Les chaines de valeur internationales à l’épreuve de la Covid-19

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SOURCE : Blog de la Banque de France

La crise sanitaire a fortement impacté le commerce mondial et a redonné de la vigueur aux débats relatifs à la localisation de la production. La relocalisation généralisée des activités sur le territoire national conduirait à abandonner les gains à la spécialisation internationale, sans pour autant apporter une meilleure résilience des chaines de valeur. Les sources d’approvisionnement des entreprises françaises étant principalement européennes, une stratégie industrielle coordonnée à l’échelle de l’Union serait pertinente.

Graphique 1 : Taux de variation (en volume) de la production industrielle et du commerce extérieur entre janvier-avril 2019 et janvier-avril 2020
Graphique 1 : Taux de variation (en volume) de la production industrielle et du commerce extérieur entre janvier-avril 2019 et janvier-avril 2020 Source : CPB World Trade-Monitor. Calculs des auteurs.

Note de lecture : Entre les 4 premiers mois de 2020 et les mêmes mois de 2019 la zone euro a vu sa production industrielle (en abscisse, les pays membres sont pondérés par le commerce) et son commerce (en ordonnée, moyenne géométrique des taux de croissance des exportations et des importations) reculer d’environ 11%. Le point zone euro se situe donc sur la première bissectrice en rouge.

Les échanges internationaux dans la tourmente de la crise de la Covid-19

La crise de la Covid-19 a fortement touché le commerce mondial. D’après les données du CPB, il a baissé de 16,2% en volume entre décembre 2019 et avril 2020. Cette baisse est étroitement liée à celle de la production industrielle. On constate en effet un ajustement très proche de la bissectrice dans le graphique 1 qui met en relation les évolutions du commerce extérieur et de la production industrielle. Il y a toutefois une hétérogénéité entre régions du monde, qui s’explique par la diffusion géographique de l’épidémie et les différences entre les mesures sanitaires adoptées. En parallèle des effets directs de la crise sanitaire sur la production, le commerce international a pu favoriser une diffusion du choc économique entre pays au travers des livraisons auprès des partenaires (choc d’offre) ou des importations qui leur sont adressées (choc de demande).

Les chaines de valeur internationales façonnent le commerce mondial.

Pour comprendre la transmission internationale des chocs liés à la Covid-19 via le commerce mondial, il faut tenir compte du rôle central que jouent les chaines de valeur internationales (CVI), définies comme des processus de production dispersés géographiquement et couvrant plusieurs pays. Cette grande fragmentation internationale de la production, qui s’est accentuée dans les années 1990, a contribué favorablement à l’expansion du commerce international au cours des trente dernières années. Elle a été rendue possible par les avancées technologiques, notamment celles liées aux technologies de l’information et la communication (TIC) et la multiplication des accords commerciaux qui ont considérablement réduit les barrières au commerce international.

Richard Baldwin montre que la fragmentation touche toutes les étapes du processus de production d’un bien (recherche et développement, conception, production de biens intermédiaires, assemblage, commercialisation, distribution). Par exemple, Boeing travaille avec des fournisseurs localisés dans environ 150 pays, tandis que l’IPhone d’Apple combine des services de facteurs de production d’environ 50 pays sur cinq continents. Directement ou indirectement, l’ensemble des secteurs sont concernés par l’internationalisation de la production.

Les données reportées dans le Graphique 2 montrent qu’au cours de la période 2002-2019, les importations de pièces et composants et de produits semi-finis incorporés dans la production industrielle représentent près de la moitié de la croissance des importations des pays de l’Union européenne. Gaulier, Sztulman et Ünal (2020) soulignent que la grande récession de 2008-2009 n’a pas freiné le développement  des CVI.

Graphique 2 : Taux de croissance des importations des pays de l’Union européenne (2002-2019) décomposées selon le type de bien.

Graphique 2 : Taux de croissance des importations des pays de l’Union européenne (2002-2019) décomposées selon le type de bien. Source : données Eurostat-Comext par stade de production (BEC) en valeurs, et calculs des auteurs.

Note de Lecture : Pour l’Allemagne, les produits intermédiaires semi-finis (en bleu) contribuent pour 33% à la croissance des importations totales, tandis que les pièces et composantes (en orange) contribuent pour 17%. Intégrant la contribution des autres biens (gris) la croissance des importations de biens totales sur la période 2002-2019 a été de +113%.

La spécialisation à l’intérieur des CVI : source de gains et de risques

La spécialisation des économies sur leurs secteurs d’avantages comparatifs, ainsi que la fragmentation internationale de la production au sein des secteurs sur les différentes étapes de la chaine de valeur, ont amélioré l’efficacité de la production à l’échelle mondiale. Cette organisation implique que la compétitivité d’une entreprise ne repose plus seulement sur sa propre productivité, mais également sur sa capacité à se fournir auprès des entreprises les plus performantes.

Néanmoins, la fragmentation de la production peut être une source de fragilité en cas de défaillance des entreprises partenaires en amont ou en aval de la chaine de valeur. D’une part, la mise en place de mesures sanitaires pour enrayer la pandémie a engendré des ruptures d’approvisionnements. D’autre part, les difficultés de transport et de distribution pendant le confinement, ont pu aussi se transmettre en cascade en aval ou en amont de la chaine de valeur.

Des chaines de valeur plus régionales que mondiales

La crise de la Covid-19 a donné un écho nouveau au débat sur la localisation de la production, avec notamment la tentation de rapatrier tout ou partie des chaines de valeur sur le territoire national afin de les « sécuriser » en cas de nouvelle crise, en les isolant des chocs en provenance du reste du monde.

Or, les chaines de valeur sont davantage régionales que mondiales. Les données présentées dans le Graphique 3 montrent en effet que, pour les pays européens, une grande majorité des approvisionnements en biens intermédiaires provient des autres membres de l’Union européenne. Cette très forte régionalisation de la production s’explique d’abord par la géographie, qui joue traditionnellement un rôle extrêmement fort dans l’intensité des flux de commerce international entre partenaires. Mais elle résulte aussi des politiques économiques et d’intégration, qui ont permis en Europe de créer un environnement stable et propice aux liens commerciaux, grâce en particulier au marché unique et à la monnaie commune.

Graphique 3 : Part de l’Union européenne (28 membres) dans les importations de biens intermédiaires

Graphique 3 : Part de l’Union européenne (28 membres) dans les importations de biens intermédiaires Source : données Eurostat-Comext par stade de production (BEC) en valeurs (2019), et calculs des auteurs.

Ce constat permet d’introduire un premier élément de réponse quant aux tensions qui peuvent exister sur les chaines de valeur, et aux enjeux de la relocalisation. Les chaines internationales d’approvisionnement des entreprises françaises étant principalement européennes, une stratégie industrielle coordonnée à l’échelle de l’Union serait pertinente.

Une réflexion d’ensemble quant au fonctionnement des chaines de valeur dans les différentes filières serait par ailleurs souhaitable. S’il apparaît légitime, comme il a été évoqué dans le débat public, de chercher à sécuriser l’approvisionnement de certains produits pouvant être jugés comme « stratégiques », tels que ceux liées à la santé, il demeure essentiel que cette réflexion ne conduise pas à sous-estimer les gains en termes de productivité liés à la spécialisation, ni à négliger les avantages de la diversification internationale des sources d’approvisionnement. Heise (2020), par exemple, montre que les entreprises américaines ayant des liens préétablis avec le Vietnam ont pu sauvegarder des approvisionnements habituellement assurés par leurs fournisseurs chinois. Une plus grande diversification des sources d’approvisionnement apporterait une meilleure résilience face aux crises futures.


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