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SOURCE : Voix de l'hexagone
Sociologue et philosophe marxiste, Michael Löwy est aussi directeur de recherche émérite au CNRS et enseigne à l’EHESS. Il a consacré de nombreux ouvrages au marxisme (La Théorie de la révolution chez le jeune Marx, 1970), au romantisme révolutionnaire (Marxisme et romantisme révolutionnaire, 1979), à Karl Marx, Georg Lukács, Walter Benjamin (La révolution est le frein d’urgence : Essais sur Walter Benjamin, 2019) ou Che Guevara (Che Guevara, une braise qui brûle encore, avec Olivier Besancenot, 2007). Il est également co-rédacteur du Manifeste écosocialiste international, qui prône une alliance entre marxisme et écologie. Voix de l’Hexagonel’a interrogé sur sa pensée et son oeuvre colossale.
Propos recueillis par Ella Micheletti.
Voix de l’Hexagone : Qu’est-ce que l’écosocialisme ? Comment le définir en quelques mots ?
Michael Löwy : Le projet écosocialiste est une synthèse « dialectique » entre le socialisme et l’écologie ; il propose d’associer le « rouge » – la critique marxiste du capital et le projet d’une société alternative – et le « vert », la critique écologique du productivisme ; il n’a rien à voir avec les combinaisons gouvernementales dites « rouges-vertes », entre la social-démocratie et certains partis verts, autour d’un programme social-libéral de gestion du capitalisme. L’écosocialisme est donc une proposition qui se distingue aussi bien des variantes productivistes du socialisme du XXe siècle – que ce soit la social-démocratie ou le « communisme » de facture stalinienne – que des courants écologiques qui s’accommodent, d’une façon ou de l’autre, du système capitaliste. Une proposition alternative qui vise non seulement à une transformation des rapports de production, de l’appareil productif et des modèles de consommation dominants, mais aussi à créer un nouveau paradigme de civilisation, en rupture avec les fondements de la civilisation capitaliste/industrielle occidentale moderne.
La prémisse centrale de l’écosocialisme, implicite dans le choix même de ce terme, est qu’un socialisme non écologique est une impasse, et une écologie non-socialiste est incapable de confronter les enjeux actuels. Il implique donc une critique radicale du prétendu « socialisme réellement existant » de feu l’URSS et son bloc de l’Est : cette caricature bureaucratique – qui avait peu à voir avec le socialisme comme prise en main collective et démocratique de l’économie par les travailleurs et par toute la population – a été responsable de dégâts écologiques tout à fait équivalents de ceux de l’Occident capitaliste.
VdH : La lecture de votre ouvrage sur l’écosocialisme (Qu’est-ce que l’écosocialisme ?, Le Temps des Cerises, réédité en 2020) convainc qu’une conciliation entre marxisme et écologie est possible pour une société plus égalitaire et juste. Toutefois, vous évoquez notamment des écologistes ou des marxistes convertis à la cause écologique qui ont abandonné la question ouvrière, le marxisme voire l’humanisme. Quant à vous, que gardez-vous et abandonnez-vous du marxisme ? Quels enseignements tirer de Marx au XXIe siècle ?
M. L. : Il est impossible de penser une écologie critique à la hauteur des défis contemporains, sans prendre en compte la critique marxienne de l’économie politique, sa mise en question de la logique destructrice induite par l’accumulation illimitée du capital. Une écologie qui ignore ou méprise le marxisme et sa critique du fétichisme de la marchandise est condamnée à n’être qu’un correctif des « excès » du productivisme capitaliste.
Certes, l’écologie n’occupe pas une place centrale dans la réflexion de Marx et Engels, mais on peut néanmoins trouver dans leurs œuvres des pistes importantes pour l’écosocialisme. Par exemple :
- La rupture que provoque le mode de production capitaliste dans le métabolisme (Stoffwechsel) – c’est-à-dire le système des échanges matériels – entre les sociétés humaines et l’environnement, en portant atteinte aux « lois naturelles de la vie » et aux « conditions naturelles éternelle » de toute production.
- La contradiction entre « l’esprit du capitalisme », avec sa logique immédiatiste du profit, et la possibilité d’une agriculture « rationnelle », fondée sur une temporalité beaucoup plus longue et dans une perspective durable qui respecte l’environnement.
