Repenser la plus-value, recentrer les luttes au sein de la sphère de la reproduction

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SOURCE : Revue ouvrage

Par JARED SACKS
Publié le 31 août 2020

Depuis les années 1970, les féministes autonomes critiquent Karl Marx pour ne pas avoir considéré la sphère de la reproduction comme un moteur essentiel du capitalisme. Elles ont démontré comment le travail reproductif non rémunéré contribue à la production de la plus-value — un fait que le marxisme orthodoxe a refusé de prendre en compte. Cela s’explique en partie par la fétichisation de catégories telles que le travail productif et le travail improductif comme fondements théoriques du marxisme. Toutefois, si nous comprenons la critique que fait Marx de l’économie politique comme une méthode pour analyser le capitalisme en termes de processus, nous sommes obligé·e·s de repenser la théorisation de catégories telles que la plus-value. Dans les débats actuels autour de la production de la valeur sous le capitalisme, il est utile de proposer une distinction conceptuelle explicite entre le lieu où la plus-value est produite et où elle est extraite. Ce faisant, nous mettons au premier plan la sphère de la reproduction et le rôle clé qu’elle joue dans le maintien des relations sociales capitalistes.

Ce contraste peut ainsi informer la lutte contre le capitalisme des manières suivantes. Premièrement, il permet de penser un syndicalisme de transformation sociale qui transcende les frontières de la production et de la reproduction. Deuxièmement, il fournit des justifications théoriques à l’interruption et à la perturbation du travail reproductif dans la perspective d’un décentrement des politiques de résistance en dehors de l’usine. Finalement, il souligne l’importance de construire des mouvements autonomes pour la production des « communs ». Cet article utilise des exemples de luttes récentes en Afrique du Sud et en Amérique du Sud afin de valoriser théoriquement la diversité des luttes ayant émergé depuis les années 1960. – JS

 

« Le travail d’une femme qui cuisine pour son mari, qui, lui, fabrique des pneus à l’usine Firestone de Southgate en Californie, fait essentiellement autant partie de la production de pneus d’automobiles que les cuisinier·e·s et les serveur·euse·s qui travaillent dans les cafés où les travailleurs de Firestone vont manger. Et toutes les épouses de tous les travailleurs de Firestone, par le travail socialement nécessaire qu’elles effectuent à la maison, participent à la production de pneus Firestone, et leur travail est aussi inséparablement intégré à ces pneus que le le travail de leurs maris. » 1

– Mary Inman, « The Role of the Housewife in Social Production »

« Peu importe la forme et la direction de la lutte de libération des Noir·e·s… l’espace domestique a été un site crucial pour l’organisation, pour la formation d’une solidarité politique. La maison a été un site de résistance. »2

– bell hooks, Yearning: Race, Gender and Cultural Politics

Illustration parue le 2 novembre 1871 dans L’Opinion publique, vol. 2, no 44, p. 532

Argument

Dans Yearning, l’autrice féministe bell hooks s’attaque à la croyance commune selon laquelle le combat pour l’égalité des genres doit principalement se faire sur les lieux de travail. Son essai « Homeplace (a site of resistance) », qui en appelle à résister au « patriarcat capitaliste-impérialiste-suprémaciste blanc », peut être considéré comme un jalon de l’histoire féministe de décentrement des luttes de l’usine en vue de leur recentrement dans la sphère de la reproduction. Alors que hooks reste à l’écart de l’analyse marxiste et ne tire aucun lien généalogique avec les critiques féministes autonomes du marxisme orthodoxe, sa convergence théorique avec des féministes comme Mariarosa Dalla Costa et Silvia Federici aide à réorienter spatialement les modes de théorisation de la lutte contre le capitalisme.

Dans cet article, je cherche à mettre en conversation la théorie de la valeur de Karl Marx et la pensée non marxiste, comme celle de hooks. Comprendre la valeur capitaliste à travers une optique féministe n’élargit pas seulement la portée de la tradition marxiste; cela rend nécessaire une critique de l’économie politique qui s’engage avec les expériences vécues et les idéologies vivantes qui émergent des luttes de reproduction.3

À partir de cette critique féministe autonome, je soutiens qu’il est utile, au sein des débats autour de la production de valeur sous le capitalisme, de faire une distinction conceptuelle explicite entre le lieu où la plus-value est produite et où elle est extraite et de reconnaître que Marx a seulement analysé ce dernier. Cette proposition rend visible les relations d’exploitation qui transcendent les différentes sphères de la société. Ce faisant, j’inscris mes analyses dans la longue lignée théorique des « marxismes ouverts » et des « féminismes autonomes », dans le but de repenser la critique de l’économie politique de Marx afin qu’elle se rapproche mieux des pratiques existantes de lutte contre le capitalisme. De cette façon, l’abstraction théorique n’est pas une fin en soi, mais plutôt un processus au sein de la pensée organique qui est censé engager, plutôt que remplacer, les idéologies vivantes.

Premièrement, j’explore la distinction marxienne entre travailleur.euse « productif.ve » et « improductif.ve » à travers son analyse de la reproduction de la force de travail et sa théorie de la plus-value.

Deuxièmement, j’analyse comment le matérialisme scientifique des marxistes traditionnels a utilisé ces catégories conceptuelles pour faire du travailleur masculin « productif » le sujet révolutionnaire de la classe ouvrière, créant ainsi une fausse hiérarchie par rapport aux autres travailleur.euse.s. Je vais me concentrer plus spécifiquement sur l’approche orthodoxe et ses origines dans l’interprétation de Friedrich Engels de l’oeuvre de Marx, mais je vais aussi démontrer que cette façon de penser a souvent été adoptée par d’autres courants du marxisme.4

Troisièmement, je distingue l’ approche de Marx lui-même de son interprétation par les marxistes orthodoxes. Bien que Marx ait été, dans une certaine mesure, mal interprété par plusieurs qui l’ont suivi – en particulier en ce qui concerne la nature scientifique de ses théories – il est resté attaché à certaines catégories étroites et rigides qui ont contribué à la réification de ses théories.

Quatrièmement, je soutiens que le décentrement féministe autonome de l’usine en vue d’un recentrement autour de la sphère de la reproduction et, en particulier, du travail considéré traditionnellement comme féminin apporte un correctif important à cette approche réductionniste. Le marxisme orthodoxe et l’œuvre de Marx lui-même n’ont pas suffisamment valorisé ce travail dans leur théorisation du capitalisme. En reformulant la théorie de la valeur de Marx à travers la lentille de la reproduction, je propose une définition alternative de la plus-value en ce qui concerne le travail productif/improductif. Redéfinir la plus-value en distinguant où elle est produite et où elle est extraite nous impose de repenser le cadre théorique du travail productif/improductif tel qu’élaboré par Adam Smith5, ce qui nous permet de faire une nouvelle distinction entre le travail « directement » productif et le travail « indirectement » productif. L’objectif n’est pas de contribuer à une quelconque nouvelle économie politique marxiste – en effet, Marx lui-même était contre une telle démarche 6 – mais plutôt de modifier la théorie de la valeur-travail de Marx afin qu’elle puisse s’engager de manière plus réfléchie avec les innombrables luttes qui imprègnent le paysage social.

Dans la dernière section, je démontre que ce contraste théorique peut éclairer la lutte contre le capitalisme des manières suivantes. A) Il prend fait et cause pour des luttes telles que les grèves des mineur.e.s et des travailleur.euse.s agricoles de Marikana, en Afrique du Sud, qui transcendent les frontières de la production et de la reproduction, en s’inscrivant dans le syndicalisme de transformation sociale. B) Il fournit une justification théorique aux blocages routiers, qui suspendent le travail de reproduction et le perturbent – une politique militante décentralisée qui vise des concessions de la part du capital et de l’État. C) Il atteste de la pertinence de la construction de mouvements autonomes, comme celui des zapatistes, pour la production des « communs ».

En somme, redéfinir la théorie de la valeur de Marx d’une manière plus dynamique et ouverte nous aide à nous engager avec des analyses non marxistes ainsi qu’avec les idéologies vivantes des luttes réellement existantes. Cela nous oblige également à considérer des concepts tels que la plus-value en tant que relations sociales incarnées qui ne sont pas quantifiables ni compatibles avec l’ambition futile que représente l’économie marxiste.

Marx et la valeur du travail

L’analyse que fait Marx de l’accumulation capitaliste est fondée sur sa théorie de la plus-value, qui se distingue de la problématique théorie de la valeur de l’économiste classique David Ricardo.7

Selon Marx, toute valeur provient de la force de travail d’un travailleur. Sous le capitalisme, la force de travail est achetée par un capitaliste à sa valeur de reproduction – c’est-à-dire au prix de subsistance qui permet sa reproduction. Ici, la distinction entre force de travail et temps de travail est essentielle. Une fois que le travailleur8 a complété le temps de travail qui correspond à la valeur de sa force de travail, il continue à travailler et à produire pour le capitaliste. La valeur d’« échange » de ce qui est produit au-delà de ce moment est sa plus-value. Comme le souligne Marx, la plus-value « ne provient que d’un surcroît quantitatif de travail, de la prolongation du même procès de travail »9, en ajoutant que le travailleur « forme une valeur qui sourit au capitaliste de tous les charmes d’une création ex nihilo »10. J’insiste sur le caractère subjectif de cette affirmation car, du point de vue du travailleur, la plus-value n’est certainement pas produite par enchantement.

La plus-value est la raison d’être des capitalistes; leur « unique pulsion vitale »11. Le capital cherche seulement à maximiser la plus-value et il le fait à travers une gamme de stratégies, dont l’extension de la journée de travail, la réduction des salaires et l’augmentation de la productivité. Cette production capitaliste ne produit donc pas seulement le travailleur, les marchandises et la plus-value, mais (re)produit la relation capitaliste elle-même, séparant ainsi les travailleurs de ce qu’ils produisent.12

C’est là que la différence entre le travail « productif » et le travail « improductif » entre en jeu. Le contenu du travail et sa valeur d’usage n’ont pas d’importance ici. En fait, la force de travail est seulement productive lorsqu’elle produit du capital via l’extraction de plus-value (c’est-à-dire lorsqu’elle entraîne la production de marchandises à vendre).13 Dans Théories sur la plus-value, Marx analyse plus en détail cette relation:

« Le travail productif au sens de la production capitaliste, c’est le travail salarié qui, en échange de la partie variable du capital (de la partie déboursée en salaire), non seulement reproduit cette partie du capital (ou la valeur de sa propre puissance de travail), mais produit en outre de la plus-value pour le capitaliste… Seul est productif le travail salarié qui produit du capital. »14

D’autre part, le travail est considéré comme improductif lorsqu’il ne permet pas à un capitaliste de produire de la plus-value. Cela peut comprendre une gamme de travail rémunéré: le travail des mercenaires, des fonctionnaires ou des enseignant.e.s est improductif tant et aussi longtemps qu’il ne produit pas directement pour le capital. En d’autres mots, « c’est du travail qui ne s’échange pas contre du capital, mais immédiatement contre du revenu, donc du salaire ou du profit »15. Suivant l’analyse que fait Marx de la reproduction du capital16, ce type de travail est celui qui est acheté avec le profit capitaliste sous la forme de consommation ou que des entités, comme une institution gouvernementale, financent par l’impôt sur ces mêmes profits.

De la même manière, la sphère de la reproduction – c’est-à-dire le travail ménager non rémunéré ou le travail rémunéré de consommation ouvrière – compte aussi comme du travail improductif. L’économiste David Harvie, dont les travaux remettent en question la définition marxienne du travail productif/improductif, identifie chez Marx trois types de travail improductif: a) le travail dont le produit reproduit la force de travail elle-même, b) la supervision du travail d’autrui (par exemple, un directeur d’usine) et c) le travail qui intervient dans la circulation et la consommation des marchandises.17 Comme le travail improductif est une catégorie si large, il est conséquemment essentiel, selon Marx, à la circulation du capital et à la reproduction du capitalisme dans son ensemble.

