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SOURCE : Libération
Condamné mercredi par le tribunal judiciaire de Paris, l’Etat devra indemniser onze jeunes adultes victimes de violences policières, de contrôles d’identité et d’arrestations illégitimes lorsqu’ils étaient mineurs, entre 2014 et 2016.
«Un message important» pour les victimes et une décision rare. L’Etat a été condamné mercredi, par le tribunal judiciaire de Paris, pour «faute lourde» pour des violences policières, des contrôles d’identité injustifiés et des arrestations irrégulières de mineurs, cité Rozanoff dans XIIearrondissement de la capitale, entre juillet 2014 et janvier 2016. Dix-sept jeunes adultes d’origine maghrébine ou africaine avaient entamé, en juillet 2019, une procédure au civil contre l’Etat pour discriminations et violences, physiques et verbales, répétées de la part de policiers d’un groupe de soutien des quartiers (GSQ) baptisés «les Tigres», en rapport au félin rugissant sur leur écusson. Ils étaient alors mineurs, avaient entre 11 et 17 ans. Au total, l’Etat devra verser 40 500 euros de dommages et intérêts à onze des requérants, victimes «d’un dysfonctionnement du service public de la justice», ainsi que 18 000 euros pour leurs frais de justice.
«Cette décision est une énorme satisfaction, car elle reconnaît la faute lourde de l’Etat pour quatre types de comportement – contrôles d’identité irréguliers, violences policières, transports et rétentions de mineurs au commissariat – qui constituent de graves illégalités, réagit auprès de Libération Slim Ben Achour, un des trois avocats des plaignants, déjà à l’origine de la condamnation historique de l’Etat par la Cour de cassation, en novembre 2016, pour «faute lourde» dans trois dossiers de contrôles d’identité «au faciès». C’est aussi une réponse forte à la petite musique en France qui dit qu’il n’y a pas de violences policières, qu’elles relèvent d’actes isolés, de brebis galeuses. On voit bien ici, par la dimension collective du dossier, la conjonction des faits et des expériences, qu’il ne s’agit pas de comportements individuels.»
Toutefois, le conseil déplore que le grief de la «discrimination» n’ait pas été retenu et assure qu’il y aura «d’autres occasions». Dans son jugement, dont Libération a pris connaissance, la 1ère chambre civile écarte en effet, dès le départ, la dimension de «harcèlement discriminatoire» de ces violences et contrôles abusifs, mise en avant par les conseils des plaignants. «Au total, aucune présomption de discrimination n’est démontrée par les demandeurs à l’occasion des 44 faits litigieux», écrivent les magistrats au sujet de cette affaire emblématique, dont le Défenseur des droits observait, lui, en mai qu’elle relevait d’une «discrimination systémique».
«Etranglement»
En revanche, pour cinq interventions policières, «les contrôles sont intervenus sans motif régulier, engageant ainsi la responsabilité de l’Etat», estiment les magistrats. Ainsi, le 11 octobre 2014, «pour l’opération […] sont allégués des faits de tapage, qui ne sont toutefois cohérents ni avec la mention portée sur la main courante informatisée (qui ne mentionne qu’un cri au passage de la police «c’est les pu») ni avec le procès-verbal de contravention dressé à cette occasion pour tapage nocturne alors que le contrôle a eu lieu à 16h45», notent-ils. Autre cas : le 6 janvier 2016, l’un des mineurs est contrôlé «parce qu’il a pris la fuite à la vue des policiers». Une «circonstance insuffisante pour soupçonner qu’il avait commis ou tenté une infraction, ou qu’il préparait un crime ou un délit». Le tribunal a également jugé que, lors de cinq opérations, les fonctionnaires de police avaient fait usage de violences illégitimes ou disproportionnées, des faits «constitutifs d’une faute lourde». Les adolescents ont reçu des «coups au visage et sur le corps», des «gifles» et «des coups dans les côtes» ou encore subi un «étranglement».
Enfin, le jugement relève neuf fois où «des transports et rétentions au local de police sont intervenus en dehors du cadre prévu par la loi», notamment dans le cadre de vérifications d’identité «injustifiées», car celle-ci était «déjà connue», et ceci «sans respecter les prescriptions du code de procédure pénale». «On était jeunes et ils nous persécutaient tout le temps», témoignait un des plaignants auprès de Libération, à la veille de l’audience civile le 30 septembre. En décembre 2015, lui et 17 autres jeunes du quartier avaient déposé au pénal une plainte collective contre X. Dans ce volet, trois policiers avaient été renvoyés en correctionnelle et condamnés, en avril 2018, à cinq mois de sursis et des amendes pour violences aggravées. Jugés en appel, ils ont été relaxés le 23 octobre.