- Le caractère destructif du progrès capitaliste qui devient un « progrès » dans la dégradation et la détérioration de l’environnement naturel (à commencer par le sol).
- Le parallélisme entre l’abaissement ou l’épuisement des travailleurs et celui de la nature, comme résultat de la même logique prédatrice, celle de la grande industrie et de l’agriculture capitalistes, dont la « cupidité aveugle » ne connaît pas de limites.
- Le socialisme comme maîtrise rationnelle, par les producteurs associés, des échanges matériels (« métabolisme ») entre les sociétés humaines et l’environnement naturel, en respectant les conditions naturelles d’existence des futures générations.
Ce qu’il faut remettre en question chez Marx et Engels – et encore plus dans le marxisme ultérieur – c’est la tendance à faire du « développement des forces productives » le principal vecteur du progrès. Dans certains de leurs écrits, les forces productives apparaissent comme « neutres », et la révolution n’a pour tâche que d’abolir les rapports de production qui sont devenus une « entrave » à un développement illimité de celles-ci.
Par exemple, dans certains passages de l’Anti-Dühring d’Engels, il est question du socialisme comme synonyme de développement illimité des forces productives : « La force d’expansion des moyens de production fait sauter les chaînes dont le mode de production capitaliste l’avait chargée. Sa libération des chaînes et la seule condition requise pour un développement des forces productives ininterrompu, progressant à une rythme toujours plus rapide, et par suite, pour une accroissement sans bornes de la production elle-même.«
« L’écosocialisme n’a rien à voir avec les combinaisons gouvernementales dites ‘rouges-vertes’, entre la social-démocratie et certains partis verts, autour d’un programme social-libéral de gestion du capitalisme »
Pour l’écosocialisme, il faudrait appliquer à l’appareil productif ce que Marx écrit sur l’appareil d’État dans ses écrits sur la Commune de Paris : les travailleurs ne peuvent pas s’approprier l’appareil bureaucratique existant et le mettre à leur service ; ils doivent le renverser et créer une autre type de pouvoir. Le même vaut, mutatis mutandis, pour les « forces productives ».
VdH : Une société écosocialiste aboutie implique de se poser la question des besoins réels/authentiques face aux besoins artificiels. Vous évoquez à ce titre la manipulation de la publicité sur les esprits. Un point de vue qui n’est pas sans rappeler celui de Noam Chomsky (La Fabrication du consentement) sur les médias. Selon vous, comment amener progressivement un peuple sur la voie de la résistance et de la remise en cause de la société capitaliste et consumériste, sans apparaître autoritaire ou méprisant à son égard ?
M. L. : À mes yeux, la publicité et les médias ne sont pas identiques. La publicité est à supprimer : c’est un sinistre dispositif capitaliste qui n’a aucune utilité sociale. Elle gaspille une quantité astronomique de matières premières, d’énergie et de travail pour vanter la supériorité de la savonnette XY sur ses concurrentes. Par ailleurs, elle crée des faux besoins et incite, de façon obsessionnelle et frénétique, au consumérisme. L’abolition complète de la publicité est un premier pas dans une transition écologique. Sans le matraquage publicitaire, les individus pourront, petit à petit, découvrir quels sont leurs vrais besoins et, peu à peu et se débarrasser de l’obsession consumériste. Bien entendu, les militants écosocialistes auront un rôle politique et pédagogique dans cette transition mais cette dernière ne devra pas prendre, en aucun cas, des formes autoritaires : c’est au peuple lui-même de définir ses besoins et les priorités dans la production de biens et de services.
VdH : Vous citez, à ce sujet, un exemple précis, celui de la voiture. Pour vous, l’écosocialisme pousse logiquement à généraliser les transports publics gratuits dans les grandes villes, au détriment de la voiture très polluante. Au-delà de l’aspect écologique majeur de cette remise en cause du véhicule personnel, quels bienfaits la société et ses citoyens pourraient-ils tirer d’une pareille évolution ? Quid d’une volonté politique forte face à l’individualisme qui reste un vecteur de la société actuelle ?