Cela dit, avant d’aborder comment les féministes ont repensé la question de la valeur chez Marx, il est important de mettre cette nouvelle analyse en contraste avec l’interprétation de Marx qui a dominé toute la première moitié du XXe siècle.

Le marxisme orthodoxe

Il y a beaucoup de controverses liées à la méthodologie utilisée par Marx dans son travail. De nombreuses interprétations traditionnelles de Marx ont mis de l’avant une analyse structurée et rigide des catégories, telles que la plus-value, la production et la reproduction, et des diverses « lois » de la société capitaliste. L’origine des différentes tendances qui ont composé le marxisme orthodoxe (comme les travaux de Daniel de Leon, Georges Plekhanov et Karl Kautsky) est généralement attribué au matérialisme scientifique de Friedrich Engels qui, dans Socialisme utopique et socialisme scientifique, a lié les sciences naturelles à la théorie du capital de Marx:

« Ces deux grandes découvertes: la conception matérialiste de l’histoire et la révélation du mystère de la production capitaliste au moyen de la plus-value, nous les devons à Marx. C’est grâce à elles que le socialisme est devenu une science, qu’il s’agit maintenant d’élaborer dans tous ses détails. »18

Plus encore, « Engels avait tendance à se concentrer presque uniquement et unilatéralement sur les facteurs de développement social liés aux changements économiques et technologiques »19. Selon Heather Brown, cela comprenait la répression des femmes par le capitalisme, qu’Engels comprenait comme étant conduite et déterminée d’abord et avant tout par la privatisation de la propriété. Engels laissait donc entendre que le patriarcat n’existerait pas dans une société communiste sans propriété privée.20

Cette approche ne s’est pas limitée au marxisme orthodoxe. À partir de cette perspective scientifique, plusieurs autres marxistes se sont concentrés sur l’aspect technique de la définition de la plus-value. Le travail du théoricien marxiste Ernest Mandel est un bon exemple de la façon dont la valeur a été utilisée pour mettre l’accent sur les travailleurs productifs comme seuls sujets révolutionnaires. Selon Mandel, « Marx et Engels ont attribué au prolétariat le rôle clé dans l’avènement du socialisme, moins à cause de la misère qu’il subit qu’en fonction de la place qu’il occupe dans le processus de production et de la capacité qu’il possède d’acquérir de ce fait un talent d’organisation et une cohésion dans l’action sans commune mesure avec toutes les classes opprimées du passé. »21 Commentant ce passage de Mandel, le sociologue marxiste Ian Gough souligne qu’« ici, c’est le fait de travailler au sein du processus de production et, donc, l’implication dans la création de la plus-value, qui attribue à ce groupe de travailleur.euse.s un potentiel révolutionnaire. »22 La logique inverse est ainsi sous-entendue: les travailleur.euse.s qui ne produisent pas de plus-value directement pour les capitalistes, peu importe la faiblesse de leurs salaires, leur aliénation vis-à-vis des moyens de production et l’ampleur de la contribution de leur travail à la reproduction du capitalisme, ne doivent pas être considéré.e.s révolutionnaires. Selon ces marxistes, les travailleur.euse.s improductif.ve.s devraient au moins être dirigé.e.s par l’avant-garde révolutionnaire de la classe des travailleurs productifs.

Si Lénine a lui aussi renoncé à certaines positions orthodoxes, il a tout de même fait des travailleurs productifs le centre de l’avant-garde de la révolution. Le sociologue marxiste John Holloway souligne ainsi que « le  concept de socialisme scientifique a laissé une empreinte qui va bien au-delà de ceux qui s’identifient à Engels, Kautsky ou Lénine. »23 Cette approche méthodologique a eu de graves conséquences sur la façon dont le marxisme a compris, non seulement le capitalisme, mais aussi la position révolutionnaire des travailleur.euse.s.

Illustration d’Eugene Haberer parue le 11 janvier 1877 dans L’Opinion publique, vol. 8, no 2, p. 22

Le sujet révolutionnaire en question

L’analyse que fait Marx de la production de la plus-value a longtemps orienté la façon dont les intellectuel.le.s de gauche, en particulier les marxistes orthodoxes, ont lutté contre capitalisme. Bien que cette lecture économiciste n’ait pas été la seule raison de cette priorisation du « travailleur productif », elle a certainement été importante. Selon la compréhension de certains marxistes, comme seule la force de travail directement embauchée par le capitaliste produit de la plus-value, ce n’est que dans ce domaine que les capitalistes exploitent les travailleurs, en extrayant une partie de leur valeur-travail comme profit.24

En soutenant que seule cette sphère produit de la valeur pour les capitalistes, ces théories font du travailleur « productif » d’usine le sujet révolutionnaire de la classe ouvrière, orientant ainsi les luttes de manière hiérarchique autour de lui. Comme je l’ai déjà souligné, théoriser le travailleur industriel révolutionnaire en tant qu’homme a une longue histoire.  Une grande partie de la théorie marxiste traditionnelle a genré le travailleur d’usine en tant qu’homme, et ce, même si la plupart des premières usines étaient dominées par des femmes et des enfants, y compris en ce qui concerne l’organisation sur les milieux de travail.25 Au-delà de l’usine, celleux dont les connaissances sur la Commune de Paris se limitent à La Guerre civile en France de Marx ont tendance à comprendre la révolution en termes de travailleurs masculins. Ce qui devait être redécouvert, c’est que l’insurrection a été organisée sur le territoire des quartiers parce que les liens des communard·e·s avec les usines étaient précaires et parce que les mobilisations étaient principalement menées par des femmes.26 Cela signifie non seulement que de nombreux marxistes et communistes avaient tendance à privilégier l’usine et le syndicat pour organiser la résistance, mais aussi que, parfois, des luttes autonomes de l’usine étaient, sur cette même base, isolées et même détruites.27

Cependant, il était incorrect de leur part de laisser entendre que les luttes hors des lieux de travail étaient inefficaces. En fait, bien que cela n’était pas reconnu par de nombreux marxistes orthodoxes, la majorité des luttes révolutionnaires du XXe siècle étaient d’abord et avant tout des luttes de paysan·ne·s – un groupe que beaucoup avaient relégué au second plan de la théorie, en le considérant même parfois contre-révolutionnaire. Comme l’explique Federici, « à commencer par les révolutions mexicaine et chinoise, au siècle dernier les coups les plus rudes portés au système [et au capitalisme] n’ont pas été uniquement ou surtout le fait des ouvriers de l’industrie – sujets révolutionnaire par excellence, pour Marx – mais de mouvements paysans, indigènes, anticolonialistes, antiracistes et féministes »28. Ainsi, alors que la plupart des marxistes orthodoxes considéraient le travailleur industriel comme le sujet révolutionnaire, lorsque des révolutions anticapitalistes ont effectivement eu lieu, y compris dans des endroits comme la Chine et Cuba, le centre de la lutte était à une écrasante majorité extérieur à l’usine et basé principalement au sein de la paysannerie et des sous-classes urbaines. Cela dit, comment le travail de Marx se compare-t-il réellement à ses interprétations orthodoxes ?

Marx par rapport au marxisme orthodoxe

Même si Marx a d’abord fait du travailleur industriel le sujet révolutionnaire, il était plus ambigu quant à savoir si ses théories sont en effet « scientifiques ». D’une part, ses nombreux chapitres sur les diverses « lois » du capitalisme donne du crédit aux affirmations d’Engels; d’autre part, Marx a également affirmé que sa méthodologie était principalement axée sur les processus. Il était donc contre l’idée d’une méthode scientifique en tant que telle, ce qu’il a expliqué au théoricien socialiste Ferdinand Lassalle, en 1858: « Le travail dont il s’agit en premier est la critique des catégories économiques ou, si tu préfères, l’exposé critique du système de l’économie bourgeoise. C’est à la fois l’exposé du système et, par le biais de l’exposé, sa critique. »29

Dans un important article à ce sujet, le statisticien marxiste Cyril Smith approfondit en détail ce point et s’oppose à l’interprétation du Capital de Marx selon la méthode scientifique prescrite par Engels: « La critique de l’économie politique menée par Marx n’était pas la proposition d’une nouvelle « économie socialiste » – selon Marx, le socialisme impliquait le dépérissement de l’économie. »30 L’autrice féministe Selma James avance un point de vue similaire dans sa critique de Mandel: « Marx a fait la négation théorique de l’économie politique et la classe ouvrière en fait la négation pratique »31.

De même, Holloway souligne qu’une grande partie des travaux ultérieurs de Marx (y compris les Livres II et III du Capital) ont été, selon lui, édités par Engels dans le but de promouvoir une certaine interprétation scientifique de Marx. Dans le supplément d’Engels à « Loi de la valeur et taux de profit », par exemple, il « ne présente pas la valeur comme une forme spécifique de relations sociales de la société capitaliste, mais comme une loi économique. »32 L’interprétation d’Engels par les marxistes orthodoxes trouve même résonance aujourd’hui. Des économistes marxistes contemporain·e·s, comme Simon Mohun, affirment que la distinction entre travail productif et travail improductif est l’une des « pierres angulaires fondamentales »33 de l’oeuvre de Marx, en ne comprenant pas du tout sa critique méthodologique de l’économie politique.

Or, si Marx a pour méthode l’analyse du capitalisme en termes de processus, la fétichisation de telles catégories est alors réduite. En effet, suivant le point d’Holloway, Marx met lui-même en garde contre la réification de catégories telles que celle de marchandise, parce qu’elle obscurcit les relations sociales de production qui lui sont sous-jacentes.34 Cette analyse axée sur les processus, à l’inverse de l’approche en termes de « fondements » de Mohun, est essentielle à la théorie de la valeur de Marx. Elle permet de saisir que « le procès de production capitaliste, considéré dans son contexte, ou comme procès de reproduction, ne produit donc pas seulement de la marchandise, pas seulement de la survaleur [plus-value], il produit et reproduit le rapport capitaliste proprement dit, d’un côté le capitaliste, de l’autre l’ouvrier salarié. »35

Dans cette perspective, la reproduction est non seulement comprise comme « la condition sine qua non de la production capitaliste »36, mais aussi comme une relation réciproque qui est en constante évolution. Comme le souligne Marx avec éloquence: « Les conditions de la production sont en même temps les conditions de la reproduction… Si la production a une forme capitaliste, la reproduction l’a aussi. »37 C’est là une manière d’analyser plus ouvertement la plus-value et des distinctions telles que celle entre travail productif et improductif. Elle implique de résister à la fétichisation de la théorie en catégories définitives en gardant les concepts vivants et fluides.

En même temps, Hollaway nous avertit à l’effet que, « s’il est facile de penser que le fait de positiver la science est une contribution d’Engels à la théorie marxiste, souligner la différence entre Marx et Engels comporte quelques dangers: le fait d’attribuer toute la responsabilité à Engels distrait l’attention des contradictions sans aucun doute présentes dans le travail même de Marx. »38. La tension clé dans son travail était la suivante: le désir de construire une théorie universelle qui explique tout le capitalisme versus la reconnaissance qu’une telle tentative impliquait de retirer le capitalisme de son matériau particulier et des processus qui lui sont constitutifs. Le fait même que Marx ait été interprété de tant de manières témoigne de la tension non résolue entre « fétichisme » et « processus » au sein de son paradigme théorique.39 En essayant de résoudre cette tension, on peut découvrir une longue histoire de tentatives de décentrer l’usine et de défétichiser les concepts de Marx.

