AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Reporterre
[VOLET 1/3] Promue sans la moindre réserve par la classe dirigeante, l’auto électrique serait le véhicule « propre ». Or, comme le montre Reporterre dans une grande enquête, de la production des batteries à leur durée de vie, en passant par le renouvellement du parc , le poids des véhicules et leur usage, le caractère écolo de l’auto électrique n’a absolument rien d’évident. Premier volet : qu’en est-il des émissions de gaz à effet de serre ?
[VOLET 1/3] Promue sans la moindre réserve par la classe dirigeante, l’auto électrique serait le véhicule « propre ». Or, comme le montre Reporterre dans une grande enquête, de la production des batteries à leur durée de vie, en passant par le renouvellement du parc , le poids des véhicules et leur usage, le caractère écolo de l’auto électrique n’a absolument rien d’évident. Premier volet : qu’en est-il des émissions de gaz à effet de serre ?
- Cet article est le premier d’une enquête en trois volets que nous consacrons à la voiture électrique.
C’est simple. Pour arrêter de polluer, il suffit de changer de voiture. Voici en substance le message que le gouvernement nous a adressé en mai dernier lors du lancement du plan de soutien aux « véhicules propres » assorti d’une enveloppe de huit milliards d’euros. Objectif : soutenir l’industrie automobile du pays et « inciter tous les Français, même les plus modestes, à se doter d’un véhicule propre, moins polluant et moins émetteur de gaz à effet de serre », avec des aides à l’achat d’un véhicule électrique avoisinant les 10.000 euros.
Les véhicules électriques émettent-ils réellement moins de CO2 que les voitures thermiques ? Depuis plus de dix ans, des équipes de recherche du monde entier en débattent à coups d’analyses de cycle de vie, ces études qui quantifient les conséquences sur l’environnement d’un objet depuis l’extraction des métaux nécessaires à sa fabrication, jusqu’à sa mise au rebut. Entre 2010 et 2019, au moins 85 études de ce type ont été réalisées sur les véhicules électriques par des instituts de recherche divers [1] !
Un point fait consensus : produire un véhicule électrique demande beaucoup plus d’énergie, et émet deux fois plus de gaz à effet de serre que de produire un véhicule thermique, du fait de la production de sa batterie et de sa motorisation [2]. Le travail de ces analyses de cycle de vie consiste donc à quantifier ces émissions « grises » et à calculer à partir de combien de kilomètres parcourus cette production polluante rend le véhicule électrique avantageux par rapport à son homologue essence ou diesel. Un des paramètres cruciaux de la question est évidemment l’origine de l’énergie qui a servi à produire le véhicule, et ensuite celle de l’électricité qui le fait rouler : nucléaire, charbon, diesel, énergies renouvelables ? Un autre paramètre est la taille de la batterie, qui peut varier de 700 kg dans une Audi e-Tron à 305 kg dans une Renault Zoe. Tout dépend aussi de la durée de vie de la batterie, car s’il faut la remplacer, les émissions liées à sa production peuvent être doublées pour un même véhicule, avec un bilan CO2 totalement plombé. Chez PSA et Renault, les batteries sont garanties 8 ans pour 160.000 km parcourus (sachant qu’elles perdent aussi leur puissance si on ne s’en sert pas). Quant à Tesla, l’entreprise explique dans son “Rapport de conséquences environnementales”que ses batteries pourront un jour parcourir « un million de miles » [3], ce qui sera un argument de poids… quand ce sera vrai.