M. L. : La civilisation industrielle capitaliste moderne est une civilisation de la voiture. Fétiche de la consommation, objet de prestige, marchandise centrale du système, monument ambulant à l’individualisme féroce, la voiture a envahi les rues, les places, les villes de toute la planète. Parée de toutes les vertus sociales, économiques, érotiques ou symboliques par la publicité, elle est signe de distinction, de richesse, pouvoir et virilité. En réalité, elle constitue une véritable catastrophe sociale, sanitaire et écologique. Elle détruit la vie sociale des rues, la santé des habitants (pollution de l’air et accidents avec pour conséquence des milliers de morts) et contribue énergiquement au changement climatique.
« Il existe un pôle révolutionnaire qui ne veut pas un retour mais un détour par le passé, vers un avenir utopique, du Jean-Jacques Rousseau des Origines de l’inégalité parmi les hommes à William Blake, les jeunes frères Schlegel, le Hugo de la maturité, Ernst Bloch… »
En même temps, la voiture individuelle a une utilité sociale indéniable comme moyen de transport. Ce qu’il faut c’est réduire et limiter son usage. Tout d’abord, comme nous avons vu plus haut, en supprimant sa publicité. Ensuite, en développant à grande échelle des transports publics gratuits, des routes cyclables et des zones piétonnes. On peut ajouter d’autres propositions : encourager le co-voiturage, fermer le centre-ville aux voitures (déjà fait dans plusieurs villes en Europe), etc. Le rôle des écosocialistes est de démystifier la voiture, mais c’est la population elle-même qui limitera, peu à peu, sa dépendance envers la voiture individuelle.
VdH : Vous avez œuvré en profondeur sur toutes les facettes du marxisme, y compris sur le marxisme hétérodoxe et le romantisme révolutionnaire (Qu’est-ce que le romantisme révolutionnaire ?, 2004, Marxisme et romantisme révolutionnaire, 1979) qui s’étend de Jean-Jacques Rousseau à Ernst Bloch. On pourrait s’interroger sur le caractère certes idéal mais peut-être un peu abstrait et inaccessible au plus grand nombre du romantisme révolutionnaire aujourd’hui. Peut-on dès lors allier le romantisme révolutionnaire (et son aspect idéel, poétique) avec l’écosocialisme (et son caractère concret et pratique) pour former un projet de société solidaire, social et complet ?
M. L. : Le romantisme révolutionnaire peut prendre la forme d’un discours philosophique complexe, comme chez Ernst Bloch, mais il est aussi présent, sous une forme diffuse, dans des mouvement de révolte sociale, comme Mai 68. On le trouve aussi à la fois comme pratique sociale, lutte collective et réflexion culturelle dans des mouvements socio-écologiques actuels, comme par exemple les mouvements indigènes des Amériques : depuis les Nations Premières du Canada jusqu’aux indigènes Mapuche du Chili. Dans leurs manifestations les plus radicales, ces mouvements contestent le système capitaliste au nom de leurs traditions ancestrales. C’est une forme très concrète de romantisme révolutionnaire !
L’écosocialisme peut prendre diverses formes, ce n’est pas un courant homogène, d’un point de vue politique ou philosophique. Mais, pour beaucoup d’écosocialistes, les mouvements indigènes sont une inspiration et un point de repère, et vice versa : un des leaders historiques de l’indigénisme écologique au Pérou et en Amérique Latine, Hugo Blanco, se déclare écosocialiste et proclame que les communautés indigènes pratiquent l’écosocialisme depuis des siècles…
VdH : Toujours dans cette conception d’un romantisme révolutionnaire qui serait une ressource pour l’avenir commun de l’humanité, vous évoquez, dans votre ouvrage un « socialisme poétique » dans le « libre épanouissement des sens ». Dans quelle mesure l’art, la littérature, la philosophie peuvent-ils appuyer cet idéal ?