Décentrer l’usine

Dans les années 1950 et 1960, un éventail de théoricien·ne·s inspiré·e·s en particulier par les révolutionnaires Mao Zedong et Antiono Gramsci et nourri·e·s par les luttes populaires de l’époque a commencé à critiquer la situation théorique de l’usine comme site principal de l’organisation anticapitaliste. Au sein des luttes contre le colonialisme, des intellectuel·le·s comme Frantz Fanon ont ressuscité le lumpenproletariat de Marx – la sous-classe urbaine des bidonvilles – en tant que sujet révolutionnaire le plus prometteur des mouvements anti-coloniaux et anticapitalistes.40 Cela a influencé une gamme de mouvements allant de la révolution algérienne aux Black Panthers. De même, des intellectuel·le·s tel·le·s que Cyril Lionel Robert James et George Padmore ont commencé à placer la race au centre de leurs théories sur le potentiel révolutionnaire des travailleur·euse·s.41

L’opéraïsme italien a été influencé par plusieurs de ces courants, notamment les travaux précédents de James au sein de la tendance Johnson-Forest.42 C’est l’opéraïsme qui a permis de réévaluer l’interprétation marxiste de la théorie de la valeur-travail, en étendant le champ d’analyse des luttes ouvrières au-delà des ateliers et vers la communauté, afin de faire des liens avec les étudiant·e·s autour de l’éventail des problèmes de la classe ouvrière.43 Cette analyse s’est faite connaître comme celle de l’« usine sociale ». Selon le théoricien opéraïste Mario Tronti:

« Plus le développement capitaliste avance, c’est-à-dire plus la production de la plus-value relative pénètre et s’étend partout, plus le circuit production-distribution-échange-consommation se parfait inéluctablement ; c’est-à-dire que le rapport entre production capitaliste et société bourgeoise, entre usine et société, entre société et État, devient de plus en plus organique. Au niveau le plus élevé du développement capitaliste le rapport social devient un moment du rapport de production, et la société tout entière devient une articulation de la production, à savoir que toute la société vit en fonction de l’usine, et l’usine étend sa domination exclusive sur toute la société. »44

Cela dit, ce concept, tout en élargissant la lutte en dehors de l’usine traditionnelle, ignorait la maison comme un site clé de la production de plus-value et donc de la résistance révolutionnaire au capitalisme. C’est la contribution qu’une analyse féministe a amené à ces débats antérieurs sur la valeur-travail.

Redéfinir la plus-value

Influencées par le décentrement du sujet révolutionnaire de l’ouvrier industriel traditionnel, les féministes autonomes italiennes ont commencé à formuler des critiques de Marx qui inversaient le rapport entre travail et valeur.45 Des intellectuelles militantes telles que Mariarosa Dalla Costa, Selma James et Leopoldina Fortunati ont fait valoir que la plus-value était également produite dans la sphère de la reproduction – y compris par le travail non rémunéré de production des travailleur·euse·s.46 James l’a exprimé encore plus simplement dans sa critique de l’aveuglement des syndicats vis-à-vis du travail ménager: « Quand le capital paie les maris, il obtient non pas un, mais deux travailleur·euse·s »47 En d’autres mots, le système capitaliste ne repose pas seulement sur l’exploitation des travailleur·euse·s dans l’usine pour extraire la plus-value, mais aussisur l’exploitation impliquée dans la reproduction des travailleur·euse·s à la maison.48 Alors que les théories féministes précédentes avaient tendance à voir le mouvement des femmes de la maison vers le monde du travail comme un dénouement au patriarcat, cette re-théorisation de la production de valeur comprenait l’expérience sociale des femmes comme étant constituée, contrôlée et exploitée par le capital à travers la structure de la famille patriarcale.49

Illustration d’Henri Julien parue le 8 juillet 1875 dans L’Opinion publique, Vol. 6, no 27, p. 318

Federici affirme ainsi que « … l’analyse du capitalisme telle que l’a développée Marx pâtit de son incapacité à imaginer, à côté de la production de marchandises, d’autres formes de travail productrices de valeur, et subséquemment de son impuissance à voir que le travail reproductif non rémunéré des femmes occupe une place importante dans le processus d’accumulation capitaliste. »50

Si, toutefois, les théories de Marx sont véritablement ouvertes pour tenter de les mettre en conversation avec des processus sociaux réels, à quoi cela ressemblerait-il ? Si nous prenons au sérieux l’insistance de Marx sur le caractère essentiel de la sphère de la reproduction pour le développement capitaliste et l’insistance de Federici sur le fait que le travail reproductif produit de la valeur essentielle à l’accumulation capitaliste, nous serions alors dans l’obligation de redéfinir le concept de plus-value de manière à ce que le travail ménager et les autres formes de travail reproductif soient pris en compte.51

Harry Cleaver, en relisant Dalla Costa, tente de souligner en quoi la théorie de la valeur de Marx n’est pas une théorie de la valeur du travail en général, mais spécifiquement de la valeur du travail dans son rapport au capital. Sa production à domicile n’est pas une chose à mesurer, mais un rapport social. Il écrit que « la valeur est cette qualité du travail que le capital impose et qui consiste en ses moyens de contrôle social »52: la valeur est un rapport social et non une catégorie quantifiable. Dalla Costa va plus loin en affirmant qu’en tant que critique de la comptabilité capitaliste bourgeoise, le travail de Marx doit également « rendre compte » de la façon dont le travail reproduit la force de travail. Cela peut être fait en analysant comment les rapports sociaux de reproduction produisent activement de la plus-value.

Je vais résister à l’emploi de l’approche radicale de Harvie, qui affirme seulement que « tout travail produit de la valeur »53 et perd ainsi l’importante distinction entre les différents types de valeur. Au contraire, afin de considérer la plus-value comme un processus plutôt qu’une catégorie, il serait utile de faire la distinction entre le lieu où la plus-value est « produite » et celui où elle est « extraite ». Ce dernier est déjà assez clair: selon Marx, la plus-value est extraite du travail du travailleur au moment et sur le lieu de la production (comme, sans s’y limiter, l’usine).54 Ici, Marx n’est pas très judicieux dans ses termes puisqu’il utilise « production » et « extraction » de manière interchangeable et, parfois (quoique de manière irrégulière), il fait même une étrange distinction entre la production de plus-value et l’extraction de surtravail.55

Si l’on devait penser de manière critique et en termes de processus, on pourrait relier trois points en ce qui concerne le travail sous le capitalisme:

1. La plus-value n’est pas une chose qu’une personne possède, ni un nombre qui peut être quantifié. Il s’agit plutôt d’une relation qu’une personne peut incarner à des moments particuliers.

2. Par définition, la production de plus-value précède nécessairement son extraction.

3. Finalement, et c’est le plus important, la production et l’existence de la plus-value est subordonnée à son éventuelle extraction (et pas seulement l’inverse).

En d’autres mots, la plus-value ne peut exister qu’en relation avec le capital, sur la base de son éventuelle extraction et transformation en capital par la vente de marchandises. Si cette relation est interrompue à un moment donné, la plus-value cesse d’exister.

De manière plus générale, cela signifie, selon Marx, que la plus-value ne peut être produite que pour les capitalistes et dans le cadre des rapports sociaux capitalistes. Si alors, comme le souligne Marx, la sphère de la reproduction est nécessairement capitaliste56, il faut donc que la plus-value (entendue comme un rapport social) puisse être produite à n’importe quel moment du processus de reproduction et transmise, en termes de force de travail, via les travailleur·euse·s exploité·e·s (qui peuvent ensuite la stocker et l’incarner comme une relation au sein du système de rapports sociaux capitalistes57), en prévision de son éventuelle extraction à même leur force de travail.58

Cela a du sens, comme le soulignent Fortunati et Dalla Costa et James, de la perspective d’une travailleuse non rémunérée pour son travail ménager. Elle ne nourrit pas seulement son mari qui travaille pour un capitaliste, mais elle porte et élève aussi des enfants qui deviendront des travailleur·euse·s productif·ve·s et reproductif·ve·s pour le capital. Elle produit de la force de travail et donc aussi, simultanément, une relation qui incarne la plus-value en vue de son éventuelle extraction par le capital.

Cela a également du sens du point de vue des capitalistes, qui savent souvent qu’en achetant la force de travail d’un individu, iels font aussi potentiellement l’achat de la force de travail d’une famille entière. Pour les capitalistes, « la valeur de la force de travail était déterminée par le temps de travail nécessaire non seulement à la conservation de l’ouvrier adulte individuel, mais aussi à la conservation de la famille ouvrière. »59 En d’autres mots, bien que Marx ne l’ait pas reconnu, la famille produit non seulement de la valeur en général, mais elle produit spécifiquement de la plus-value pour les capitalistes. La plus-value est alors incarnée en tant que force de travail via les relations sociales capitalistes afin qu’elle puisse éventuellement être extraite par le capital.

Même si Marx affirme, du point de vue du capitaliste, que « ce procès se déroule derrière son dos, il ne le voit ni ne le comprend et en fait celui-ci ne l’intéresse pas »60, il semble que ce ne soit pas toujours le cas. La reconnaissance de la valeur de la reproduction à la maison est la raison pour laquelle, par exemple, le capital minier de l’époque de l’apartheid était si favorable à la ségrégation par le Group Areas Act. En Afrique du Sud, l’agriculture de subsistance dans les « bantoustans » reproduisait la force de travail noire, réduisant ainsi le coût de son achat.61 Le sociologue marxiste Harold Wolpe démontre que, dans ce contexte de colonialisme interne, le capitaliste est conscient que la force de travail bon marché (et donc, comme je le soutiens, la plus-value) est produite dans la sphère de la reproduction. Or, cet argument peut être énoncé, au-delà du contexte colonial sud-africain, pour toutes les formes du travail de reproduction. Comme le souligne Cleaver, « le capital peut atteindre des taux de plus-value plus élevés s’il arrive à déplacer le fardeau des besoins reproductifs de la classe ouvrière de la production marchande au travail domestique. »62 Ce processus doit certainement être compris au-delà de la simple production de valeur et spécifiquement en tant que contribution à des taux plus élevés d’extraction de plus-value pour le capital, ce qui démontre pourquoi le travail de reproduction au sein des « bantoustans » devrait être considéré comme « productif » – même indirectement. Par conséquent, contrairement à ce qu’affirme la sociologue Carmen Teeple Hopkins, le travail domestique non rémunéré a un effet sur et est affecté directement par l’évolution du prix de la force de travail directement productive sur le marché.63

Compte tenu de cette reformulation de la plus-value, la distinction entre productif/improductif doit également être rethéorisée. Certain·e·s, comme Antonio Negri, affirment qu’il faut se débarrasser complètement de cette distinction.64 D’autres, comme Harvie lui-même, tentent d’élargir le travail productif pour inclure tout le travail qui produit et reproduit pour le capitalisme; la lutte pour rendre un tel travail improductif fait partie de la lutte contre le capitalisme lui-même.65

Cela dit, je propose de considérer une troisième approche, qui fait une distinction tripartite entre le travail « directement » productif, le travail « indirectement » productif et le travail improductif.66 Le premier correspond bien à la définition plus traditionnelle du travail productif. D’un autre côté, le concept de travail indirectement productif suggère l’existence d’un travail qui contribue à la production de plus-value sans être directement extrait par le capitaliste.67 Étant «indirect », il nous indique la manière dont la plus-value est cachée dans relation de reproduction avec le travailleur productif. Le travail improductif68, par conséquent, comprendrait tout travail qui n’a pas été fait pour produire pour le capital ou qui a refusé/résisté aux formes de production et de reproduction capitalistes.69  En faisant ces distinctions, il devient alors plus facile de concevoir une centralisation théorique de la sphère de la reproduction.