Une compensation pour un usage plus long que la durée de vie de la batterie
Les experts du cabinet de conseil écolo Carbon 4 défendent le véhicule électrique, considérant qu’une électrique de petite taille est moins émettrice de CO2 à partir de 30.000 ou 40.000 kilomètres parcourus — ayant dès lors « compensé » sa fabrication. Ils s’appuient notamment sur l’Institut de recherche environnementale suédois (IVL). Une étude de celui-ci, en 2017, menait à la conclusion qu’il fallait parcourir 250.000 km pour compenser les émissions liées à la fabrication d’une batterie de véhicule… soit plus que la durée de vie de la batterie [4]. Désespérant ! En 2019, l’IVL a sorti un nouveau rapport nettement plus favorable. Mais, précisent ses auteurs, si les résultats se sont brusquement améliorés, c’est parce que leur étude récente se fonde sur « une production de batteries n’utilisant aucune électricité d’origine fossile, ce qui n’est pas encore la norme, mais pourrait le devenir dans un futur proche » [5]. Une hypothèse optimiste, puisque, en attendant la concrétisation de l’« l’Airbus des batteries » lancé au niveau européen, l’immense majorité d’entre elles sont produites en Asie dans des usines tournant au charbon, charbon qui reste la principale source de l’électricité actuellement consommée dans le monde (38%). Par ailleurs, l’étude suédoise mentionne bien qu’elle ne s’intéresse qu’à la production de la batterie, et non aux émissions induites par son recyclage.
Parmi les autres travaux, une récente étude allemande analyse le cycle de vie d’une Caddy Volkswagen électrifiée en laboratoire, et le compare méthodiquement aux émissions induites par le même modèle à essence [6]. Conclusion : la Volkswagen électrique émet moins d’équivalent CO2 qu’une thermique, mais pas si sa batterie est produite en Chine (avec du charbon). Si elle est produite en Europe, elle ne rivalise avec la voiture à essence qu’à partir de 137.000 à 207.000 km — en espérant qu’elle dure jusque-là sans qu’il faille renouveler la batterie ! Les résultats sont plus encourageants si elle est principalement produite et alimentée avec de l’électricité d’origine renouvelable ; et plus encore si l’on prend en compte les économies d’énergie réalisées en réutilisant ensuite la batterie après sa fin de « vie automobile » (elle n’a perdu que 70 % de sa capacité) pour stocker de l’électricité en stationnaire, par exemple au bas d’un immeuble. En revanche, sa production est nettement plus polluante : intoxication et eutrophisation des réserves d’eau douce, artificialisation et perte de biodiversité, toxicité pour les humains, pollution radioactive, occupation des terres agricoles… Ces chercheurs constatent que « l’omission des conséquences liées à la production de l’électronique est quasi-systématique » dans la plupart des études publiées à ce jour et que très peu d’entre elles prennent en compte les autres formes de pollution, en dehors des émissions de gaz à effet de serre.
Générer d’autres pollutions, ailleurs
Un rapport de 2018 de l’Agence européenne pour l’environnement dresse le même constat : les émissions de NOx, SO2 et particules de la production des véhicules électriques sont 1,5 à 2 fois supérieures à celles des véhicules thermiques. Les conséquences en matière de pollution des sols et des eaux sont doublées, voire triplées [7], principalement par l’extraction et l’affinage des métaux et la production électronique. Un constat d’autant plus préoccupant que ces bilans n’offrent guère que des estimations, en partie fondées sur les chiffres avancés par les industriels — les compagnies minières, par exemple, pas vraiment réputées pour leur transparence. « Comment ces analyses de cycle de vie arrivent-elles à quantifier les pollutions minières ? s’étonne Aurore Stéphant, de Systext, association née au sein de la fédération Ingénieurs sans frontières qui regroupe des spécialistes des conséquences de l’activité minière. Sur de nombreux sites aux quatre coins du monde, nous constatons que les dommages environnementaux ne sont même pas quantifiés — les études d’impact n’existent pas —, et que les populations locales se battent sans succès pour que la pollution des sols et des cours d’eau soit prise en compte. Personne n’est aujourd’hui en mesure de calculer le bilan carbone des filières des soixante-dix matières premières minérales contenues dans une voiture. »