M. L. : Ce n’est pas la culture qui « appuie » les espoirs pour l’avenir. Ce sont les mouvements qui luttent pour un autre avenir pour l’humanité qui s’emparent, à un moment donné, des ressources de l’art, de la littérature et de la philosophie. Je donnerais à nouveau comme exemple Mai 68 : les jeunes rebelles de cette époques se sont emparés d’idées poétiques et libertaires – romantiques révolutionnaires – du surréalisme, du situationnisme (Debord, Vaneigem) , de la philosophie d’Henri Lefebvre ou d’Herbert Marcuse, pour célébrer le « libre épanouissement des sens ».
VdH : Que répondez-vous à ceux qui taxent le romantisme de réactionnaire ou passéiste ?
M. L. : Le romantisme est un vaste mouvement culturel très hétérogène du point de vue politique. Ce qu’ont en commun les romantiques, c’est une protestation culturelle contre la modernité capitaliste, au nom de valeurs sociales, spirituelles, artistiques, religieuses ou autres, du passé. Un passé pré-moderne ou pré-capitaliste, réel ou imaginaire, qui sert de repère pour cette révolte contre la civilisation bourgeoise « sans esprit et sans cœur » (une image de Max Weber).
« Il n’y a pas de recette unique pour ‘réenchanter’ le monde : la poésie, l’art, la culture, peuvent jouer ce rôle, mais aussi l’utopie, l’espérance et la révolution »
Dans le romantisme, il existe un pôle passéiste, rétrograde. Il critique le présent bourgeois, mais rêve d’un retour au passé. Novalis, les frères Schlegel (après 1810), Chateaubriand, le jeune Hugo et le jeune Thomas Mann sont quelques exemples de cette démarche. Mais il existe aussi un pôle révolutionnaire qui ne veut pas un retour mais un détour par le passé, vers un avenir utopique. Cela inclut le Jean-Jacques Rousseau des Origines d l’inégalité parmi les hommes (1755) – une sorte de manifeste inaugural du romantisme révolutionnaire – William Blake, les jeunes frères Schlegel, le Hugo de la maturité, Ernst Bloch, les surréalistes, et beaucoup d’autres.
Réduire le romantisme à son pôle réactionnaire n’est pas seulement une bévue : c’est un étrange aveuglement, partagé par beaucoup de penseurs de la gauche.
VdH : Face au « désenchantement du monde » théorisé par Max Weber, le principe d’espérance d’Ernst Bloch et sa volonté utopique comme leitmotiv des mouvements de libération des hommes peuvent-ils être encore une source d’inspiration pour le futur ? De façon générale, comment « réenchanter » nos sociétés ?
M. L. : L’espérance et l’utopie ont été des moments forts des mouvements de libération humaine, depuis Spartakus jusqu’à nos jours. Mais la révolte contre le « désenchantement du monde » de la civilisation bourgeoise est un phénomène des sociétés modernes.
Il n’y a pas de recette unique pour « réenchanter » le monde : la poésie, l’art, la culture peuvent jouer ce rôle, mais aussi l’utopie, l’espérance et la révolution. Les révolutions sont des grands moments de « réenchantement », des illuminations profanes, comme dirait Walter Benjamin, qui brisent la continuité prosaïque de l’ordre établi et la grise chape de plomb de la domination.
VdH : De nombreux intellectuels s’accordent sur le fait que la crise du covid-19 est aussi une crise du capitalisme mondialisé. Partagez-vous ce constat ? Si oui, peut-on espérer un changement profond pour l’avenir ? Autrement dit, le covid-19 peut-il être, pour reprendre l’expression de votre ouvrage sur Walter Benjamin, le point déclencheur d’un « frein d’urgence » dans le cadre d’un processus révolutionnaire ?
M. L. : Je suis vraiment désolé mais je ne partage pas cet optimisme à courte échelle. Je ne crois pas que le covid-19 va provoquer « un changement profond », ni un processus révolutionnaire. Il va sans doute aggraver la crise du système – c’est déjà le cas – mais cela ne garantit pas une issue anticapitaliste. Pour le moment, ce sont les forces les plus réactionnaires, et même néo-fascistes, qui tiennent le haut du pavé.
Cela dit, il faut, comme disait Walter Benjamin, « organiser le pessimisme » et contribuer, par tous les moyens, aux tentatives qui existent déjà, et pourront peut-être se développer, de contestation anti-systémique. Il faut pouvoir, avant que ce ne soit trop tard (catastrophe écologique) tirer les « freins d’urgence » du train-suicide de la civilisation capitaliste industrielle bourgeoise.