Ilustration d’Henri Julien parue le 10 janvier 1878 dans L’Opinion publique, vol. 9, no 2, p. 22

Centrer la reproduction sociale

Avec cette redéfinition, quelques éléments deviennent clairs. Premièrement, il existe une différence entre le travail directement et indirectement productif, mais, bien qu’elle mérite d’être souligné, cette distinction est limitée par le fait que ces deux formes de travail font partie du même rapport social. Il ne vaut pas la peine de renforcer cette distinction: la différence n’équivaut donc pas à une hiérarchie en ce qui concerne les luttes. Deuxièmement, le caractère indirect du travail productif dans le domaine de la reproduction tend à obscurcir davantage le rapport social capitaliste en comparaison au travail directement productif. Cela signifie que les personnes qui luttent dans la sphère de la reproduction doivent également lutter pour que leur travail soit considéré et valorisé sur le plan idéologique en premier lieu. Enfin, ces deux types de travail productif impliquent des moyens différents, bien que chevauchés et complémentaires, de résistance au capitalisme. Cela suggère une convergence possible, par exemple, des luttes syndicales et celles d’autres mouvements sociaux

Théoriquement, on pourrait alors repérer la valeur extraite par les capitalistes sur chaque site où elle est produite, en exposant ainsi la façon dont cela s’opère au sein du rapport social capitaliste.70 Contrairement à ce qu’affirme les contre-critiques, cela ne signifie pas de corroborer les théories ricardiennes de la valeur, par lesquelles il est possible d’additionner différents types de travail dans différents secteurs et de les mesurer les uns par rapport aux autres.71 Au contraire, l’usine elle-même se décentre –étant mieux comprise comme un ensemble de relations sociales à travers la société mobilisée pour le profit par les capitalistes.72

La réarticulation de la théorie de la valeur implique de comprendre que la logique du capitalisme – ou, comme le dit Tronti, de « l’usine sociale » – imprègne la plupart des aspects de la vie. Lorsque les capitalistes achètent la force de travail des travailleur·euse·s, ce sont davantage que les heures travaillées qui sont achetées. Les capitalistes achètent aussi indirectement le travail de toutes les familles qui produisent les travailleur·euse·s, des enseignant·e·s qui les éduquent et des médecins qui assurent leur bonne santé pour le travail.73

Je distingue les endroits où la plus-value est extraite par le capital et où elle est produite afin de démontrer comment les flux de travail capitalistes s’opèrent en pratique. Tandis que la plus-value peut être extraite d’un seul nœud, ce sont des relations sociales au sein de la société (au sein de la communauté, des diverses institutions et des maisons) qui permettent à cette valeur produite dans l’usine sociale de circuler. Comprendre que la plus-value est produite avant d’être extraite nous oblige à centrer la sphère de la reproduction sociale dans notre compréhension du fonctionnement de capitalisme.

Cela n’est pas dû à une hiérarchie des luttes ou à une perte d’importance du travail en usine74, mais au fait que ces relations sociales sont doublement obscurcies. Ces relations sociales sont non seulement cachées par le capitalisme en tant que tel, elles sont également masquées par le fait que le travail qui leur correspond n’est pas rémunéré et donc pas officiellement reconnu comme tel.75 Centrer la reproduction sociale nous permet de défier l’exploitation et d’autres formes d’oppression en même temps. Vue de cette façon, la totalité de l’usine sociale, telle que réarticulée ci-dessus à partir du « point zéro » (les cuisines, chambres et maisons), se recentre comme un site potentiel de résistance au capitalisme.76

Cette reformulation a donc une fonction politique: d’une part, elle démontre que le capital a intérêt à coopter et à gérer toutes les formes de travail qui génèrent de la valeur et, d’autre part, elle implique que les personnes qui résistent au capitalisme doivent être capables de comprendre comment le capital utilise et profite de ce travail.  Comprendre comment et où créer des obstacles à la circulation de la valeur produite pour l’extraction et réorienter la production de valeur au-delà de tels objectifs est une priorité pour théoriser la résistance aujourd’hui. Dans l’évaluation des stratégies d’actions anticapitalistes, nous devons aussi considérer si ces actions empêchent la poursuite de la production et de la circulation de la plus-value pour le capital.

Recentrer la lutte antisystémique

En cherchant une alternative à l’économie politique bourgeoise, les marxistes orthodoxes ont créé une nouvelle forme de positivisme brut sous la grille d’analyse du « socialisme scientifique ». Toutefois, contester cette position implique plus que de revenir à une fidélité stricte envers Marx.

Une alternative a été de remettre en cause les prétentions marxistes à l’universalisme: même si elle est basée sur des abstractions réelles, la méthode de Marx ne peut jamais saisir complètement la diversité complexe par laquelle le capitalisme opère à travers le monde. Les nouvelles approches de refonte du marxisme ont cherché à aller au-delà de l’hypothèse selon laquelle le matérialisme scientifique peut articuler l’essence du capitalisme. C’est, par exemple, la méthode appliquée au sein des études subalternes, comme en témoigne Dipesh Chakrabarty dans Provincialiser l’Europe, et par la tradition radicale noire, comme c’est le cas de Cedric Robinson dans Black Marxism.77

Bien que je partage beaucoup d’affinités avec cette approche, le but de cet article est d’accepter, du point de vue de la tradition marxiste libertaire, la théorie de la plus-value de Marx en utilisant ses propres catégories d’analyse (prenant ainsi ce projet universaliste pour acquis). À partir de cela, j’ai tenté de retravailler la théorie de la valeur de Marx de telle sorte qu’elle soit ramenée en dialogue avec les luttes contre le capitalisme réellement existantes.

Réévaluer où la plus-value est produite a centré la sphère de la reproduction comme un espace de lutte important car, sans elle, l’extraction par le capital ne peut tout simplement pas avoir lieu. Si, dans l’ancienne conception, la perturbation de la production de plus-value pouvait seulement se produire sur le site d’extraction (par exemple, au sein de l’usine), cette nouvelle formulation saisit que la plus-value extorquée aux travailleur·euse·s est produite et peut donc être contestée et perturbée dans toutes les sphères du travail capitaliste. Cela donne lieu à au moins trois axes qui s’entrecoupent pour conceptualiser la lutte anti-systémique: (a) combiner les luttes dans toutes les sphères de production de valeur par le biais du syndicalisme de transformation sociale, (b) perturber la production de plus-value à différents niveaux de la société et, enfin, (c) construire des alternatives qui opèrent contre la production de valeur pour le capital.

(A) Relier la chaîne de production de valeur

Le décentrement de la production de plus-value opéré par les féministes autonomes a la capacité d’éclairer le lien entre les mouvements sociaux et les luttes syndicales. Si la « ménagère » produit bel et bien, en tant que travailleuse non rémunérée, la valeur qui est ensuite extraite par le capital, le syndicalisme de transformation sociale ne doit pas la traiter comme une simple membre de l’organisation; il devrait plutôt centrer le mouvement de grève au sein des maisons et des communautés ouvrières. Ce faisant, le pouvoir des grèves et des autres actions est renforcé – elles forcent le capital à lutter contre l’arrêt du travail et l’interruption de la plus-value sous plusieurs angles.

Par exemple, l’Afrique du Sud a une longue histoire de ce type de luttes, qui ont spécifiquement été menées par les travailleur·euse·s domestiques non rémunéré·e·s. Au cours des années 1960, les boycotts bien connus de Simba Chips et de Colgate ont été synchronisés avec avec des grèves dans ces usines. Comme le fait remarquer Camalita Naicker, ce sont les femmes qui étaient « au centre de ces activités et [qui prenaient] des décisions concernant quels effets domestiques acheter et où les acheter. Elles sont certainement celles qui gardent les boycotts en vie »78.

Les boycotts sont, bien sûr, liés à l’autre côté de la sphère productive, où l’objectif collectif est de perturber la circulation des marchandises qui permettent la réalisation de la plus-value extraite en profit. Cela dit, ce n’est pas un hasard que les femmes, qui décident quoi acheter dans le cadre de leur travail reproductif à la maison, aient historiquement mené la plupart des boycotts. En ce sens, lorsque les femmes s’approprient les mouvements de grève et de boycott, elles reconnaissent la centralité de leur propre travail, qui relie la consommation de marchandises à la maison et coordonne (en en faisant souvent les frais) l’arrêt du travail des divers membres de la famille. Cette reconnaissance du pouvoir de la sphère de la reproduction se produit généralement sans référence explicite à la plus-value; cela dit, leur compréhension de la centralité de leur travail dans la réalisation du profit et la reproduction des travailleur·euse·s d’usine est claire.

Une reconnaissance similaire était également en jeu lors de la grève des mineurs sud-africains de Marikana en 2012. Alors que les travailleurs de Lonmin, qui étaient principalement des hommes, ont déclenché une grève sauvage, le mouvement s’est transformé, dans le shack settlement de Nkaneng, en une grève générale qui incluait les femmes et les enfants salarié·e·s et non-salarié·e·s, les commerçant·e·s informel·le·s et les opérateur·trice·s de taxis minibus. L’association de femmes Sikhala Sonke nourrissait non seulement les grévistes qui occupaient une colline voisine, mais elles menaient également leurs propres actions, telles que l’arrêt du commerce local et l’organisation de marches des femmes contre la brutalité policière.79

De même, lors de la grève des travailleur·euse·s agricoles du Cap-Occidental de l’Afrique du Sud, en 2012-2013, des protestations liées aux enjeux des salaires et des prestations de service ont fait irruption dans des communautés entières. Bloquant les routes, les manifestant·e·s ont même convaincu les petit·e·s commerçant·e·s et les propriétaires de minibus de rejoindre la protestation, ce qui a compliqué l’accès des autres travailleur·euse·s aux fermes. Les femmes ont joué un rôle clé dans l’élargissement de la grève pour y inclure des enjeux liés à la reproduction sociale, tels que le logement et la prestation de services. Lorsque les syndicats officiels ont tenté de mettre fin à l’arrêt de travail, ce sont les pauvres et les chômeur·euse·s – c’est-à-dire celleux qui font du travail de reproduction sociale – qui ont refusé de suivre la ligne, faisant pression sur les travailleur·euse·s agricoles pour maintenir la grève.80

Comme dans le cas des boycotts, ces actions communautaires se sont appuyées sur la reconnaissance que les grèves de la reproduction sociale empêchent la force de travail d’atteindre le site d’extraction de la plus-value (par exemple, la mine ou la ferme). La perturbation du fonctionnement des transports publics, la fermeture des entreprises locales ainsi que l’organisation de base dans les communautés menée par les femmes impliquaient de dépasser la simple question de la grève au lieu de la production. Cela impliquait plutôt la reconnaissance par les travailleur·euse·s que le travail reproductif dans la communauté a de la valeur pour le capital. En particulier, les opérateur·trice·s de taxi et les commerçant·e·s informel·le·s devraient également être considéré·e·s comme des fournisseur·euse·s de services reproductifs, comme iels font circuler la plus-value incarnée par les travailleur·euse·s directement productif·ve·s. Sans ces services, les briseur·euse·s de grève devraient effectuer elleux-mêmes davantage de travail reproductif afin d’atteindre le point d’extraction à la mine ou à la ferme. En d’autres mots, ces grèves générales contribuent à la perturbation du flux de plus-value.

Comme les femmes sont, suivant Federici, particulièrement opprimées et exploitées dans la sphère de la reproduction sociale, la maison et la communauté constituent un espace particulièrement efficace pour organiser la résistance en perturbant la production de plus-value.81 Ce que ces luttes ont en commun, ce qui leur a permis de faire pression à la fois sur le capital et sur l’État pour les obliger à négocier, c’est leur mise en relation de différents sites de production de plus-value. Dans tous ces cas, c’est la pression combinée d’une grève dans les sphères de la production et de la reproduction, et pas seulement l’arrêt du travail par les travailleur·euse·s « productif·ve·s », qui a finalement forcé la main du capital.

Ilustration d’Henri Julien parue le 10 janvier 1878 dans L’Opinion publique, vol. 9, no 2, p. 22

(B) Perturber la production de plus-value

Même là où le syndicalisme de transformation sociale ne mène pas les luttes, le concept de nouveaux mouvements sociaux a été utilisé pour comprendre la prolifération des luttes extérieures à l’usine et basées dans les communautés. Celles-ci sont souvent menées par des femmes qui ont mis l’emphase sur des enjeux de reproduction sociale comme le logement et la prestation de services. Alors le marxisme orthodoxe avait tendance à reléguer ces enjeux à la périphérie, centrer la sphère de la reproduction – le « point zéro »82 – peut démontrer comment la perturbation de la production de valeur exerce une pression sur l’extraction de la plus-value. Un exemple général devrait suffire pour illustrer ce point de vue.

