AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : France culture
Une division profonde travaille la gauche depuis un siècle et demi : la réduction des inégalités économiques doit-elle se faire en amont ou en aval de la production ? Thomas Piketty et Michel Husson en débattent.
En 2013, Thomas Piketty publiait son Capital au XXIe siècle. Plus de 2 millions d’exemplaires vendus et une renommée mondiale plus tard, l’économiste sortait l’année dernière un autre livre, Capital et idéologie, dans lequel il avançait des propositions concrètes pour faire baisser les inégalités économiques.
Entre redistribution et démocratisation de l’accès à la propriété, Thomas Piketty s’inscrit ouvertement dans la lignée de la social-démocratie telle qu’elle a été mise en place en Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il propose ainsi d’imposer massivement les patrimoines les plus élevés, de limiter la transmission des richesses par l’héritage et de réserver des places pour aux salariés dans les conseils d’administration, le tout dans l’objectif de mettre en place un “socialisme participatif” qui serait plus juste et moins inégalitaire que la forme actuelle du capitalisme. Avec ces réformes, “on aboutit, explique-t-il, à un système de propriété qui n’a plus grand-chose à voir avec le capitalisme privé tel qu’on le connaît actuellement, et qui constitue un réel dépassement du capitalisme”.
Il faut prendre au sérieux la question du modèle avec lequel on remplace le capitalisme. L’histoire du XXe siècle montre que c’est facile de décréter la fin de la propriété privée, mais déterminer un autre système qui soit réellement émancipateur l’est moins. – Thomas Piketty
Un réel dépassement ? Ça n’est pas l’avis de tout le monde, et certainement pas celui d’Alain Bihr et de Michel Husson qui publient un livre à charge dans lequel ils détaillent leur lecture critique des propositions de Piketty. C’est une “réforme paramétrique” du capitalisme expliquent-ils, qui n’est pas à la hauteur des enjeux. Pour eux, dépasser réellement le capitalisme impliquerait d’abolir la propriété privée des moyens de production telle qu’elle existe actuellement.
Nous pensons qu’il faut travailler à la source, prendre des mesures qui portent sur le partage de la valeur ajoutée et sur la redistribution du profit auprès des actionnaires. – Michel Husson
Derrière le désaccord entre Piketty d’un côté et le duo Bihr/Husson de l’autre se cache un désaccord fondamental qui divise la gauche depuis plus d’un siècle et demi : à quel moment faut-il s’attaquer aux inégalités ? Est-ce en amont de la production, par le dépassement de la relation de subordination entre la bourgeoisie et le prolétariat ? Ou bien est-ce plutôt en aval, après la production, par la redistribution des fruits du travail ?
Pour mieux comprendre les divisions entre ces deux courants de pensée, nous avons invité Thomas Piketty, économiste, directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’École d’économie de Paris et Michel Husson, économiste à l’IRES et membre du conseil scientifique d’ATTAC.