ruptures conventionnelles font aussi une entrée fracassante dans la fonction publique. Autant de moyens de faire chuter le nombre de fonctionnaires à peu de frais.

« Cette loi concentre les dispositions pour réaliser le plan social que projette le gouvernement, résume Jean-Michel Delaye. La modification de l’article 97 est aussi une manière de pousser les agents à se reclasser à des postes pour lesquels ils n’ont pas les compétences. Si on est professeur de violon, par exemple, c’est dur de faire autre chose ! Mais également de les contraindre à accepter des baisses de leur rémunération ou encore une mobilité géographique. » Dans un courrier, la CGT et FO redoutent que le Centre national de la fonction publique territoriale ne devienne « une machine à licencier » et exigent l’annulation de ces quatre premières décisions, préludes à des destructions encore plus massives dans la fonction publique.

Cécile Rousseau

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