Le blocage routier est une tactique de protestation commune aux pauvres et aux sans-emplois du monde entier. Comme l’explique Anne Harley, « ces tactiques sont fonctionnellement équivalentes à l’arrêt du travail des travailleur·euse·s d’usine… Au lieu d’arrêter directement la production, iels arrêtent les entrées et les sorties de la production »83. Son article fait spécifiquement référence aux luttes des piqueteros sans-emplois en Argentine et au mouvement de shackdwellers Abahlali baseMjondolo en Afrique du Sud. Ces deux mouvements utilisent des blocages routiers pour perturber le fonctionnement normal des sociétés capitalistes. Le blocage routier peut non seulement saper la production en usine et empêcher les marchandises d’être livrées au marché, il peut également empêcher les enfants d’aller à l’école, créer des pénuries de nourriture et empêcher les travailleur·euse·s de se rendre au travail.84 En d’autres mots, le blocage routier agit spécifiquement pour perturber la reproduction sociale en mettant un bâton dans les roues de la production de plus-value.

C’est pourquoi le blocage routier (et, similairement, la barricade) est devenu un puissant outil de résistance dans plusieurs sociétés, notamment en Amérique Latine.85 En Bolivie, Raquel Gutiérrez Aguilar a documenté leur utilisation extensive par les mouvements Aymara, non seulement pour rendre leur lutte visible, mais aussi pour perturber le fonctionnement normal de l’État et de l’économie capitaliste, tout en jetant les bases de l’affirmation de l’autonomie autochtone.86 Plus récemment encore, le blocage routier est devenu l’un des outils de protestation les plus puissants du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis d’Amérique.87

Cette tactique peut être particulièrement efficace si elle ne se limite pas à cibler un secteur d’entreprise précis, mais tente plutôt de forcer des concessions du capital en général et de ses représentant·e·s au gouvernement. En empêchant la circulation générale des marchandises, elle perturbe la réalisation systématique de la plus-value en tant que profit. Ainsi, ce faisant, elle entrave la consommation de ces marchandises, ce qui affecte la sphère de la reproduction et rend également difficile la reproduction de la force travail dans les espaces ciblés. De plus, en perturbant le cours normal des processus de reproduction sociale, comme faire son épicerie, aller à l’école ou se rendre au travail en transport en commun, elle exerce une pression importante sur le gouvernement, qui doit intervenir pour prévenir les effets plus larges que pourraient avoir sur l’économie une baisse de la production, de l’extraction et de la circulation de la plus-value.

Alors que le blocage routier affecte plusieurs des différentes sphères du processus de la production, sa base tend à se composer de travailleur·euse·s de la sphère de la reproduction sociale, qui reconnaissent que leur position de producteur·trice·s de valeur pour le capital au sein des communautés leur permet d’avoir des effets économiques significatifs sur toutes les sphères capitalistes, et non seulement celle du travail formel. En d’autres termes, une grève en usine peut interrompre l’extraction de la plus-value en un point précis; un blocage routier peut avoir des effets beaucoup plus larges, au-delà de ce nœud spécifique. Cette pression des mouvements basés sur la reproduction sociale peut avoir un effet percutant sur la société, en obligeant même les économies les plus fortes et leurs gouvernements à céder aux demandes des manifestant·e·s.

Bien que le blocage routier puisse être particulièrement perturbateur, d’autres stratégies foisonnent: de la baisse générale des taux de natalité depuis les années 7088, au refus politique des femmes de procurer du plaisir sexuel – considéré comme une forme de travail – à leurs maris89, en passant par la grève générale des femmes de 1975 en Islande, qui a interrompu, partout à travers le pays, les formes de travail non rémunéré et rémunéré.90 Une telle pression émanant principalement de la sphère de la reproduction peut parfois être suffisamment forte pour forcer des concessions importantes de la part des capitalistes et des gouvernements. Comprendre la pertinence de ces luttes en dehors de l’usine est donc essentiel pour rationaliser leur force politique.

En même temps, une telle approche a ses limites, en particulier sur une période étendue. Comme le souligne Federici, « le travail de reproduction est important pour la poursuite de la lutte des classe… si nous refusons complètement de le faire, nous risquons de nous détruire et de détruire les personnes dont nous prenons soin. »91 Ainsi, de telles stratégies de perturbation ne peuvent être qu’une stratégie partielle de résistance. Le refus de produire de la plus-value doit s’accompagner de la mise en oeuvre, au sein de la sphère de la reproduction, d’un travail « improductif » qui se dissocie explicitement des chaînes de marchandises capitalistes.92

Ilustration d’Henri Julien parue le 10 janvier 1878 dans L’Opinion publique, vol. 9, no 2, p. 22

(C) La reproduction et les « communs »

Les luttes de perturbation, qui exigent des concessions et des réformes du système capitaliste, ne sont pas suffisantes pour la résistance. Comme, suivant l’explication de l’historien marxiste Peter Linebaugh, « la reproduction précède la production sociale »93, l’extraction de la plus-value ne peut pas se produire sans sa production par le travail des femmes dans la sphère de la reproduction. Théoriser la reproduction comme « point zéro » de la production de plus-value à une distance temporelle du site de son extraction nous oblige à penser des stratégies à long terme de refus de travailler pour le capitalisme. Compte tenu de l’histoire terne des tentatives de révolution centrées sur l’État94, des alternatives ont émergé avec le concept de « communs »: des biens matériels ou immatériels détenus en commun par des groupes de personnes. Comme l’a démontré Linebaugh, les communs ont existé tout au long de l’histoire – en particulier au sein des luttes contre l’accumulation de capital par les enclosures.95 En pratique, et avec une efficacité variable, la reproduction des communs peut prendre la forme d’une ferme urbaine commune à New York, une cuisine coopérative comme les « communes ola » au Pérou ou encore une réorganisation d’un quartier afin de mettre en place une gestion collective du travail ménager et de la garde et du du soin des enfants.96

Le but ultime – même s’il n’est pas explicite – est la reproduction de la vie pour elle-même plutôt que dans l’intérêt du capital. Les zapatistes, par exemple, ont utilisé les traditions communautaires autochtones et le pouvoir collectif de leurs membres (qui seraient autrement de plus en plus exploité·e·s dans les fermes capitalistes ou dans les usines de maquiladora) pour occuper les terres et faire pousser de la nourriture pour leur propre consommation interne, dispenser des services d’éducation et des soins de santé gratuits dans les villages et créer des organisations coopératives de production de café, ainsi que d’artisanat et d’autres produits pour les consommateur·trice·s non zapatistes.97 Cela a simultanément protégé les membres de la famine liée aux conditions économiques précaires de l’ALENA après 1994, tout en les isolant des conditions de travail abusives et oppressives ayant cours en dehors de leurs communautés collectivement organisées. Au lieu de créer de la plus-value en reproduisant la ferme ou l’usine capitalistes, iels ont défendu les pratiques communautaires autochtones tout en construisant des communautés entières dissociées de ce processus.

La conséquence politique et économique de cela est que, chez les zapatistes, ni les sites de la production, ni ceux de la reproduction produisent de la plus-value significative pour les capitalistes; en d’autres mots, la fonction principale de leurs communautés n’est pas de constituer une armée de réserve de travailleur·euse·s pour le capital. Au contraire, iels reproduisent du travail et des travailleur·euse·s improductif·ve·s, ainsi que les services et les biens qui ont une valeur sociale collective pour leurs communs collectifs.98 Penser la plus-value de cette manière ne permet pas de saisir les taux d’exploitation, mais nous permet effectivement de voir quels types de valeur sont produits à travers diverses relations sociales. Cela nous oblige à engager directement des formes d’organisation communales anticapitalistes qui refusent les relations sociales capitalistes.

Cependant, cela ne signifie pas que tous ou même que la plupart des communs soient des sites de résistance. Par exemple, les fermes urbaines, en particulier lorsqu’il y a un effondrement dans le marché de la distribution alimentaire, peuvent exister assez confortablement comme rempart pour d’autres relations sociales capitalistes. C’est pour cette raison que Dalla Costa et James émettent un avertissement.

« La question n’est pas d’avoir des cantines communales. Nous devons nous rappeler que le capital fait d’abord la Fiat pour les travailleur·euse·s, puis ensuite leur cantine. Pour cette raison, exiger une cantine communale dans le quartier sans intégrer cette revendication à une pratique de lutte contre l’organisation du travail et contre le temps de travail risque de donner l’élan à un nouveau saut qui, au niveau de la communauté, ne ferait qu’enrégimenter nulles autres que les femmes dans un travail attrayant pour que nous ayons ensuite la possibilité, à l’heure du dîner, de manger de la merde collectivement à la cantine. »99

En d’autres mots, des « modes de production » collectifs et apparemment anticapitalistes peuvent paradoxalement être au service du capital en créant des modes plus efficaces et invisibles de reproduction des travailleur·euse·s pour le capital. C’est le résultat de la fameuse thèse d’Harold Wolpe de 1972 « Capitalism and Cheap Labour Power in South Africa »: la subsistance et mêmes les modes d’organisation collective radicalement égalitaires peuvent avoir pour effet de reproduire les travailleur·euse·s afin que le capital puisse extraire plus de valeur en payant des salaires inférieurs aux coûts normaux de la reproduction. En effet, certains secteurs du capital le savent très bien et cherchent donc spécifiquement, dans de nombreux cas, à maintenir des formes de reproduction communales non rémunérées en dehors de l’État – obscurcissant ainsi son importance en tant que travail producteur de plus-value.

Cette manière de considérer l’organisation sociale est aussi la raison d’être de l’intérêt récent de l’économie orthodoxe pour le capital social et les économies du don. Les économistes ont tenté de démontrer que les communs peuvent « orienter leur production vers le marché. »100 Notre praxis doit donc relier conceptuellement la lutte pour les communs à l’enjeu de la perturbation de la production de plus-value. « Communiser » peut seulement être anti-systémique lorsque la reproduction se produit pour elle-même, plutôt que pour le capital.101

En d’autres termes, la lutte pour les communs doit simultanément se constituer en lutte pour rendre toutes les formes de travail « improductives » et perturber les flux de plus-value. Federici nous enjoint donc à « démêler les aspects du travail domestique qui nous reproduisent de ceux qui reproduisent le capital ».

Poussée à sa conclusion logique, l’analyse selon laquelle la plus-value est d’abord produite sur le site de la reproduction nous oblige à repenser toute notre conceptionde la lutte révolutionnaire. Au lieu d’un changement systémique compris comme prise du pouvoir de l’État par un parti qui représente la classe ouvrière, la révolution est reconceptualisé comme la préfiguration d’une société plus juste à travers une réorganisation de la reproduction en dehors de l’exploitation capitaliste, tout en perturbant, en même temps, les relations sociales qui extraient de la valeur du travail des êtres humains. C’est précisément à travers ce débat sur la (re)production du capitalisme que la résistance peut être réarticulée au service de la lutte pour une société alternative.

Conclusion

L’histoire démontre que la lutte contre l’aliénation et l’exploitation ne se déroule pas seulement au sein de l’usine productive – aussi importante soit-elle. La résistance se matérialise aussi à la maison, au sein de l’usine sociale et à travers toute la société en général. Quand bell hooks affirme que la maison est un lieu de résistance, elle ne fait pas abstraction de la maison comme espace d’exploitation et d’oppression. Elle raconte avoir grandi dans une maison où c’est sa mère, plus que son père, qui a imposé la discipline patriarcale et les normes de genre dans le processus de reproduction de la famille ouvrière.102 En réfléchissant à son passé par elle-même, elle est capable de comprendre ce processus sans la lentille de la critique de l’économie politique marxiste. Comme sa propre expérience de compréhension, les luttes sur le site de la reproduction passées n’ont pas nécessairement eu besoin de la théorie marxiste pour légitimer leur validité.

