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SOURCE : Reporterre
Des caméras très sophistiquées et camouflées ont été retrouvées par des militants au Carnet, où des écologistes luttent contre le bétonnage d’un site naturel. Un dispositif illégal, dont les images accusent la gendarmerie locale.
- Nantes (Loire-Atlantique), correspondance
Les opposants au projet de zone industrielle au Carnet, en Loire-Atlantique, méritent-ils d’être surveillés comme des terroristes ? Deux groupes de caméras, camouflées dans une fausse bûche d’arbre et de fausses pierres, ont été retrouvés par hasard par des militants, fin août. Elles semblent avoir été installées à la veille d’un « weekend de résistance » prévu à proximité du Carnet, les 29 et 30 août. Ces quatre caméras filmaient en continu et étaient reliées, via des câbles enterrés, à des grosses batteries et modems, également dissimulés, permettant d’envoyer directement les images à un poste à distance.
Le Carnet est un espace naturel, sur la rive sud de l’estuaire de la Loire, dont l’entrée principale se trouve sur une route départementale. Lundi 31 août, des personnes opposées à la volonté du Grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire de créer ici un parc « écotechnologique », sur 110 hectares, ont commencé à installer des barricades sur la route, pour empêcher tout début de travaux. C’est une militante qui, ce jour-là, en ramassant des matériaux pour créer une guirlande végétale, a trouvé d’abord un premier duo de caméras, puis, en tirant sur les fils, ce vaste attirail d’espionnage.
Selon un militant de Stop Carnet, quelques jours après cette découverte, la gendarmerie a appelé l’un d’eux pour lui signifier de « rendre leurs caméras aux chasseurs ». Sauf que ce type de matériel, d’une valeur de plusieurs milliers d’euros, ne ressemble pas à du matériel appartenant à des chasseurs. La mention « Allwan », visible sur une partie des images retrouvées, ou encore sur une étiquette sur une caméra, fait fortement penser qu’il s’agit d’équipements fournis par la société Allwan Security, située près d’Angers (Maine-et-Loire), spécialisée dans le matériel vidéo. Cette entreprise ne traite qu’avec des professionnels, et compte les forces de l’ordre parmi ses clients importants.
Quel était le but de cette captation ?
La captation d’images sur la voie publique est encadrée par la loi. Comme le rappelle la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), les personnes filmées doivent en être informées par des panneaux visibles, affichés en permanence, comprenant au minimum un pictogramme représentant une caméra. Mais vu le camouflage du dispositif installé au Carnet, il ne s’agit pas de « vidéoprotection » (dans la novlangue sécuritaire, on ne dit pas « vidéosurveillance » mais « vidéoprotection »), mais bien de renseignement. Or, cette activité est elle aussi encadrée par la loi. La captation d’images dans un lieu privé fait partie des techniques ne pouvant être déployées que pour « la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation », pour l’une des sept finalités énumérées à l’article L. 811-3 du Code de la sécurité intérieure, telles que « la prévention du terrorisme » ou encore la prévention « des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ». De plus, cette technique ne doit être utilisée que si les renseignements ne peuvent pas être recueillis par un autre moyen légalement autorisé. L’installation d’une résistance pacifique, sur un terrain qui sert surtout de lieu de promenade, ne pouvait représenter une telle menace.
Quel était le but de cette captation ? Les forces de l’ordre pensaient-elles que le « weekend de résistance », prévu dans un lieu longtemps tenu secret, et qui s’est déroulé sur un terrain proche et non pas public, mais privé, prêté par un agriculteur, les 28 et 29 août, se tiendrait à cet endroit ? S’agissait-il d’empêcher l’installation de barricades sur cette route ? En tout cas, il n’y a pas eu de violences lors des actions de blocage du début du mois de septembre au Carnet.
Par contre, plusieurs personnes sont venues sur place l’après-midi de la veille, le vendredi 28 août, avec des tracteurs et une remorque, épandre, sur une centaine de mètres, une matière malodorante. Les images retrouvées sur les cartes mémoires du dispositif d’espionnage, que Reporterre a pu consulter, le montrent nettement. Selon les observations d’agriculteurs locaux, il s’agirait de boue de station d’épuration, une matière polluante dont l’épandage est normalement strictement encadré. Et cette pratique illégale n’était pas le fait des zadistes. L’action a eu lieu sur la départementale D177, à l’entrée du site, derrière un portail qui ne peut être ouvert, a priori, que par le personnel du Grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire. Ce dernier n’a pas répondu aux questions de Reporterre à ce propos.
- Devant la grille d’accès au Carnet, l’après-midi de l’épandage de boues d’épuration (de fumier, selon la gendarmerie).
Quatre gendarmes sur place au moment des faits
Plus grave : les vidéos attestent de la présence de quatre gendarmes sur place au moment des faits. On les voit échanger avec des personnes à proximité du portail, deux minutes avant l’épandage. Un gendarme, l’air satisfait, prend même, tout sourire, une photo du résultat de cette action malveillante, dont le but était probablement de gêner les opposants au projet industriel au Carnet. Était-ce une demande du Grand port ? De la gendarmerie ? Ou l’initiative personnelle des propriétaires des tracteurs ? Et pourquoi, dans ce cas, les forces de l’ordre n’ont-elles pas empêché cette action illégale ?
La cheffe d’escadron de la compagnie de gendarmerie de Pornic, contactée par Reporterre, assure que les gendarmes n’étaient pas présents au moment du dépôt, et qu’il ne s’agit pas de boue de station d’épuration, mais de fumier. La préfecture n’a pas répondu à nos questions.
Une enquête permettra sûrement d’éclaircir tout cela, puisque des opposants au projet au Carnet pourraient déposer une plainte. Des recours en justice pourraient également être entrepris contre l’espionnage vidéo. Ce type de surveillance illégale avait déjà été repéré à Bure, en 2018. S’agit-il d’une méthode exceptionnelle, ou les caméras sont-elles d’habitude mieux dissimulées ? Rappelons que, comme l’avait révélé Reporterre, le gouvernement a saisi en 2019 le Bureau de lutte antiterroriste (BLAT) de la gendarmerie nationale à l’encontre d’activistes du climat.