VdH : Dans le cadre de votre œuvre intellectuelle et universitaire, vous avez aussi travaillé sur la théologie de la libération et la place d’un anti-capitalisme catholique en Amérique latine. Dans votre essai La Lutte des dieux, vous estimez qu’il existe une « affinité négative » et une « aversion éthique » entre ce catholicisme et le capitalisme. Pouvez-vous nous expliquer par quels moyens théoriques et pratiques ce christianisme de libération au service des plus pauvres s’est enraciné dans les cultures sud-américaines, au point de faire partie intégrante des luttes sociales dans la région ?
M. L. : Je pars d’une hypothèse de Max Weber : l’éthique catholique manifeste une « profonde aversion » pour le capitalisme parce que c’est un système impersonnel et, par conséquent, totalement imperméable à toute réglementation éthique. Cette aversion a pendant longtemps été surtout régressive, pour ne pas dire réactionnaire, mais on voit aussi apparaître, surtout au XXe siècle, des manifestations émancipatrices de cette réjection éthique de l’esprit du capitalisme. La plus importante est sans doute ce que j’appelle le christianisme de la libération, un vaste mouvement social qui surgit en Amérique Latine au début des années 1960, à la suite des premiers changements dans l’Eglise – l’élection du Pape Jean XIII – et des bouleversements suscités par la Révolution cubaine. Le christianisme de la libération a pour principe fondamental l’option prioritaire pour les pauvres. Les pauvres ne sont plus considérés comme objets de la charité mais comme les sujets de leur propre libération.
« Le christianisme de la libération a pour principe fondamental l’option prioritaire pour les pauvres. Les pauvres ne sont plus considérés comme objets de la charité mais comme les sujets de leur propre libération »
Ce mouvement, qui mobilise des centaines de milliers de personnes, va s’organiser dans les Communautés ecclésiales de base, les Pastorales Populaires (Pastorale de la Terre, Pastorale Ouvrière, etc.), les mouvements d’éducation de base, les associations de quartier… Les femmes sont à l’avant-garde de ce processus de « conscientisation », qui va finir par attirer des secteurs de l’Église elle-même : des ordres religieux (dominicains, jésuites, franciscains), des prêtres et même des évêques et des cardinaux. Dans les années 1970, la théologie de la libération de Gustavo Gutierrez, Leonardo Boff, Frei Betto, Hugo Assmann, Enrique Dussel (et beaucoup d’autres) va donner une expression théologique systématique à cette expérience, dans une réflexion qui associe, à des degrés divers, la tradition chrétienne et le marxisme.
Le christianisme de la libération va contribuer de façon significative à beaucoup de mouvements sociaux et politique à vocation émancipatrice en Amérique Latine : la Révolution sandiniste au Nicaragua, la guérilla au Salvador et au Guatemala, la fondation du Parti des travailleurs et du Mouvement des sans-terre au Brésil, l’insurrection zapatiste au Chiapas. Dénoncé, réprimé et marginalisé sous les pontificats de Jean-Paul II et Benoit XVI, le christianisme de la libération pourra trouver un deuxième souffle sous celui de l’argentin François.
VdH : Pour terminer, pouvez-vous nous parler de vos projets intellectuels actuels ou futurs ?
M. L. : Je suis en train de terminer un nouveau livre, qui aura pour titre La comète incandescente. Romantisme et Surréalisme (Editions du Retrait, à paraître en 2020). Le titre fait référence à une phrase d’André Breton : le surréalisme veut bien être considéré comme la queue de la comète romantique. Je tente de montrer la dimension romantique révolutionnaire du surréalisme dans les écrits d’André Breton mais aussi dans ceux de penseurs intéressés par le surréalisme, comme Ernst Bloch ou José Carlos Mariategui. Un de ses moments romantiques – qui remonte à Jean-Jacques Rousseau – est l’attirance pour les cultures indigènes, et les arts sauvages, qui seront l’objet d’un notable film surréaliste, de Michel Zimbacca et Benjamin Péret, L’invention du monde.
Entretien réalisé le 7 septembre 2020.