Repenser la théorie de la valeur de Marx devient un outil utile pour ces luttes précisément parce que cela permet de relier les expériences oppressives mises de l’avant par bell hooks et d’autres féministes au fait qu’elles sont simultanément une forme d’exploitation économique pour le capital. Ce faisant, on ne critique pas seulement le fait que plusieurs marxistes ont – tout comme leurs homologues pro-capitalistes – obscurci la valeur du travail ménager non rémunéré; on ouvre également la voie à de nouvelles façons de concevoir les flux de la plus-value au sein du système capitaliste et les modes d’action collective par lesquels il est possible d’y résister.

Les pauvres en milieux urbains (souvent sans domicile fixe) sont également devenu·e·s des acteur·trice·s radicaux·les clés, comme la majorité de l’humanité a migré vers les villes. Bien qu’une grande partie de cette sous-classe travaille de longues heures dans les usines, plusieurs vivent et travaillent de manière beaucoup plus précaire. À la suite de l’urbanisation propre à la dépossession capitaliste, l’occupation de la terre et la résistance aux expulsions réaffirment la maison comme principal site de résistance, auquel s’attache de nouvelles stratégies de perturbation de la production de valeur pour le capital. Ces formes de lutte peuvent donc être considérées comme des actes de « communisation rebelle ». Elles confirment non seulement l’insistance de bell hooks sur la maison, mais elles justifient aussi le recentrement féministe autonome de la théorie de la valeur-travail au sein de la sphère de la reproduction. Ainsi, les pauvres en milieux urbains, dont les luttes sont généralement prédominées par des femmes, revigorent la théorie – comme le regain d’intérêt pour la théorie de la valeur de Marx, dont le travail de personnes comme Silvia Federici témoigne.

Beaucoup de luttes actuelles pour la transformation sociale sont nourries par une gamme diversifiée de nouvelles théories de gauche. Briser l’emprise qu’avait jadis le marxisme orthodoxe sur l’action politique et se concentrer théoriquement sur la sphère de la reproduction dans la construction de la résistance au capitalisme a été essentiel à la diversité croissante de la pensée réflexive au sein de bon nombre de ces luttes. Celles-ci ont prises de nombreuses formes – du syndicalisme de transformation sociale aux luttes de perturbation revendiquant des concessions de la part de l’État et du capital, en passant par les mouvements territoriaux larges pour la construction de nouveaux communs. Le but de cet article a été de repenser la manière dont nous comprenons la théorie de la valeur de Marx pour qu’elle puisse être remise en conversation avec les théories animant des mouvements sociaux qui ne sont pas nécessairement « marxistes ». De nouveaux concepts, qui soulignent la valeur dans l’espace de la reproduction sociale, en particulier à travers la différenciation entre où elle est produite et où elle est extraite, ont la capacité d’influencer ces luttes – mais seulement si la relation est réciproque, comme les pratiques féministes autonomes l’ont toujours exigé. Que cela fasse donc partie d’un appel aux possibles de cette convergence.

Traduit de l’anglais par Éloi Halloran.

Article paru dans Interfacevolume 11 (2019).

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1. [Traduction libre] Mary Inman, « The Role of the Housewife in Social Production », dans In Woman’s Defense, Los Angeles, The Committee to Organize the Advancement of Women, 1940. Publié en ligne par Viewpoint Magazine : https://www.viewpointmag.com/2015/10/31/the-role-of-the-housewife-in-social-production-1940/ 

2. [Traduction libre] bell hooks, Yearning: Race, Gender and Cultural Politics, Boston, South End Press, 1990, p. 47 

3. [Traduction libre] Le terme « idéologies vivantes » cherche à reformuler la « politique vivante », qui « vient du peuple et reste avec le peuple », telle que théorisée par S’bu Zikode en une expression d’idées, de croyances et de concepts émanant d’espaces de lutte non institutionnels. (« The Politic of Land and Housing », Abahlali baseMjondolo, 11 février 2011, http://abahlali.org/node/7791/) C’est une réorientation importante de la façon dont nous comprenons la source de la théorie. Comme le dit Robin Kelley, « des rêves révolutionnaires ont surgi de l’engagement politique; les mouvements sociaux collectifs sont des incubateurs de nouvelles connaissances ». (Freedom Dreams: The Black Radical Imagination, 2002, p. 8)  

4. Dans certaines autres versions du marxisme, la primauté du travailleur d’usine a été remplacée par celle du travailleur productif – une catégorie plus large qui maintient néanmoins la même hiérarchie par rapport au domaine de la reproduction. Bien que mon analyse se concentrera sur la première catégorie par souci de simplicité, la critique reste applicable à cette catégorie plus large. 

5. Bien qu’il maintienne la distinction globale productif/improductif, il convient de noter que Marx critique longuement certains éléments de la définition du travail productif d’Adam Smith dans Théories sur la plus-value. (Livre IV du Capital), Paris, Éditions sociales, p. 63-161. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Theories-sur-la-plus-value-T1.pdf 

6. Marx était assez clair sur le fait que sa méthode était une critique de l’économie politique plutôt qu’une tentative d’en créer une nouvelle. Voir par exemple le texte  de Cyril Smith, « Friedrich Engels and Marx’s Critique of Political Economy », Capital & Class, 62, 1997, p. 123–142.  https://libcom.org/library/engels-and-marx-critique-political-economy-cyrilsmith

7. Karl Marx, Le Capital. Livre 1, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 87. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf

8. J’utilise ici le genre masculin de manière ironique parce que la théorisation des travailleur·euse·s industriel·le·s en tant qu’hommes a une longue histoire dans le marxisme. Cela a joué un rôle important dans la dissimulation du rôle central des femmes dans la montée en puissance de l’usine et leur relégation éventuelle dans la maison avec la  fabrication de la famille nucléaire – bien que Marx, dans Le Capital, et Engels, dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, écrivent tous les deux, de manière limitée, sur ce processus. Par la suite, à moins d’exprimer un principe politique explicite sur le genre d’une personne, j’utilise les pronoms « leur », « iels » et « elleux » pour désigner également un individu sans assumer le genre de cette personne. « Lui/elle » est insuffisant parce que beaucoup de gens ne se retrouvent pas dans de telles binarités de genre. 

9. Karl Marx, Le Capital. Livre 1, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 222. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf

10. Karl Marx, Le Capital. Livre 1, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 242. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf.  

11. Karl Marx, Le Capital. Livre 1, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 259. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf.

12. Karl Marx, Le Capital. Livre 1, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 647-648. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf 

13. Karl Marx, Un chapitre inédit du Capital, Paris, Union générale d’Éditions, 1971, 320 p. http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/capital_chapitre_inedit/capital_chapitre_inedit.html

14. Karl Marx, Théories sur la plus-value. (Livre IV du Capital), Paris, Éditions sociales, p. 161. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Theories-sur-la-plus-value-T1.pdf 

15. Karl Marx, Théories sur la plus-value. (Livre IV du Capital), Paris, Éditions sociales, p. 167. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Theories-sur-la-plus-value-T1.pdf

16. Marx utilise le terme reproduction de deux manières: la reproduction de la force de travail (Livre I du Capital) et la reproduction du capital (Livre II du Capital). Cet article se concentre sur la première et la « sphère de la reproduction » fait ici référence à la sphère de la reproduction des travailleur·euse·s. 

17. David Harvie, « All Labour Produces Value For Capital And We All Struggle Against Value », The Commoner, 10, 2005, p.135–136. https://www.researchgate.net/publication/27247548_All_labour_produces_value_for_capital_and_we_all_struggle_against_value

18. Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, Paris, Les Éditions Sociales, 1950. http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_friedrich/socialisme_scientifique/socialisme_scientifique.html

19. [Traduction libre] Heather Brown, Marx on Gender and the Family: A Summary, Monthly Review, 66 (2), 2014. https://monthlyreview.org/2014/06/01/marx-on-gender-and-the-family-a-summary/

20. Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, Paris, Les Éditions Sociales, 1952. http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_friedrich/socialisme_scientifique/socialisme_scientifique.html

21. Ernest Mandel, La formation de la pensée économique de Karl Marx, Paris, François Maspero, 1982, p. 22-23. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k48010535.texteImage.

22.[Traduction libre] Ian Gough, « Marx’s Theory of Productive and Unproductive Labour », New Left Review, I (76), 1972, p. 71-72. https://newleftreview.org/I/76/iangough-marx-s-theory-of-productive-and-unproductive-labour

23. John Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir. Le sens de la révolution aujourd’hui, Montréal-Paris, Lux-Syllepse, 2007, p. 188 

24. Karl Marx, Théories sur la plus-value. (Livre IV du Capital), Paris, Éditions sociales, p. 161. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Theories-sur-la-plus-value-T1.pdf ; Karl Marx, Le Capital. Livre 1, Paris, Presses universitaires de France, 1993, 1008 p. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf

25. Voir, par exemple, l’histoire de la  lutte des Lowell Mill Girls dans Harriet Robinson, Loom and Spindle: or, life among the early mill girls, Boston-New York, Thomas Y. Crowell & Company, 1898, 216 p. https://ia802708.us.archive.org/3/items/loomspindleorlif00robi/loomspindleorlif00robi.pdf. 

26. Manuel Castells, The City and the Grassroots: A Cross-Cultural Theory of Urban Social Movement, Berkeley, University of California Press, 1983, 450 p. ; Kristin Ross, The Emergence of Social Space: Rimbaud and the Paris Commune, New York, Verso Books, 2008, 170 p. 

27. Voir Silvia Federici et George Caffentzis, « Notes on the Edu-Factory and Cognitive Capitalism », dans The Edu-factory Collective, Toward a Global Autonomous University, New York, Autonomedia, 2009,  p. 125-131.  https://libcom.org/library/towards-global-autonomous-university-edu-factory-collective.  Un éclaircissement supplémentaire peut être nécessaire ici. Même si les marxistes orthodoxes avait tendance à centrer la discussion sur le travail productif sur le travailleur d’usine masculin, la catégorisation de Marx est également valable pour tous les travailleurs qui sont productifs même s’ils ne travaillent pas à l’usine. Cela dit, bien que les catégories abstraites de Marx peuvent être étendues théoriquement au-delà de l’usine ainsi qu’aux femmes qui effectuent du travail productif dans un lieu de travail, la plupart des marxistes et Marx lui-même ont, au fil des ans, centré leur analyse empirique et théorique sur le travailleur d’usine masculin. 

28. Silvia Federici, Point zéro: propagation de la révolution, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2016, p. 147. 

29. Karl Marx et Friedrich Engels, « Lettre de Karl Marx à Ferdinand Lassalle », Correspondance. Tome V, Paris, Éditions sociales, 1975, p. 143. 

30. [Traduction libre] Cyril Smith, « Friedrich Engels and Marx’s Critique of Political Economy », Capital & Class, 62, 1997, p. 123-124. https://www.marxists.org/reference/archive/smith-cyril/works/articles/engels.htm. Dans ce même article, Smith ajoute que « la raison de ces controverses n’est pas tant les différentes manières dont le travail d’Engels lui-même a été interprété, mais le fait que la tradition marxiste a fondamentalement mal compris ce que Marx a essayé de faire avec la critique de l’économie politique qu’il a mené toute sa vie. Je soutiens que, même après toutes ces années, les idées fondamentales de Marx n’ont pas vraiment encore été saisies et que, malgré tout son dévouement à l’œuvre de Marx, ce malentendu théorique a commencé avec Engels lui-même. » 

31. [Traduction libre] Selma James, Sex, Race and Class: The Perspective of Winning, Oakland, PM Press, 2012, p. 52 

32. John Holloway,  Changer le monde sans prendre le pouvoir. Le sens de la révolution aujourd’hui, Montréal-Paris, Lux-Syllepse, 2007, p. 190. 

33. [Traduction libre] Simon Mohun, « Productive and unproductive labor in the labor theory of value », Review of Radical Political Economics, 24 (4), 1996, p. 31. 

34. Voir Karl Marx, « Le caractère fétiche de la marchandise et son secret », Le Capital. Livre 1, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 81-95.https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf et John Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir. Le sens de la révolution aujourd’hui, Montréal-Paris, Lux-Syllepse, 2007, p. 195-197. 

