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SOURCE : Alternatives économiques
Alternatives économiques, 18 septembre 2020
[En direct de la recherche] Les salariés les mieux payés sont de plus en plus isolés des moins bien payés, créant une dynamique d’inégalités salariales très présente en France.
On sait depuis les travaux de Thomas Piketty et d’autres que les gros salaires ont tendance à recevoir une part croissante des rémunérations au sein des entreprises. Ce que l’on sait moins, c’est que ces gros salaires ont de plus en plus tendance à se retrouver dans les mêmes entreprises, rompant progressivement les liens avec les autres salariés.
Cette ségrégation croissante est particulièrement marquée en France, comme le montre une vaste étude, sur onze pays, dirigée par le chercheur Olivier Godechot à la tête d’une équipe de plus de 20 personnes.
Une tendance généralisée
Le travail a consisté à repérer pour chacun des pays étudiés les lieux de travail des 1 % et des 10 % des salariés les mieux payés. Le phénomène de séparation salariale apparaît alors comme une tendance généralisée, mais plus ou moins marquée selon les pays.
Ainsi, en France, en 1994, quand un salarié appartient à la catégorie des 1 % les mieux payés, neuf autres pourcents de ses collègues étaient comme lui. En 2015, c’est 16 %, un quasi-doublement en vingt ans. Avec un rythme de séparation de 3,2 % supplémentaires par an, la France se place en tête du mouvement des grands pays industrialisés, suivie par le Danemark (+2,6 %), la Suède (+2,1 %) et loin devant le Canada (+1,7 %), l’Espagne (+1,3 %) ou la Norvège (+1,1 %).
Petits et gros salaires se croisent de moins en moins
Cet isolement croissant des hauts salaires au sein des mêmes entreprises résulte surtout d’une séparation avec les salariés les moins bien payés, un phénomène particulièrement marqué en France. Plus bas dans l’échelle des rémunérations, les liens entre les 25 % de salariés les moins bien payés et les 25 % au-dessus ont eu tendance à augmenter sur la même période.
Les liens entre les 25 % de salariés les moins bien payés et les 25 % au-dessus ont eu tendance à augmenter
Les chercheurs montrent que leur constat correspond bien à des évolutions différentes entre les entreprises et non pas à des réorganisations internes qui regrouperaient leurs différents types de salariés dans des filiales séparées. Si le phénomène concerne tous les types de firmes, il apparaît néanmoins beaucoup plus marqué – deux fois plus fort – dans les entreprises de moins de 200 personnes que dans les plus grandes.
De lourdes conséquences
Comment s’expliquent ces évolutions ? L’étude se contente à ce stade de proposer des pistes sans les approfondir. Le progrès technique a tendance à polariser les emplois selon les niveaux de qualification, en même temps que la mondialisation pousse à délocaliser les travaux les moins productifs. Tout cela se produisant à un moment où les stratégies de recentrage des entreprises sur leur cœur de métier poussent à l’externalisation de certaines tâches (sécurité, nettoyage, restauration…) qui regroupaient auparavant des niveaux différents de salaire dans les mêmes établissements.
Pour finir, l’étude se préoccupe des conséquences de ces évolutions. Si les salariés les moins bien lotis ne travaillent plus dans les mêmes entreprises que les mieux lotis, il devient plus difficile de grimper dans l’échelle sociale et des responsabilités en partant d’en bas. Coupés des salariés du bas de l’échelle, ceux du haut connaissent de moins en moins leur situation et leurs préoccupations. On se dit alors qu’il n’est pas dû au hasard que le mouvement des gilets jaunes soit né en France.