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SOURCE : Reporterre
L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié vendredi 9 octobre un rapport sur le glyphosate. Il prévoit que les produits à base de cet herbicide — comme le Roundup — ne seront plus utilisés dans certaines situations. Mais le rapport reste bien loin de la promesse présidentielle d’interdiction formulée il y a trois ans.
L’usage du glyphosate va-t-il être — à défaut d’interdiction — fortement réduit ? C’est ce que pourrait laisser penser un rapport de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) rendu public le vendredi 9 octobre. Il définit quels sont les usages pour lesquels l’institution n’autorisera désormais plus la mise sur le marché des préparations à base de cet herbicide. « L’usage de la substance est dorénavant restreint aux situations où le glyphosate n’est pas substituable à court terme », indique l’Agence dans un communiqué.
Mais une lecture plus précise du document montre que les situations dans lesquels le glyphosate pourra encore être épandu restent finalement nombreuses. « Il y a deux manières de voir ce rapport, commente Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, syndicat agricole militant pour l’interdiction du glyphosate. Soit on se dit que ça avance, car ils obligent à se passer de glyphosate pour certaines pratiques. Soit on remarque qu’il y a encore beaucoup d’exceptions. » « Une réduction, c’est bien. Mais il y a trois ans, le but était d’en sortir ! » rappelle François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures.
L’objectif du rapport de l’Anses était de « déterminer les usages pour lesquels cette substance peut être substituée par des moyens non chimiques et d’identifier les situations d’impasse », explique-t-elle. Le document reprend les travaux de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) sur le glyphosate, et aborde en détail l’arboriculture, la viticulture, les grandes cultures et la forêt. Mais, la définition des alternatives viables s’avère finalement assez restrictive, car celles-ci doivent être « d’usage courant », précise l’agence, et permettre « de répondre à court terme aux besoins des professionnels, sans nécessiter une modification substantielle des pratiques, qui aurait un fort impact sur l’activité agricole ».
Un seul progrès est à noter, la dose maximale est réduite pour les arbres fruitiers
Ainsi, les situations où l’Anses considère que l’utilisation du glyphosate peut être interdite ne sont finalement pas si nombreuses que cela, et ne risquent pas de changer la face de l’agriculture française. « L’Inrae parlait de 80 % de réduction mais, finalement, ce sera 50 % au mieux », analyse François Veillerette.
Pour la culture des arbres fruitiers et de la vigne, l’Anses valide ainsi l’interdiction du glyphosate pour désherber dans les allées entre les rangs. Mais elle signale également que dans 89 % des parcelles de fruitiers, il n’est déjà plus utilisé : on laisse tout simplement pousser l’herbe, et on la tond. En vigne, la proportion est moins élevée, mais l’usage est déjà répandu. L’interdiction du glyphosate pour cet usage précis « n’aura donc que très peu d’effet sur les quantités utilisées », conclut Générations futures.
En revanche, c’est entre les troncs et les ceps, là où la tondeuse ne passe pas, que le glyphosate est plus fréquemment utilisé. Des machines existent pour désherber et éviter l’herbicide. « Mais le rapport dit qu’il faudrait 20 ans, au rythme actuel de production de ces machines, pour équiper l’ensemble des arboriculteurs. On pourrait augmenter leur rythme de production. Et puis, d’autres alternatives sont insuffisamment explorées, comme le fait de semer des engrais verts », déplore Emmanuel Aze, arboriculteur et membre de la Confédération paysanne. Le principal usage du glyphosate en arboriculture et en viticulture reste donc inchangé.
Un seul progrès est à noter, la dose maximale est réduite pour les arbres fruitiers à 900 grammes par hectare et par an, alors que la moyenne actuelle est à 1.139 grammes par hectare et par an. Pour la vigne, il est recommandé de réduire la surface traitée au glyphosate à 20 % de la parcelle maximum, soit uniquement l’espace sous les vignes (et donc entre les ceps). Une exception est en revanche faite pour les cépages plantés en forte pentes — ou « parcelles non mécanisables », selon les termes de l’Anses. Là, le glyphosate reste autorisé en toutes circonstances.