35. Karl Marx, Le Capital. Livre 1, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 648. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf

36. Karl Marx, Le Capital. Livre 1, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 641. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf 

37. Karl Marx, Le Capital. Livre 1, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 635. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf. Dans un ouvrage collectif plus récent sur la théorie de la reproduction sociale dirigé par Tithi Bhattacharya, cette dernière affirme plutôt – à la suite de Lise Vogel – que Marx considérait la force de travail comme une marchandise « produite hors du circuit de la production des marchandises » (Tithi Bhattacharya, « Ne pas sécher la classe: la reproduction sociale du travail et la classe laborieuse mondiale », dans Avant 8 heures, après 17 heures. Capitalisme et reproduction sociale, Toulouse, Éditions blast, 2020, p. 123). De même, Carmen Teeple Hopkins, en s’appuyant sur Paul Smith, affirme que la reproduction de la force de travail « a lieu en dehors du mode de production capitaliste » (Carmen Teeple Hopkins, « Reproduction sociale, migration et travail domestique rémunéré à Montréal », dans Tithi Bhattacharya (dir.), Avant 8 heures, après 17 heures. Capitalisme et reproduction sociale, Toulouse, Éditions blast, 2020, p. 205). Cependant, dans leur contribution au même ouvrage, Salar Mohandesi et Emma Teitelman semblent arriver à une autre conclusion, qui souligne la manière dont le travail de reproduction s’est intégré au processus capitaliste: « On peut donc dire que l’histoire du capitalisme peut être comprise comme un processus complexe de subsomption des formes de reproduction sociale sous les rapports capitalistes» (Salar Mohandesi et Emma Teitelman, « Sans rien », dans Tithi Bhattacharya (dir.), Avant 8 heures, après 17 heures. Capitalisme et reproduction sociale, Toulouse, Éditions blast, 2020, p. 102). Toutefois, je pense que ces arguments passent à côté de ce à quoi Marx voulait en venir, soit le fait que la relation capitaliste traverse les frontières imaginaires entre l’usine et la maison, entre le travail rémunéré et le travail non rémunéré – un argument que je reprendrai plus tard dans cet article. 

38. John Holloway,  Changer le monde sans prendre le pouvoir. Le sens de la révolution aujourd’hui, Montréal-Paris, Lux-Syllepse, 2007, p. 172 

39. En raison des limites de cet article, je ne pourrai pas entrer dans les détails et démontrer cette tension. Au lieu, je devrai renvoyer au travail fait par d’autres, en particulier celui de John Holloway et de la tradition plus large du marxisme ouvert. 

40. Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2002, 313 p. http://classiques.uqac.ca/classiques/fanon_franz/damnes_de_la_terre/damnes_de_la_terre.html 

41. Iels ont défini les travailleur·euse·s de manière plus large. Par exemple, dans Les Jacobins noirs, C.L.R. James a soutenu que nous devrions considérer les esclaves haïtien·ne·s comme un prolétariat révolutionnaire, bien qu’iels ne soient pas des travailleur·euse·s « libres ». 

42. Steve Wright, « Mapping Pathways within Italian Autonomist Marxism: A Preliminary Survey », Historical Materialism, 16 (4), 2008, p.111–140. 

43. Leopoldina Fortunati, « Learning to Struggle: My Story Between Workerism and Feminism », Viewpoint Magazine, 15 septembre 2013. https://www.viewpointmag.com/2013/09/15/learning-to-struggle-my-story-between-workerism-and-feminism/ 

44. Mario Tronti, « L’usine et la société », Ouvriers et Capital, Paris, Christian Bourgeois, 1977, p. 60. Disponible en ligne dans son édition française la plus récente: https://entremonde.net/IMG/pdf/entremonde-ouvriers_et_capital-tronti-livre-2-2.pdf. Des économistes marxistes pourraient soutenir que cette interprétation de Marx aplatit la spécificité de la marchandise en tant que porteur de valeur sous le capitalisme. Dans un sens, donc, l’opéraïsme peut aussi être compris comme une critique de l’utilité (au moins, des formes traditionnelles) de l’économie marxiste qui se concentrent sur le calcul de la valeur des marchandises – préférant ainsi voir le travail de Marx moins comme une science qu’un outil politique de lutte. 

45. Il convient de noter que bien avant l’émergence de cette tendance du féminisme, Mary Inman avait fait une critique similaire. Son texte « The Role of the Housewife in Social Production » (1940), publié en 2015 par Viewpoint Magazine, a d’ailleurs été la raison de son expulsion du Parti communiste américain. https://www.viewpointmag.com/2015/10/31/the-role-of-the-housewife-in-social-production-1940/ 

46. [Traduction libre] Il y a eu des débats détaillés à savoir si le travail reproductif produit, en fait, de la valeur ou s’il  produit simplement les travailleur·euse·s productif·ve·s. Alors que Leopoldina Fortunati, dans The Arcane of Reproduction, affirme que la valeur est produite à partir de la sphère de reproduction, Mariarosa Dalla Costa et Selma James, dans Women and the Subversion of the Community, affirment, avec d’autres, qu’il suffit de démontrer que la sphère de la reproduction produit les travailleur·euse·s productif·ve·s. S’inscrivant dans une autre tendance intellectuelle, James a, en particulier, refusé de qualifier son approche de critique de Marx lui-même, notamment dans Sex, Race and Class: The Perspective of Winning. Elle considère plutôt son approche comme une extension de ce que Marx avait, en fait, l’intention de souligner quant à l’importance de la reproduction de la force de travail. Le journal Aufheben a fait une critique brûlante de Fortunati sur ce point, en soutenant qu’elle dénature Marx en affirmant que la force de travail est une marchandise comme toute autre. Ils affirment considérer « la force de travail comme une marchandise spéciale différente des autres » (Aufheben, « The arcane of reproductive production », Aufheben, 13, 2005.  https://libcom.org/library/aufheben/aufheben-13-2005/the-arcane-of-reproductive-production). Maya Gonzalez aborde cette question et la critique d’Aufheben en affirmant leur non pertinence: « si le débat tourne autour de la question de savoir si le travail de reproduction est productif de valeur, nous passons à côté du sujet. » (Maya Gonzalez, « The Gendered Circuit: Reading The Arcane of Reproduction  », Viewpoint Magazine, 2013. https://www.viewpointmag.com/2013/09/28/the-gendered-circuit-reading-the-arcane-of-reproduction/) Pour elle, le problème est que la relation salariale est structurée à la fois en termes de celleux qui sont payé·e·s, mais aussi en termes des travailleur·euse·s non rémunéré·e·s. Tout en sympathisant avec la position de Gonzalez, je soutiens plus loin dans cet article que redéfinir la plus-value pour y inclure la sphère de la reproduction reste pertinent et politiquement utile afin de repenser le marxisme pour le XXIe siècle. C’est précisément parce que ça met de l’avant la plus-value en tant que relation et que ça brise la distinction rigide entre travail productif et reproductif. 

47. [Traduction libre] Selma James, Sex, Race and Class: The Perspective of Winning. A Selection of Writings 1952-2011, Oakland, PM Press, 2012, p. 66 

48. Mariarosa Dalla Costa et Selma James, Women and the Subversion of the Community, Londres, Falling Wall Press Ltd, 1975, p. 23-24. https://libcom.org/library/power-women-subversion-community-della-costa-selma-james ; Leopoldina Fortunati, The Arcane of Reproduction: Housework, Prostitution, Labor and Capital, New York, Autonomedia, 1996, 176 p. https://libcom.org/library/arcane-reproduction-leopoldina-fortunati 

49. [Traduction libre] Sur la revendication féministe de l’accès au marché travail, voir, parmi tant d’autres, Betty Friedan, The Feminine Mystique, New York, W. W. Norton & Company, 2001, 592 p. À noter que, dans cet article, j’emploie le terme « femme » à la manière de James, dans Sex, Race and Class: The Perspective of Winning: « Les femmes agissent en tant que groupe car elles sont traitées comme un groupe ». En d’autres mots, les « femmes » ne sont pas une catégorie essentialiste, mais l’expression d’un rapport social. 

50. Silvia Federici, Point zéro: propagation de la révolution, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2016, p. 146. 

51. Par conséquent, Carmen Teeple Hopkins interprète à tort, dans sa contribution à l’ouvrage collectif Avant 8 heures, après 17 heures. Capitalisme et reproduction sociale, intitulée « Reproduction sociale, migration et travail domestique rémunéré à Montréal », l’argument de Federici concernant la production directe de marchandises par le travail non rémunéré. Il n’est pas nécessaire de produire directement des marchandises ou de la valeur d’échange pour produire de la valeur pour le capital à travers le rapport social capitaliste. 

52. [Traduction libre] Harry Cleaver, « Domestic labor and value in Mariarosa Dalla Costa’s “Women and the Subversion of the Community” (1971) », Austin, University of Texas. https://la.utexas.edu/users/hcleaver/357k/HMCDallaCostaDomesticLaborAndValue.htm 

53. [Traduction libre] David Harvie, « All Labour Produces Value For Capital And We All Struggle Against Value », The Commoner, 10, 2005, p. 132–171. https://www.researchgate.net/publication/27247548_All_labour_produces_value_for_capital_and_we_all_struggle_against_value

54. Techniquement, comme le souligne Cleaver, la valeur n’est pas « produite » comme le sont les marchandises. La valeur est plutôt la comptabilité inhérente à la relation du travail au capital  – c’est notre conceptualisation des flux de travail par rapport au capital. La distinction, par conséquent, entre la production et l’extraction est politiqueen ce qu’elle nous aide à mieux comprendre ces flux analytiquement sans nécessairement les quantifier économiquement.  

55. Voir, par exemple, son utilisation des termes en pages 241-245, 333-335, 371-373, 633-634 et 669-671 du Livre I du Capitalhttps://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf 

56. Karl Marx, Le Capital. Livre 1, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 635. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf. Autrement dit, la sphère de la reproduction peut produire pour le capitaliste même si la relation capitaliste n’est peut-être pas être immédiatement évidente et peut sembler être « non capitaliste » (par exemple, les relations esclavagistes, la subsistance, le travail non rémunéré et communautaire, etc.).  

57. Les travailleur·euse·s ne stockent ou n’incarnent la plus-value que dans un sens conceptuel, car elle n’existe réellement que dans l’ensemble des relations sociales capitalistes. Cela dit, parce que les travailleur·euse·s exploité·e·s directement par les capitalistes peuvent incarner conceptuellement la plus-value, cela implique une certaine relation (patriarcale) d’exploitation entre les travailleur·euse·s domestiques non rémunéré·e·s et ces travailleur·euse·s (généralement des hommes) salarié·e·s. Reconnaître cela a des implications importantes pour savoir si le travailleur masculin peut être considéré comme un exploiteur de travail à part entière

58. Marx ne fait pas cette distinction entre production et extraction de plus-value en ce qui concerne la reproduction de la force de travail. Cependant, dans le chapitre 9 du Livre III du Capital, il dit effectivement qu’en ce qui concerne les différents secteurs de production, la plus-value peut être accumulée dans l’une (où elle est excédentaire) et réalisée dans l’autre (où elle est manquante). Ce n’est pas la même chose que de dire qu’elle est produite dans le domaine de la reproduction et extraite du travail directement productif. Cependant, cela démontre effectivement le point de Marx selon lequel la plus-value est mieux comprise, non pas comme un nombre, mais comme un compte rendu de relations sociales. 

59. Karl Marx, Le Capital. Livre I, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 444. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Le-Capital-Livre-1.pdf 

60. Karl Marx, Le Capital. Livre III, Montréal, Nouvelle Frontière, 1976, p. 172. http://digamo.free.fr/penguin3.pdf 

61. Harold Wolpe, « Capitalism and cheap labour-power in South Africa: From segregation to apartheid », Economy and Society, 1 (4), 1972, p.425–456. 

