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SOURCE : Vidal
Dans cette étude, menée au sein de l’armée suisse, la transmission du SARS-CoV-2 a été comparée entre plusieurs casernes, dont l’une initialement indemne de COVID-19, lorsque des mesures de distanciation physique (au moins 2 mètres) ou de port du masque (lorsque la distanciation est impossible) ont été imposées.
Les résultats montrent que ces mesures barrières ne protègent pas complètement de l’infection, mais qu’elles ont néanmoins un effet protecteur significatif et qu’elles semblent, par ailleurs, prévenir l’apparition de formes symptomatiques chez les personnes infectées.
Si ces données venaient à être confirmées par d’autres études, le respect systématique des mesures barrières (dont le port du masque) pourrait suffire à prévenir l’engorgement des services hospitaliers en cas de deuxième vague, simplifiant ainsi considérablement la gestion de la pandémie de COVID-19.
Une étude menée par l’armée suisse montre que les mesures barrières semblent prévenir l’apparition de symptômes en cas d’infection (illustration).
En effet, ce travail suggère que les mesures de distanciation physique et le port du masque peuvent, non seulement réduire la dissémination de la maladie, mais aussi prévenir l’apparition de symptômes chez les personnes contaminées malgré ces mesures de protection.
La possibilité de comparer des cohortes homogènes et isolées
L’étude, publiée dans Clinical Infectious Diseases, a mis à profit l’existence, dans les Alpes tessinoises, de trois casernes dont l’une (caserne 1 : 144 soldats) est isolée des deux autres (casernes 2 et 3 : 354 soldats) par 3 km de distance et 200 mètres d’altitude. Ces bâtiments sont habités par des soldats de 20,4 ans d’âge moyen, en bonne santé.
La caserne 1 ne contenait que des hommes, les casernes 2 et 3 hébergeant 12 % de femmes. Les soldats des casernes 2 et 3 se mélangeaient dans leurs activités (même cuisine, mêmes espaces communs).
Cette disposition originale a permis de suivre la transmission du SARS-CoV-2 dans des cohortes homogènes, isolées, avec un respect tout militaire des mesures de protection mises en place.
Des mesures de distanciation instaurées après un début d’épidémie
Le 11 mars 2020 (J0), un premier cas de COVID-19 a été diagnostiqué chez un soldat de la caserne 3. Neuf jours plus tard (J9), d’autres cas ont été identifiés dans les casernes 2 et 3, et les autorités militaires ont alors ordonné plusieurs mesures dans les 3 casernes :
- maintien systématique d’une distance de 2 mètres entre les soldats (y compris pour les repas et les nuits) ;
- port du masque chirurgical systématique si la distance de 2 mètres ne peut pas être respectée (entraînement militaire par exemple) ;
- désinfection des sanitaires 2 fois par jour ;
- quarantaine des casernes.
Une caserne indemne de cas symptomatiques
À la fin de l’étude, 102 cas de COVID-19 symptomatique (29 % de l’effectif) ont été diagnostiqués dans les casernes 2 et 3. Dans la caserne 1, aucun cas n’a été diagnostiqué : 15 soldats de cet établissement souffrant de symptômes pouvant faire évoquer une infection respiratoire ont été testés, mais l’absence de SARS-CoV-2 a fait écarter ce diagnostic.
À J20, soit 11 jours après la mise en place des mesures de protection, des tests virologiques et sérologiques ont été effectués chez 23 soldats de la caserne 1, tous négatifs.
Mais les résultats les plus intéressants concernent les tests virologiques et sérologiques réalisés un peu plus tard dans les 3 casernes.
Pourtant, 15 % de soldats infectés dans la caserne isolée
En effet, à J35 (26 jours après le début des mesures), des tests virologiques et sérologiques ont été effectués chez 363 soldats asymptomatiques résidant dans les 3 casernes.
Dans la caserne 1, isolée, 7 militaires asymptomatiques (8,7 %) avaient une PCR positive pour le SARS-CoV-2 et 7 une sérologie positive (un seul cas présentait les deux). Donc, environ 15 % des soldats de la caserne 1 testés avaient été infectés en dépit des mesures de protection et de l’absence d’infection à J20 (mais aucun n’a développé de symptômes par la suite).
Dans les casernes 2 et 3, à J35, le pourcentage de soldats asymptomatiques ayant une PCR positive était, respectivement, de 20,6 et 37,2 %. Le pourcentage de sérologies positives était, respectivement, de 59,2 % et 66,7 %. Globalement, la proportion de sujets asymptomatiques ayant au moins un test positif était de 64 % dans la caserne 2 et de 59 % dans la caserne 3.
Dans les casernes 2 et 3, 40 % (45 sur 113) des soldats positifs pour une PCR ou une sérologie ont développé des symptômes durant l’étude. Mais, aucun des sujets asymptomatiques testés positifs à J35 n’a développé de symptômes par la suite, quelle que soit la caserne.
