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SOURCE : Regards
Après les succès des mobilisations antiracistes, contre les violences policières et contre l’islamophobie de l’année dernière, le Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires entend continuer de mener les combats – et les transformer.
Les dernières mobilisations du mouvement social des sans-papiers et de celui contre les violences policières, en passant par celui des gilets jaunes et contre la réforme des retraites, soulignent l’ampleur de la colère sociale et du potentiel de mobilisation des quartiers populaires et des immigrations.
La chose n’est pas nouvelle. Depuis 1983 et sa marche pour l’égalité et contre le racisme, nous assistons à un cycle où alternent des séquences de fortes mobilisations nationales et d’autres d’apparents reculs et de renonciation à construire une force et une visibilité politique nationale commune.
Les difficultés objectives à construire un cadre organisationnel et stratégique autonome commun conduisent de nombreux militants à renoncer à cette tâche essentielle pour investir toutes leurs énergies dans des valeurs sûres : la sphère locale et/ou une lutte spécifique. Si cela a permis des progrès réels en termes de capacité de mobilisation dans les luttes contre l’islamophobie, les violences policières, la décolonisation des espaces publics, etc. Ces succès ne doivent cependant pas masquer que le rapport de force nécessaire pour imposer une égalité réelle des droits n’est pas atteint. Or, il est de nature fondamentalement politique et national. C’est à un même système auquel nous sommes confrontés, celui qui produit simultanément les violences policières, l’islamophobie, les discriminations, le racisme et la misère sociale qui ne cesse de progresser dans nos quartiers populaires.
Les succès de nos mobilisations locales ou sectorielles, de nos visibilités médiatiques et de l’attrait des outils que constituent désormais les incontournables réseaux sociaux ne peuvent masquer que nous n’avons jamais été aussi éparpillés. Nous n’avons de ce fait jamais été aussi forts, mais dans le même temps nous n’avons jamais été aussi faibles. Jamais été aussi forts pour rendre visible et communiquer, imposer dans l’espace public nos revendications, jamais été aussi faibles en termes de stratégie et d’organisation convergente. Or, l’organisation et la stratégie pour s’unir et ne plus subir sont incontournables, précisément, du fait du caractère systémique des inégalités qui nous touchent. En découle une réelle difficulté pour les espaces politiques organisés, alors qu’ils sont fondamentaux pour accueillir de façon stable, voire permanente, dans les meilleures conditions possibles, une potentielle base sociale conséquente pour un rapport de force massif.
Tirer les leçons du passé
Dans ce type de situation, le pire en matière politique est l’oubli du passé [de ses acquis comme de ses limites] conduisant chaque nouvelle expérience à se considérer comme inédite ou exceptionnelle, comme étant en quelque sorte la véritable naissance d’un mouvement des quartiers populaires et des immigrations. Or, depuis le début de l’immigration coloniale et postcoloniale, des tentatives de structurations ont vu le jour : des luttes anticoloniales avec l’étoile nord-africaine dès les années 20, le mouvement des OS ou des foyers de la décennie 70, le MTA (Mouvement des travailleurs Arabes), la solidarité avec la Palestine, à la marche pour l’égalité et à l’explosion associative qui lui a succédé et en particulier avec l’expérience du MIB (Mouvement de l’immigration et des Banlieues),etc. Toutes ces tentatives visaient le même objectif, celui de construire le rapport de force nécessaire à l’égalité des droits réels.
Cette longue histoire militante ne peut se réduire à un pseudo échec qui serait lié à une insuffisance politique des militants de ces générations antérieures, à une faiblesse de leurs analyses politiques ou à une incapacité à élaborer une stratégie adéquate, etc. Cette trop rapide qualification d’échec ne prend pas en compte, d’une part, l’ampleur de la tâche à mener à bien, d’autre part, les difficultés et obstacles objectifs qui ont été rencontrés [et qui se retrouvent encore aujourd’hui]. Hier comme aujourd’hui, nous sommes confrontés à la nécessité de construire dans la durée mais avec des militant-e-s potentiel-le-s marqué-e-s par la précarité et l’incertitude. Hier comme aujourd’hui, nous sommes confrontés à une rareté des alliances sérieuses possibles du fait d’une gauche largement imbibée d’assimilationnisme et de mentalité coloniale.