Tout se passe donc comme si le pacte implicite de la voiture électrique était le suivant : pour espérer une réduction des émissions de CO2, qui repose elle-même sur une série d’hypothèses fragiles — petites voitures, allongement de la durée de vie des batteries, généralisation des énergies renouvelables —, ainsi qu’une réduction de la pollution et du bruit dans les villes, il faut générer d’autres pollutions, ailleurs. Pour Alma Dufour, des Amis de la Terre, cela pose un sérieux problème de justice sociale : « La question de l’accès à l’eau dans les régions du monde qui subissent de plein fouet le changement climatique est aussi importante que les émissions de CO2. »
« On part avec un handicap à cause de l’impact de production. Donc, il faut compenser par un usage intelligent »
Le « véhicule propre » vanté par le plan gouvernemental est donc nettement un abus de langage (sauf à renvoyer à l’idée de propriété, au sens de « mon propre véhicule »). Quant aux émissions de CO2, la capacité des véhicules électriques à les réduire n’a rien d’évident, et s’avère même contre-productif dès lors que la voiture électrique est envisagée comme un simple substitut de la voiture thermique. « On part avec un handicap à cause de l’impact de production, explique Maxime Pasquier, de l’Ademe (Agence de la maîtrise de l’énergie). Donc, il faut compenser par un usage intelligent. »Un usage intensif, d’abord : il faut qu’un véhicule électrique parcoure beaucoup de kilomètres pour compenser sa production, c’est le cas des utilitaires en ville. Un usage ciblé : le véhicule électrique n’est économe que s’il emporte une petite batterie, donc les gros modèles permettant de partir en vacances, avec 500 km d’autonomie, ne sont pas viables écologiquement. « Par rapport à l’idée que la voiture électrique va nous sauver,dit Maxime Pasquier, l’Ademe rappelle que ça reste un véhicule. Pour limiter la pollution et le changement climatique, le premier levier est la sobriété : limiter les déplacements, raccourcir les chaines logistiques. Ensuite : utiliser les transports en commun, faire du vélo, partager les véhicules. Et seulement en dernier ressort, agir sur l’efficacité technique des véhicules. » Un constat partagé par Stéphane Amant, chez Carbon 4 : « Les tanks électriques qui pèsent deux tonnes n’ont rien à voir avec l’écologie. La mobilité électrique ne peut pas remplacer la mobilité thermique avec les mêmes usages. On ne pourra pas y arriver sans sobriété. »
Bon. Imaginons que vous n’ayez pas encore lu Reporterre et qu’illuminé(e) par le discours d’Emmanuel Macron à l’usine Valeo, vous décidiez de vous renseigner sur les aides gouvernementales à la mobilité propre. Vous vous rendez sur le site du ministère de la Transition écologique. Sur la page Prime à la conversion, bonus écologique : toutes les aides en faveur de la mobilité propre, dans la colonne de gauche, vous découvrez l’onglet « Et si vous rouliez en électrique ? ». Là, vous apprenez que le véhicule électrique n’est rien moins qu’« un outil au service de l’environnement ». Parfait ! Et en plus, vous n’aurez rien à changer, car « une voiture électrique convient probablement à vos besoins ». Il suffit de renseigner sur un moteur de recherche vos habitudes quotidiennes et vos goûts pour vous voir conseiller une panoplie de voitures rutilantes : des modèles SUV de toutes marques, des Tesla Model S de 2,2 tonnes emportant 540 kg de batterie. Ô mais… vous n’êtes plus sur le site gouvernemental, mais sur la page « jerouleenelectrique.com », animée par l’Avere (Association nationale pour le développement de la mobilité électrique). Sauf qu’il est difficile de le savoir au premier abord : c’est le ministère de la Transition écologique qui vous y envoie, et son logo, de taille respectable, s’affiche encore en haut à droite. On est pourtant passé directement de la « mobilité propre » aux intérêts économiques des empires automobiles français. Sans… transition, pourrait-on dire, puisque l’internaute est tout simplement invité à acheter le modèle électrique « qui lui convient », sans réflexion sur ses usages et avec un bilan écologique potentiellement catastrophique.