Les mesures barrières pourraient prévenir les formes symptomatiques
Cette étude apporte des éléments intéressants quant aux effets des mesures barrières (en tout cas dans une population jeune et en bonne santé), mais elle pose aussi un certain nombre de questions.
Sur les effets des mesures de protection choisies, les données de la caserne 1 sont très instructives car :
- elles montrent un net effet réducteur des mesures de protection sur la transmission du SARS-CoV-2 (15% de prévalence virologique et/ou sérologique à J35 dans la caserne 1 contre 64 % dans la caserne 2 et 59 % dans la caserne 3) ;
- elles semblent suggérer que, si ces mesures n’ont pas été absolument efficaces pour empêcher la transmission du virus, elles l’ont été pour réduire la sévérité de la maladie dans la caserne 1 (en l’occurrence empêcher l’apparition de symptômes).
Des questions qui persistent néanmoins
Au vu des connaissances actuelles sur la transmission aéroportée dans les lieux fermés, on peut se demander si la mesure de distanciation physique (2 mètres au moins en l’absence de masques) était suffisante pour des personnes dormant et mangeant dans les mêmes locaux (probablement fermés, l’étude ayant eu lieu au printemps dans les Alpes). Le port du masque 24 heures sur 24 aurait-il changé les données ?
Au-delà de l’influence des mesures barrières, la question de l’influence du mode de contamination (aéroporté versus manuporté, par exemple) sur l’apparition de symptômes se pose également. Enfin, la question de la contamination de la caserne 1 après J20 (où les tests virologiques étaient négatifs) demeure.
Une étude qui renforce la présomption du rôle de la charge infectieuse sur l’apparition de symptômes
L’absence de formes symptomatiques dans la caserne 1 est à mettre en parallèle avec d’autres résultats en faveur d’un rôle de la charge infectieuse dans l’apparition et la sévérité des symptômes de la COVID-19.
Pour rappel, lors d’une COVID-19, la réaction immunitaire innée varie selon la charge infectante (plus exactement la MOI ou multiplicité d’infection, soit le ratio “particules infectantes/cellules cibles”). Une faible MOI de SARS-CoV-2 stimule fortement et rapidement la production d’interférons de type 1 et 3 par l’épithélium nasal. En revanche, une forte MOI déclenche une inhibition de cette réponse pendant 24 à 48 h (sans pour autant bloquer complètement la réaction immunitaire). Cela a été observé en culture cellulaire, chez le furet et chez l’homme.
De plus, une étude Inserm/AP-HP récemment publiée dans Science et menée sur 50 patients a montré que les patients présentant des formes sévères ou très sévères de COVID-19 avaient une faible production d’interféron bêta et une absence de production d’interféron alpha au début de la maladie.
Enfin, le fait que la charge infectieuse puisse conditionner l’évolution et la gravité de l’infection n’est pas nouvelle. Dans le contexte des coronavirus humains, elle a été montrée lors d’infections expérimentales par 229E chez des volontaires sains.
En conclusion, il est à espérer que, dans un contexte de ras-le-bol, voire de refus, croissant des mesures barrières et du port systématique du masque, d’autres travaux viendront confirmer les résultats de cette étude suisse.
Parvenir à prouver de manière définitive que ces mesures, et en particulier le port du masque,empêchent l’apparition de formes graves changerait complètement la donne en termes de gestion de la pandémie, et ce sans attendre un hypothétique vaccin. Sous réserve de convaincre la grande majorité des populations…
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Pour aller plus loin
L’étude suisse sur les effets des mesures barrières
Bielecki M, Züst R, Siegrist D et al. Social distancing alters the clinical course of COVID-19 in young adults: A comparative cohort study. Clinical Infectious Diseases, 29 juin 2020.
L’étude sur la réaction immunitaire innée dans la COVID-19
Blanco-Melo D, Nilsson-Payant BE, Liu WC et al. Imbalanced Host Response to SARS-CoV-2 Drives Development of COVID-19. Cell. 2020 May 28; 181(5): 1036–1045.
L’étude sur le profil immunitaire des personnes atteintes de formes sévères de COVID-19
Hadjadj J, Yatim N, Barnabei L et al. Impaired type I interferon activity and inflammatory responses in severe COVID-19 patients. Science, 13 juillet 2020.
Les études sur la réinfection expérimentale par 229E
Callow KA. Effect of specific humoral immunity and some non-specific factors on resistance of volunteers to respiratory coronavirus infection. J Hyg (Lond). 1985 Aug;95(1):173-89.
Callow KA, Parry HF, Sergeant M, Tyrrell DA. The time course of the immune response to experimental coronavirus infection of man. Epidemiol Infect. 1990 Oct;105(2):435-46.
Reed SE. The behaviour of recent isolates of human respiratory coronavirus in vitro and in volunteers: evidence of heterogeneity among 229E-related strains. J Med Virol. 1984;13(2):179-92.