Tentatives et difficultés
A y regarder de plus près, le bilan est loin d’être entièrement négatif. Certes, aucune des grandes dimensions de notre oppression n’a disparu, mais des débats jadis tabous se sont aujourd’hui imposés, des revendications entièrement isolées se sont diffusées largement, des convergences ponctuelles ont vu le jour. Sur le plan individuel, le bilan est encore plus significatif. Le MIB (Mouvement de l’immigration et des Banlieues), le FSQP (forum social des quartiers populaires ), le MIR (Mouvement des indigènes de la république), le FUIQP (Front uni des immigrations et des quartiers populaires) sur le plan des organisations globales, les comités multiples contre les crimes policiers, le CCIF(Collectif contre l’islamophobie) ou le CRI (Coordination contre le racisme et l’islamophobie) pour l’islamophobie, les multiples associations contre la négrophobie, etc., ont permis de vertébrer politiquement de très nombreux jeunes (et moins jeunes) issus des quartiers populaires et des immigrations. Ce faisant, ils ont permis une transmission des luttes, une politisation des postures et des grilles d’analyse permettant de ne pas être submergés par les effets délétères des inégalités et discriminations raciales systémiques avec le cortège de dégâts invisibles et visibles qui s’en suivent. Nombreux sont ainsi les jeunes qui ont été préservés de la décompensation, de la toxicomanie, du nihilisme, etc. Certes, cela ne résout pas la question politique, mais cela fait partie du bilan. Seule une sous-estimation massive de la réalité de l’oppression subie peut conduire à la thèse désarmante et décourageante de l’échec.
L’ampleur de cette oppression est d’ailleurs à l’origine d’une des difficultés récurrentes rencontrées, à savoir la concurrence des égos, laquelle s’ajoute à de réelles divergences politiques. Le besoin de reconnaissance et de valorisation rendu impossible ou difficile dans la vie sociale du fait des discriminations systémiques subies, tend à se reporter entièrement dans la sphère militante. Ce qui produit une véritable querelle pour le leadership ou la reconnaissance, qui pour être généralement inconsciente n’en est pas moins négative [destructrice pour le pire, paralysante pour le mieux] pour les structures collectives. Bien-sûr, nous ne sommes pas les seuls touchés par cette concurrence, mais elle est une des raisons indéniables [pas la seule bien-entendu] pour saisir nos difficultés. Il faut donc prendre en compte l’impact de cette oppression raciste et sociale que nous vivons sur les rapports sociaux entre militants, sur les modes d’investissement de l’espace politique, sur le besoin de reconnaissance qui peut prendre le pas sur le débat politique. Reconnaître la question est le premier pas pour pouvoir y répondre.
D’autres facteurs essentiels sont repérables :
- les tensions entre les tentatives de structuration et le calendrier électoral, notamment celui de la gauche, préemptant à chaque élection nos espaces de base ou d’élaboration communs, par la mobilisation de militants issus de l’immigration sur des opérations politiques sans lendemain ;
- la complexité et la sous-estimation de la nécessité à mobiliser des militants issus de divers segments de luttes sur un axe commun ;
- la mise en tension entre l’autonomie et l’élaboration d’axes communs à partir de plusieurs structures avec des agendas spécifiques ;
- la conquête de l’hégémonie idéologique (et ou de stratégies personnelles) au prix de l’intérêt commun de la lutte ;
- la sous-estimation de la prise en charge militante et politique pour former, animer et faire fonctionner une organisation politique autonome ;
- une forme de confusion, voire de clivage, entre l’action ponctuelle locale ou nationale, sa communication et médiatisation et l’élaboration d’une feuille de route pour structurer un rapport de force permanent ;
- l’hégémonie et l’attirance opportuniste des organisations habituelles de gauche sur les militants issus de l’immigration [de même que l’inverse] au détriment de leur capacité à construire leur propre maison sur la base de leurs propres questions et enjeux politiques.
Déceptions et espoirs
Les vingt dernières années ont donc été à la fois riches en expérience et faibles en capitalisation, fortes en impacts individuels et collectifs ponctuels et faibles en structurations durables, intenses en succès momentanés et peu productives en succès pérennes. Une telle situation est usante. Elle a usé de nombreux militant-e-s relais, fatigué-e-s par le coût d’un investissement militant dans ce contexte particulier et par la violence des luttes pour la reconnaissance. Or, le lien militant intergénérationnel est [comme pour tous les autres mouvements sociaux concernant un groupe social assigné systémiquement à une place subalterne et dominée] un incontournable du combat politique. A défaut de ce lien, le conjoncturel l’emporte sur le structurel, l’immédiat sur le durable, le personnel sur le politique, la communication sur le fond politique, etc.
