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SOURCE : Blog de Mediapart
Il était une fois un outil anticapitaliste révolutionnaire oublié des révolutionnaires anticapitalistes : la cotisation sociale. Créée en 1946 avec le régime général de la Sécurité Sociale, elle était pourtant d’une simplicité et d’une efficacité redoutable pour retirer des pans entiers de l’économie aux détenteurs de capitaux, tout en satisfaisant les besoins de tous. Les entreprises voyaient une partie de leur valeur ajoutée(1) prélevée, mise en commun dans des caisses et redistribuée immédiatement sous forme de services de santé, salaires de soignants, chômage, allocations familiales et retraites. Nul besoin de faire appel au crédit et aux investisseurs ! Pas de remboursement à faire, pas de dette à payer, pas de chef à satisfaire. Inutile aussi d’accumuler du capital au préalable pendant des années : il fallait seulement travailler, produire. Cet outil échappait donc totalement aux capitalistes. C’est ainsi qu’un tiers de l’économie française était devenu non capitaliste…on pourrait même dire communiste, au sens propre, sans que personne ne s’en rende compte !
Il y a plus : grâce à la cotisation, la création des hôpitaux publics modernes avait été réalisée par subvention dans les années 1960, inventant par là un mode non-capitaliste (communiste !) de financement de l’économie, c’est-à-dire sans crédit, sans patron et sans « investisseurs ». Mieux, la sécu n’avait rien à voir avec l’Etat, étant gérée uniquement par les syndicats de travailleurs entre 1946 et 1967.
Les révolutionnaires du 20ème siècle savaient ce qu’ils devaient à la cotisation et au régime général de la sécu. Les capitalistes aussi, qui n’avaient de cesse de revenir sur ces conquis sociaux et avaient gelé ou fait diminuer les taux à partir de 1979, inventant ainsi un « trou » pour effrayer et faire croire à un déséquilibre. Ils cherchaient également à étatiser la sécu pour en prendre le contrôle par une loi de finance et par le remplacement de la cotisation par l’impôt (CGS, CRDS)(2) . Malgré leurs coups de boutoir, le budget de la sécu s’élevait encore en 2016 à 759 milliards d’euros, soit 34% du PIB (2229 mds), alors que les recettes de l’Etat n’étaient que d’environ 300 milliards.
Or, les révolutionnaires avaient abandonné le combat pour la cotisation, préférant la taxation du capital, la révolution fiscale, la nationalisation, les sujets de société. C’est pourquoi, les capitalistes avaient fini par convaincre la population que la cotisation était un prélèvement obligatoire sur leurs salaires pénalisant la compétitivité et l’emploi… alors qu’il s’agissait en réalité d’un salaire indirect, versé à l’ensemble de la population, un marqueur de civilisation. En réalité ni le patron, ni le salarié ne cotisaient, mais cela, qui le savait encore ? La population était flouée.
Toute ? Non ! Quelques militants irréductibles avaient retrouvé la mémoire et compris le potentiel révolutionnaire inouï de la cotisation : rien de moins qu’une sortie progressive du capitalisme, une conquête de nouveaux droits économiques pour les travailleurs, celui d’un salaire garanti attaché à la personne à partir de 18 ans, et la fin de la précarité économique! Ils défendaient l’abandon des exonérations de cotisation, la création de nouvelles branches comme l’alimentation(3), le logement, les médias, la culture, le retour à une santé remboursée à 100%, à une retraite digne pour tous à 60 ans, voire avant4… Ils comprenaient que l’extension de la cotisation pouvait être associée à la gestion des entreprises et des caisses par les salariés et les citoyens, devenus responsables de leur propre travail et de son organisation. Ils voyaient comment on pourrait enfin assurer une production écologique et décider ce qu’on produisait et comment. A très court terme, ils savaient bien qu’une augmentation des cotisations aussi modeste que 0,25% permettrait de revenir à des droits à la retraite tels qu’ils étaient avant toutes les réformes des années 1990-2000-2010 : continuation à vie des 10 meilleures années de salaires, 37,5 années de cotisation, droit dès 60 ans.
Oui, tout ceci est possible! Alors citoyens, faisons de l’augmentation des cotisations le sujet principal de nos luttes et revendications ! Reprenons le combat pour le salaire, l’émancipation et la souveraineté dans le travail!
Notes:
1 Le chiffre d’affaires d’une entreprise moins les dépenses, avant distribution des salaires, des profits et des réinvestissements. Autrement dit, la valeur ajoutée c’est le chiffre d’affaires moins les consommations intermédiaires (VA = CA – CI)
2 Notez que contrairement à la cotisation payée par l’entreprise et faisant ainsi augmenter la part des salaires dans l’économie, l’impôt, lui, était bien payé par les contribuables sur leur salaire.
3 Voir https://www.reseau-salariat.info/articles/m-e-p-_la_securite_sociale_de_l_alimentation/ pour la sécurité sociale de l’alimentation défendue par le Réseau Salariat et Ingénieurs Sans Frontières: avec une augmentation de 7% des cotisations seulement, on verserait 100 euros par personne et par mois, enfants compris, utilisables auprès des producteurs et distributeurs conventionnés auprès de la sécu et respectant des critères environnementaux et sociaux ; on pourrait également verser un salaire supérieur au SMIC à tous ces professionnels et permettre la transition vers une agriculture écologique et sociale en fournissant terres et outils pour s’installer.
4 On peut citer les économistes Bernard Friot et l’association Réseau salariat (www.reseau-salariat.info ), l’association Salaire à Vie (ASAV https://www.salaireavie.fr/ ), les explications de Gérard Filoche sur la cotisation, l’association Emanciper à Chambéry (www.emanciper.org ), etc.