62. [Traduction libre] Harry Cleaver, « Domestic labor and value in Mariarosa Dalla Costa’s “Women and the Subversion of the Community” (1971) », Austin, University of Texas. https://la.utexas.edu/users/hcleaver/357k/HMCDallaCostaDomesticLaborAndValue.htm 

63. Carmen Teeple Hopkins, « Reproduction sociale, migration et travail domestique rémunéré à Montréal », dans Tithi Bhattacharya (dir.), Avant 8 heures, après 17 heures. Capitalisme et reproduction sociale, Toulouse, Éditions blast, 2020, p. 205. 

64. David Harvie, « All Labour Produces Value For Capital And We All Struggle Against Value », The Commoner, 10, 2005, p. 132. https://www.researchgate.net/publication/27247548_All_labour_produces_value_for_capital_and_we_all_struggle_against_value

65. David Harvie, « All Labour Produces Value For Capital And We All Struggle Against Value », The Commoner, 10, 2005, p. 133. https://www.researchgate.net/publication/27247548_All_labour_produces_value_for_capital_and_we_all_struggle_against_value

66. Ce serait nécessairement une distinction souple qui tendrait vers une approche plus conceptuelle que matérielle. Elle résisterait à l’idée que ces frontières sont rigides et imperméables – que le travail peut incarner simultanément des éléments productifs et improductifs en tension avec une autre. 

67. Marx était clairement contre le fait de considérer ce type de travail comme productif. Suivant Adam Smith, il écrit que le faire « ouvrirait la porte toute grande à des false pretensions [fausses prétentions] au titre de travail productif. » Karl Marx, Théories sur la plus-value. (Livre IV du Capital), Paris, Éditions sociales, p. 185. https://inventin.lautre.net/livres/MARX-Theories-sur-la-plus-value-T1.pdf

68. Bien sûr, cela ne rend pas ce travail « improductif » au sens matériel, mais seulement par rapport au capitalisme. 

69. Je donne des exemples d’une telle résistance à la production de plus-value vers la fin de cette article. Contrairement à l’affirmation de Harvie, « nous » ne luttons pas contre la valeur en général, mais contre la production/extraction de plus-value en particulier, parce que c’est cette dernière qui produit le rapport social capitaliste au sein du système actuel. 

70. Fortunati est parfois raillée pour avoir écrit qu’une mère souriant à son enfant peut être considéré comme un travail qui génère de la valeur. Cependant, la question pertinente est de dans quelle mesure la  « maternité » produit une valeur pour les enfants qui, à un certain moment dans le futur, peut être extraite d’eux. Cela dépend non seulement de l’acte de maternité, mais aussi des circonstances socioéconomiques et de la relation de la mère et de l’enfant avec le présent et l’avenir de la production capitaliste.  

71. David Ricardo, Des principes de l’économie politique et de l’impôt, Paris, Calmann-Lévy, 1970, 349 p. http://classiques.uqac.ca/classiques/ricardo_david/principes_eco_pol/principes_eco_pol.html 

72. La quantification de la plus-value se heurte à un certain nombre de problèmes, notamment le fait que les valeurs ne peuvent pas être fixées ou agrégées – d’où la nécessaire distinction entre la compréhension du rapport social comme un processus qui produit de la valeur et les futiles tentatives ricardiennes de la mesurer. Cela remet également en question les tentatives économicistes d’utiliser la méthode de Marx pour faire la même chose. 

73. Au sein des systèmes d’éducation et de santé « socialisés », les enseignant·e·s et les médecins sont payé·e·s par les impôts sur le profit (la plus-value réalisée). La rationalité capitaliste libérale pour de telles formes d’aide sociale est que cette redistribution des bénéfices finit par produire des travailleur·euse·s plus productif·ve·s et contribuant ainsi à l’extraction de plus de plus-value à long terme. 

74. En effet, malgré la désindustrialisation du Nord global, l’usine est devenue le fait central de l’expérience des travailleur·euse·s dans une grande partie de l’Asie – surtout en Chine. Valoriser la sphère de la reproduction n’implique pas de sous-évaluer cela. 

75. Bien que les capitalistes comprennent souvent la valeur de ce travail non rémunéré, ils sont simultanément intéressés à s’assurer qu’il ne soit pas reconnu comme tel. 

76. Silvia Federici, Point zéro: propagation de la révolution, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2016, 258 p. 

77. [Traduction libre] Le philosophe marxiste Alberto Toscano discute de l’affirmation de Roberto Finelli selon laquelle la méthode d’abstraction théorique de Marx articule la société toute entière, tout simplement parce qu’elle est tirée de l’abstraction réelle du travail sous capitalisme. (Alberto Toscano, « Le fantasme de l’abstraction réelle »,Revue Période, 2015. http://revueperiode.net/le-fantasme-de-labstraction-reelle/). Or, je dirais qu’une telle affirmation ne mène nulle part. Une discussion plus approfondie de cette thèse ne peut pas être le sujet de cet article – il suffit de reconnaître les études subalternes et les critiques noires radicales. Comme Robin Kelley le souligne dans sa nouvelle préface à Black Marxism: « À la longue, Robinson est venu à la conclusion qu’il ne suffit pas de remodeler ou de reformuler le marxisme pour répondre aux besoins de la révolution du tiers monde; il croyait plutôt que toutes les théories universalistes de l’ordre politique et social devaient être rejetées. » (Cedric Robinson, Black Marxism, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2000, p. xvi. https://libcom.org/files/Black%20Marxism-Cedric%20J.%20Robinson.pdf

78. [Traduction libre] Camalita Naicker, Marikana: Taking a Subaltern Sphere of Politics Seriously, Grahamstown, Rhodes University, 2014, p. 54. https://pdfs.semanticscholar.org/3562/98a9d6c4b31f885ec386a237b814186b62d5.pdf 

79. Camalita Naicker, « Worker Struggles as Community Struggles: The Politics of Protest in Nkaneng, Marikana », Journal of Asian and African Studies, 51 (2), 2016, p. 157–170. https://doi.org/10.1177/0021909615605533

80. Rebecca Davis, « De Doorns: Strike continues, in spite of Cosatu », Daily Maverick, 2013. http://www.dailymaverick.co.za/article/2013-01-17-dedoorns-strike-continues-in-spite-of-cosatu/#.V4ueOu3RbQo; Jared Sacks, « Cape winelands: Why the farmworkers defied Cosatu », Daily Maverick, 2012. http://www.dailymaverick.co.za/article/2012-11-16-why-the-farmworkers-defied-cosatu/#.Vu6vyiaM1Qs

81. Silvia Federici, Point zéro: propagation de la révolution, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2016, 258 p. 

82. Silvia Federici, Point zéro: propagation de la révolution, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2016, 258 p. 

83. [Traduction libre] Anne Harley, « The pedagogy of road blockades », Interface, 6 (1), 2014, p. 9. http://www.interfacejournal.net/wordpress/wp-content/uploads/2014/06/Interface-6-1-Harley.pdf 

84. Anne Harley, « The pedagogy of road blockades », Interface, 6 (1), 2014, p. 1–36. http://www.interfacejournal.net/wordpress/wp-content/uploads/2014/06/Interface-6-1-Harley.pdf. Même une perturbation de la logistique dans la sphère productive peut affecter la reproduction au niveau de la communauté. Si les stations-service ou les supermarchés sont vides, la reproduction est perturbée. 

85. Raul Zibechi, Dispersing Power: Social Movements as Anti-state Forces, Oakland, AK Press, 2010, 174 p. https://libcom.org/library/dispersing-power-social-movements-anti-state-forces-raul-zibechi ; Raul Zibechi, Territories in Resistance: A Cartography of Latin American Social Movements, Oakland, AK Press, 2012, 363 p. https://libcom.org/library/territories-resistance-cartography-latin-american-social-movements. 

86. Raquel Gutiérrez Aguilar, Rhythms of the Pachakuti: Indigenous uprising and state power in Bolivia, Durham, Duke University Press, 2014, 336 p. 

87. Emily Badger, « Why highways have become the center of civil rights protest », The Washington Post, 2016. https://www.washingtonpost.com/news/wonk/wp/2016/07/13/why-highwayshave-become-the-center-of-civil-rights-protest/

88. Joseph Chamie, « Opinion: Women on Reproductive Strike », Inter Press Service, 2015. http://www.ipsnews.net/2015/10/opinion-women-onreproductive-strike/

89. Elizabeth Braw, « Nobel Peace Prize Laureate Leymah Gbowee: “Sex Strikes Help Good Men.” », Huffington Post, 2012. http://www.huffingtonpost.com/elisabeth-braw/leymah-gbowee-nobel-peaceprize_b_1561922.html

90. Marina Vishmidt, « Permanent Reproductive Crisis: An Interview with Silvia Federici », Mute, 2013. https://marxismocritico.com/2013/10/30/permanent-reproductive-crisis-an-interview-with-silvia-federici/

91. Marina Vishmidt, « Permanent Reproductive Crisis: An Interview with Silvia Federici », Mute, 2013. https://marxismocritico.com/2013/10/30/permanent-reproductive-crisis-an-interview-with-silvia-federici/

92. Silvia Federici, Point zéro: propagation de la révolution, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2016, p. 226-227 

93. [Traduction libre]Peter Linebaugh, The Magna Carta Manifesto: Liberties and Commons for All, Berkeley, University of California Press, 2009, p. 244. https://provisionaluniversity.files.wordpress.com/2012/12/peter-linebaugh-the-magna-carta-manifesto-liberties-and-commons-for-all-2008.pdf

94. John Holloway,  Changer le monde sans prendre le pouvoir. Le sens de la révolution aujourd’hui, Montréal-Paris, Lux-Syllepse, 2007, 317 p. 

95. Peter Linebaugh, The Magna Carta Manifesto: Liberties and Commons for All, Berkeley: University of California Press, 2009, 376 p. https://provisionaluniversity.files.wordpress.com/2012/12/peter-linebaugh-the-magna-carta-manifesto-liberties-and-commons-for-all-2008.pdf 

96. Silvia Federici, Point zéro: propagation de la révolution, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2016, 258 p. 

97. Ce faisant, ils ont « récupéré » des centaines de milliers d’hectares de terres des latifundistas. Voir Andrej Grubacic et Denis O’Hearn, Living at the Edges of Capitalism. Adventures in Exile and Mutual Aid, Oakland, University of California Press, 2016, 336 p. et Gloria Muñoz Ramírez, The Fire and the Word. A History of the Zapatista Movement, San Francisco, City Lights Publishers, 2008, 300 p. 

98. Il convient de noter que, malgré le succès objectif de luttes comme celle des zapatistes, aucun projet actuel de reproduction des communs est totalement dissocié des relations sociales capitalistes. Les zapatistes n’y font pas exception; leur capacité à résister est limitée par un certain nombre de facteurs et les relations sociales capitalistes tendent à ronger l’efficacité à long terme des relations sociales communautaires. Par exemple, un nombre important de zapatistes ont migré pour travailler ailleurs au Mexique ou aux États-Unis, comme le soulignent Grant Fuller, Marco Werman et Myles Estey (« Zapatista youths reconsider capitalism », PRI’s The World, 2011. https://www.pri.org/stories/2011-04-01/zapatista-youths-reconsider-capitalism). Cela a un nombre d’implications qui ne peuvent pas être traitées ici. Cela dit, ce qui est important à noter, c’est que leurs communs restent résilients devant ces menaces. 

99. [Traduction libre] Mariarosa Dalla Costa et Selma James, Women and the Subversion of the Community, Londres, Falling Wall Press Ltd, 1975, p. 23-24. https://libcom.org/files/Dalla%20Costa%20and%20James%20-%20Women%20and%20the%20Subversion%20of%20the%20Community.pdf 

100. Silvia Federici, Point zéro: propagation de la révolution, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, 2016, p. 220-221. 

101. [Traduction libre] Marina Vishmidt, « Permanent Reproductive Crisis: An Interview with Silvia Federici », Mute, 2013. https://marxismocritico.com/2013/10/30/permanent-reproductive-crisis-an-interview-with-silvia-federici/

102. bell hooks, Ne suis-je pas une femme? Femmes noires et féminisme, Paris, Éditions Cambourakis, 2015, 295 p. 


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