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SOURCE : France 24
La fortune des milliardaires dans le monde a atteint la somme inédite de 10 200 milliards de dollars durant la crise sanitaire, a constaté un rapport de la banque UBS et du cabinet de conseil PwC, publié mercredi 7 octobre. Un accroissement de richesse qui illustre à quel point les marchés financiers jouent un rôle d’accélérateur des inégalités pendant les crises.
Elon Musk, l’excentrique patron de Tesla ou SpaceX, a pleinement profité financièrement de la pandémie. Tandis qu’il pestait sur Twitter contre les mesures de distanciation sociale, il a quadruplé sa fortune, qui a augmenté de 76 milliards de dollars pour atteindre 103 milliards de dollars.
S’il est le milliardaire qui s’est le plus enrichi entre avril et juin, il est loin d’être le seul. La fortune des ultrariches a progressé de 27,5 % pour s’établir à 10 200 milliards de dollars, ont constaté la banque suisse UBS et le cabinet de conseil PwC dans leur rapport 2020 sur les milliardaires, publié mercredi 7 octobre. Un niveau de fortune record pour les 2 000 milliardaires étudiés par les auteurs du rapport qui fournit un contraste saisissant avec les millions d’individus qui ont perdu leur travail à cause de la crise sanitaire ou encore le million de Français qui a basculé dans la pauvreté durant cette période.
Les rois de la Tech
À l’instar du patron de Tesla, ce sont les dirigeants des entreprises du secteur tech, qui ont gagné le plus d’argent ces derniers mois, soulignent les auteurs du rapport. Si UBS et PwC évitent de citer des noms, il suffit de consulter l’indice des milliardaires de Bloomberg pour constater que Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook), Jack Ma (Alibaba) ou encore Steve Ballmer (ex-PDG de Microsoft) sont les grands gagnants du moment.
Et ces capitaines de navires 2.0 ne se sont pas enrichis à ce point en vendant davantage. Ce grand bond en avant de la fortune des milliardaires provient essentiellement des marchés financiers, souligne le rapport.
D’un côté, les magnats de la tech ont profité des profonds changements que la crise sanitaire et la période de confinement ont entraîné dans les habitudes de consommation et de travail. Le succès des applis de vidéoconférence, comme Zoom, des plateformes d’achats en ligne, tel Amazon, ont convaincu les investisseurs de miser sur tout ce qui brille technologiquement. “Les valeurs tech ont été les premières à rebondir en Bourse, et elles ont gagné bien plus que les autres, ce qui a accentué leur avance”, confirme Alexandre Baradez, responsable des analyses économiques pour le cabinet de conseil financier IG, contacté par France 24. Et comme ces PDG détiennent souvent des parts dans leur entreprise, ils ont amplement profité de cette ruée en Bourse vers la tech.
Des actions, what else ?
D’un autre côté, “les marchés financiers ont, comme lors de chaque crise, contribué à creuser les inégalités”, souligne Alexandre Baradez. Au début de la pandémie, les Bourses ont accusé le coup, enregistrant des chutes d’environ 20 %, ce qui a représenté “une opportunité pour les investisseurs”, note l’analyste financier. Mais pour acheter au creux de la vague – en pleine crise -, il faut avoir les reins suffisamment solides pour prendre le risque d’enregistrer des pertes le temps que la Bourse reprenne des couleurs. En d’autres termes, seuls les plus riches pouvaient se permettre d’investir fortement en pleine tempête financière.
Quand la conjoncture boursière a commencé à s’améliorer à partir d’avril, ces milliardaires ont profité plus que les autres. “Il faut reconnaître qu’ils ont les tripes d’y aller”, a affirmé au Guardian Josef Stadler, responsable d’UBS Global Family Office, le département qui gère les relations avec les clients les plus fortunés.
Du courage ? Certes, mais il y a aussi ce qu’Alexandre Baradez appelle l’effet… “Tina”, autrement dit “There is no alternative” (il n’y a pas d’alternative). Ces super-riches ont des portefeuilles qui ont besoin d’être investis pour rapporter de l’argent… mais où ? Les obligations d’État, c’est-à-dire la dette souveraine, rapportent très peu car les Banques centrales en émettent à tour de bras à très faible taux, afin de lever de l’argent pour financer les plans de relance.
L’immobilier n’est pas non plus très attractif durant cette crise “car les acquéreurs cherchent de plus en plus à acheter en dehors des grands centres urbains pour trouver de l’air”, rappelle l’analyste d’IG. Les centres villes, où se trouvent l’immobilier de luxe qui est le placement par excellence des grandes fortunes, n’a donc pas la cote en ce moment. “Il reste donc les actions”, conclut Alexandre Baradez.
Retour de flammes ?
En temps de crise, les placements en actions – généralement jugés plus risqués – se révèlent presque mécaniquement très lucratifs pour ceux qui ont les moyens de jouer le jeu. “La structure des mécanismes de sauvegarde de l’économie et de relance de l’activité en temps de crise favorise les grandes entreprises”, résume Alexandre Baradez. Les autorités publiques vont chercher à sauver avant tout les banques et les grandes groupes qui emploient le plus de monde ou dont le poids économique est le plus important. Les marchés financiers le savent, ce qui fait que lorsque les Banques centrales mettent en branle leur politique de sauvegarde de l’économie, ce sont les actions de ces grands groupes qui remontent le plus vite.
Et le commun des mortels ne peut pas se permettre de profiter de cette aubaine car même au creux de la vague, le prix des actions de ces grands groupes reste onéreux. Cette tendance ne fait, en outre, que s’accentuer au profit des plus riches : depuis la crise de 2008, “la détention du nombre d’actions par les ménages les plus fortunées n’a fait qu’augmenter”, rappelle Alexandre Baradez.
Cet effet amplificateur des inégalités de la Bourse pendant les crises fait les affaires des milliardaires jusqu’à un certain point. “Il y a un risque réel que cette accumulation de richesses à un moment aussi sensible poussent certaines partie de la population à bout”, reconnaît Josef Stadler, le banquier d’UBS. Aujourd’hui, l’idée d’une retour de bâton – social, règlementaire – contre les plus riches lui semble tout à fait possible.
Mais au-delà d’une hypothétique révolte populaire contre les ultrariches, cet accroissement inédit de la fortune des milliardaires est surtout un problème démocratique, juge Alexandre Baradez. Pour lui, cette tendance “pousse l’électorat de plus en plus dans les bras des extrêmes”. Et le fait que le rapport d’UBS et PwC note que seul un milliardaire sur dix s’est, publiquement, engagé à verser une part de sa fortune pour soutenir les efforts de sauvegarde de l’économie ne va certainement pas arranger leur image aux yeux de l’opinion.