Pour la forêt aussi, l’évolution des usages paraît finalement limitée. La seule interdiction prononcée concerne la « dévitalisation » des souches. Pour le reste, le désherbage mécanique est considéré comme trop cher par rapport à l’utilisation d’un herbicide, mais avant tout pour les forestiers privés, car l’ONF (Office national des forêts) est déjà équipée en machines. En effet, l’institution a décidé en 2018 d’abandonner l’usage du glyphosate. « L’ONF fait mieux que l’Anses », note François Veillerette.
Restent les grandes cultures (blé, soja, maïs, etc.), pour lesquelles l’Anses n’identifie qu’une seule situation où le glyphosate peut-être interdit : quand la parcelle est labourée entre deux cultures. Elle explique bien qu’un nombre important d’alternatives au glyphosate existent, et sont utilisées par les agriculteurs bio. Mais elles sont éliminées, car ne sont pas « d’usage courant ». « Elles nécessitent (…) une réorganisation totale de l’exploitation agricole, des filières et des débouchés et ne peut donc être généralisée immédiatement à la production nationale », explique l’agence. Elle ne retient donc qu’une seule solution viable : le labour, qui permet de retourner le sol et de limiter le développement des « mauvaises » herbes.
Une sortie du glyphosate n’est possible qu’avec un changement de système agricole
« Le labour est très utilisé, donc cela va poser problème dans les cultures de plaine », reconnaît François Veillerette. Mais il s’inquiète des nombreuses possibilités de dérogations, comme pour les techniques de culture dites sans labour. « Beaucoup de producteurs risquent de déclarer qu’ils ne font qu’un travail superficiel du sol, et personne n’ira vérifier la profondeur à laquelle il vont ! » alerte-t-il.
François Veillerette dénonce aussi de fausses annonces sur les chiffres. L’Anses annonce une réduction de 60 % de la dose annuelle autorisée sur les grandes cultures, à 1.080 g par an et par hectare. Mais son rapport indique que, actuellement, la majorité des producteurs sont déjà en dessous, puisque la dose moyenne utilisée était de 824 grammes par hectare en 2017.
L’Association générale des producteurs de blé (AGPB) annonce cependant un « effet économique considérable » en raison de « pertes de rendement, surcoûts de main-d’œuvre, achat et utilisation de matériel spécifique, augmentation de charges », liste-t-elle.
« C’est vrai que le glyphosate est une arme de compétitivité imbattable », reconnaît Nicolas Girod. « Finalement, ce que ce rapport appelle des impasses techniques sont des impasses économiques. Ce qu’il montre, c’est que, pour se passer de glyphosate, il existe des solutions, mais elles vont demander plus de temps, de main-d’œuvre, de passages. »
Pour le syndicaliste, une sortie du glyphosate n’est possible qu’avec un changement de système agricole. Fermes plus petites, rémunération du travail des producteurs à sa juste valeur, réorientation des subventions européennes vers les emplois plutôt que vers les hectares… « D’ailleurs, le rapport de l’Anses donne des chiffres très éclairants : les fermes en grandes cultures de moins de 150 ha utilisent du glyphosate sur seulement 14 % de leur surface, contre 40 % pour les fermes de plus de 350 hectares. Les trop grandes fermes obligent à simplifier les pratiques, et à utiliser le glyphosate par manque de temps. »
Un « monde d’après » agricole qui resterait encore lointain, craint François Veillerette : « Ce rapport risque de figer les choses pour un moment. » Emmanuel Macron avait fait la promesse de sortir du glyphosate il y a presque trois ans, le 27 novembre 2017. Par la suite, en mai 2018, le gouvernement et sa majorité avaient refusé d’inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi. Mais le rapporteur général du projet de loi sur l’agriculture et l’alimentation, Jean-Baptiste Moreau, affirmait alors : « J’ai confiance en la parole du Président, il reste engagé sur les trois ans. » Désormais, la promesse présidentielle semble bel et bien enterrée.