Ces années ont également été celles de la mobilisation des outils que constituent les réseaux sociaux et des succès médiatiques qu’ils permettent. Cela a permis une transmission certaine de bribes de mémoire collectives fortement utiles pour la socialisation politique des nouvelles générations militantes. Ces initiatives multiples relèvent cependant en partie non négligeables de stratégies de promotion de soi, et non d’outils pour la construction d’un nous politique. La visibilité médiatique non articulée à une action politique durable peut aisément se transformer en miroir aux alouettes où le succès immédiat masque l’absence d’accumulation, la punch line prend le pas sur l’analyse politique, l’auto-visibilisation sur la visibilité de l’action collective, le militantisme 2.0 au travail difficile et nécessaire du militantisme de terrain. Ce miroir aux alouettes est devenu un obstacle conséquent à la construction des outils organisationnels permettant de faire vivre un rapport de force articulant local et national. Nous sommes, de fait, en présence d’une déclinaison dans la sphère du militantisme de l’idéologie libérale de l’auto-entrepreneur (c’est-à-dire une sorte de mythe de la réussite sociale en devenant son propre patron qui est présenté idéologiquement comme substitut au combat collectif pour arracher des droits). Cela ne doit pas nous conduire bien-sûr à renoncer à ces outils, mais à nous interroger sur les conditions de leur utilisation pour qu’ils puissent être mis au service de l’objectif politique visé : la construction d’une maison commune autonome.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, chaque échéance électorale est l’objet de nouveaux déchirements et de nouveaux obstacles à cette construction commune. Les espoirs individuels illusoires, les stratégies personnelles, les prétentions à changer seul le système de l’intérieur, etc., contribuent à développer un sentiment d’impuissance collective épuisant. Il ne s’agit pas ici non plus de rejeter toute participation électorale mais d’en définir collectivement les buts, les modalités et les conditions. Cela d’autant plus qu’une participation coordonnée aux échéances électorales peut aider à réunir les moyens et les financements qui sont un autre obstacle massif à une structuration durable.
Pour des Etats Généraux des Quartiers Populaires
Que ce soit en matière de transmission des luttes et des expériences, en matière de formation politique des militants, en matière de prévention contre les multiples stratégies d’instrumentalisation et de division de nos combats, en matière de participation électorale et de bilan sur nos difficultés à construire, etc., la question du bilan collectif est posée et le besoin de perspectives partagées est essentiel. Faute de cela, les générations actuelles et futures continueront à subir les mêmes ruptures, et dans une forme d’opacité, à reproduire les erreurs de leurs prédécesseurs. Bien-sûr, une telle initiative ne se décrète pas, même si ce préalable apparaît comme une nécessité pour réunir les conditions d’un rapport de force à la hauteur de notre oppression. Le FUIQP propose simplement d’entamer ce chemin par l’organisation d’Etats Généraux des Quartiers Populaires avec toutes celles/tous ceux qui ont pris la mesure de ces besoins.
Signataires
Said Bouamama (Fuiqp Lille), Ismaël El Hajri (Fuiqp Paris banlieue), Majdelil Guerda(Fuiqp-Paris-banlieue), Nadia Louachi (Fuiqp Paris banlieue), Nadjib Achour Derradji (Fuiqp Paris banlieue), Youssef Girard (FUIQP ParisBanlieue), Nadia Fartaoui (Fuiqp Paris-banlieue), Farid Bennaï (Fuiqp Paris-banlieue), Mohamed Ali Benhadi (Fuiqp Paris-banlieue), Lucie Leïla Mamouni, Rined Mechaï (Fuiqp Paris-banlieue), Soraya Chekkat ( FUIQP/Marseille), Sofiane Akbal (FUIQP/Marseille), Stephane Vonthron (FUIQP/Lille), Djellali Seddaoui (FUIQP/Lille), Jessy Cormont (FUIQP/Lille), Abdelhadi EL Khouja (FUIQP/Grenoble), Kenji (FUIQP/Grenoble), Rondo Latifa (FUIQP/Grenoble), Aziz Bensadek(FUIQP/Marseille), Adil Farjy (FUIQP/Istres)