Du point de vue de l’écologie, le passage à l’électromobilité est un pari pour le moins fragile
La voiture électrique soulève encore d’autres questions. On peut se demander quelles sont les conséquences écologiques du renouvellement accéléré du parc automobile induit par les « primes à la conversion ». Si les voitures à essence partent prématurément à la casse avant que leur production n’ait réellement été amortie, à quel point le passage à l’électrique est-il justifié ? Peu d’études le renseignent. Et si ces mêmes voitures thermiques quittent le marché français pour atterrir, par exemple, dans les pays du Maghreb, ne risque-t-on pas, au lieu de bénéficier de leur substitution, d’additionner au niveau mondial les coûts écologiques de l’électrique et du thermique ? Un afflux vers les pays pauvres de véhicules polluants d’occasion peu chers, associé à la baisse du baril de pétrole, ne risque-t-il pas d’inciter à la consommation de voitures personnelles dans des régions où elles ne sont pas encore systématiques ? Dans les pays riches, au niveau des usages, le déploiement de véhicules électriques commence déjà à se traduire par un effet rebond — c’est-à-dire un effet involontaire de surconsommation induit par l’efficacité accrue de l’objet. L’Agence européenne pour l’environnement constate, en Suède et en Norvège, que les possesseurs de véhicules électriques ont tendance à remplacer certains de leurs trajets à pied ou en transport en commun par leur nouvelle acquisition. Pourquoi ? Parce que « le coût de fonctionnement d’un véhicule électrique est largement inférieur à celui d’un véhicule thermique » ; parce qu’étant donné le prix d’achat supérieur des électriques, « leurs possesseurs peuvent être tentés de davantage les utiliser pour amortir cet investissement » ; et enfin, en raison des « incitations des collectivités locales à la voiture électrique » (parking gratuit, exemptions de péages, etc.) [8].
Du point de vue de l’écologie, le passage à l’électromobilité s’apparente donc à un pari pour le moins fragile. En France, ce n’est rien moins qu’un pari à 8 milliards d’euros de fonds publics qui nécessite d’espérer que les usagers n’achèteront ni berline ni SUV, utiliseront les transports en commun pour partir en vacances, feront du covoiturage, ne rechargeront pas leurs véhicules en mode rapide parce qu’ils sont pressés (ce qui fait décroître la longévité de la batterie), ni tous en même temps aux heures de pointe (auquel cas, ils sont alimentés par des centrales électriques diesel), ne remplaceront pas leurs trajets en vélo par une balade en Zoe — et de prier pour qu’on arrive à gérer les fuites et les déchets qui sortent des centrales nucléaires, ou qu’on les démonte rapidement. Et, bien entendu, de prier pour que les batteries et les métaux que contiennent les autos électriques soient bel et bien recyclés, sans quoi les ravages des activités minières sont voués à s’intensifier — et les véhicules électriques serviront autant à délocaliser les pollutions qu’à déplacer les personnes.
- Retrouvez le deuxième volet de notre enquête « La voiture électrique cause une énorme pollution minière ».
[1] « Sensitivity Analysis in the Life-Cycle Assessment of Electric vs. Combustion Engine Cars under Approximate Real-World Conditions », Eckard Helmers, Johannes Dietz and Martin Weiss, Sustainability, février 2020, p. 2.
[3] Tesla Impact Report 2019.
[4] « The Life Cycle Energy Consumption and Greenhouse Gas Emissions from Lithium-Ion Batteries », IVL, 2017.
[5] « Lithium-Ion Vehicle Battery Production », IVL, 2019, p. 5.
[6] « Sensitivity Analysis in the Life-Cycle Assessment of Electric vs. Combustion Engine Cars under Approximate Real-World Conditions », Eckard Helmers, Johannes Dietz and Martin Weiss, Sustainability, février 2020.
[7] Voir notamment les diagrammes pages 26, 58 et 60 du rapport de l’Agence européenne pour l’environnement.
[8] « Electric vehicles from life cycle and circular economy perspectives », rapport de l’AEE, 2018, p. 43.