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SOURCE : Bastamag
Au lendemain de l’annonce de la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2022, Manon Aubry, députée européenne de la France insoumise, a longuement répondu à nos questions. Et elle s’en pose également beaucoup. Entretien.
Lorsqu’elle s’est embarquée en politique, à tout juste 29 ans, pour mener la campagne de la France insoumise aux dernières européennes, Manon Aubry s’est posée beaucoup de questions sur le sens de cet engagement : après des années à militer dans les mouvements sociaux, sera-t-elle plus efficace à l’intérieur des institutions ? Était-elle seulement prête à en affronter les codes, et la dérive agressive qui caractérise le débat politique ces derniers temps ? Un an et demi plus tard, elle se prépare déjà à une nouvelle campagne électorale, Jean-Luc Mélenchon ayant annoncé sa candidature à la présidentielle de 2022. C’est au lendemain de cette annonce qu’elle s’est posée, longuement, dans nos bureaux pour un grand tour d’horizon.
Basta ! : Jean-Luc Mélenchon a annoncé officiellement sa volonté d’être candidat à la prochaine élection présidentielle, en 2022. Le timing a pu surprendre : qu’est-ce qui justifie de se déclarer aussi tôt, à 18 mois de l’échéance, et en pleine crise sanitaire ?
Manon Aubry [1] : On a eu beaucoup de débats là-dessus, l’avis n’était pas unanime. C’est légitime de penser qu’en pleine crise sanitaire, ce n’est pas forcément le meilleur moment. D’une part, nous pensons qu’on a justement besoin de donner une perspective positive, à l’heure où nous entrons dans une crise économique et sociale qui sera peut-être sans précédent dans l’Histoire récente. C’est la métaphore de la lumière que Jean-Luc a utilisé lors de son annonce : le tunnel va être long, mais il peut y avoir une lumière au bout, si on nous aide à l’allumer.
Alors que nous vivons actuellement un glissement inégalitaire, « austéritaire » et austère – au sens de la morosité – de notre société, nous avons besoin de construire une société différente de celle qui se dessine. Nous n’aurons pas trop de 18 mois pour le faire et rassembler un maximum de français derrière ce projet. La vitesse à laquelle les 150 000 signatures ont été récupérées montre que les français n’ont pas envie de confiner la démocratie à cause de l’épidémie.
D’autre part, si on ne le fait pas maintenant, alors quand ? Est-ce que dans trois ou six mois, on sera venu à bout du virus ? Personne n’est capable de le dire, aujourd’hui. Or plus on recule dans cette annonce, moins on aura de temps pour convaincre, d’autant plus dans un contexte où il apparaît difficile de faire campagne.
Ces derniers mois, plusieurs initiatives ont été lancées afin d’envisager un rassemblement et une candidature d’union de la gauche et des écologistes : cet acte de candidature ne risque-t-il pas de fragiliser ces dynamiques collectives ?
C’est un peu facile de jeter la pierre à Jean-Luc Mélenchon et à la France insoumise (FI), quand le Parti communiste a dit qu’il aurait un candidat, qu’EELV aurait un candidat, que le Parti socialiste aurait un candidat. Quand chacun dit ça, pourquoi la force politique avec le plus gros score à gauche lors des dernières élections présidentielles n’aurait pas le droit de le dire également ? Pour autant, on n’arrive pas pour écraser les autres, on dit qu’on veut discuter, notamment avec tous ceux qui se reconnaissent dans une ligne de rupture franche. Ce n’est un secret pour personne, je fais partie de celles et ceux qui prônent le dialogue et une approche collective. Est-ce que c’est nous ou le chaos ? Non, parce qu’on ne gagnera pas comme ça, on n’y arrivera pas tout seul.
« Je pense vraiment que l’histoire n’est pas écrite pour cette présidentielle, y compris de notre côté. Qui est capable de prédire ce qu’il va se passer dans les 18 mois ? » |
Je n’étais pas à la France insoumise en 2017, je suis arrivée après, c’est donc bien la preuve que la démarche est ouverte à de nouvelles personnes, d’horizons différents. Je pense vraiment que l’histoire n’est pas écrite pour cette présidentielle, y compris de notre côté. Qui est capable de prédire ce qu’il va se passer dans les 18 mois ? On peut encore construire ensemble, mais à un moment, il faut engager la discussion : il est bien de mettre sur la table ce que nous proposons, et de voir ce que les autres ont à proposer.
Nous, c’est désormais public, proposons un programme et une démarche. Mais chez les Verts, on discute avec qui : Éric Piolle [maire de Grenoble, partisan d’une dynamique d’union, ndlr] ou Yannick Jadot [député européen, partisan d’une ligne autonome, ndlr] ? Piolle semble moins libéral que Jadot sur les questions économiques. Mais c’est quoi le programme de Jadot ? Qu’est-ce qu’il pense de la laïcité, des traités européens ou d’une réforme de la fiscalité des entreprises ? Je ne sais pas vraiment. Il y a tellement de sujets sur lesquels ils n’ont pas de corpus idéologique déterminé. Peut-être sera-t-on au final d’accord sur beaucoup de choses, ou peut-être pas, mais il faut être clair. Et en attendant, on avance, ce qui ne veut pas dire qu’on restera tout seul jusqu’à la fin.
Cela signifie quoi, « l’histoire n’est pas écrite » : est-il envisageable que Jean-Luc Mélenchon retire sa candidature au profit d’une dynamique plus large, si celle-ci prenait de l’ampleur ?
Je ne sais pas, à ce stade ce que ça veut dire : qui, pourquoi, comment ? C’est très théorique comme question. Mais si on se rejoint sur un certain nombre de marqueurs, de sujets et de propositions, on verra le cadre le moment venu. Aujourd’hui, on a un candidat qui a déjà réuni sept millions de voix, on a un projet de départ, celui de « L’avenir en commun », le plus détaillé et le plus étayé des programmes de gauche en 2017, quoi qu’on en pense. Il faut construire sur ces acquis, cela nous donne un certain nombre de bases : la 6ème République, la planification écologique, une révolution fiscale, etc. Est-ce qu’on doit s’arrêter là-dessus ?
2022, ce n’est pas 2017. Je ne défendrai pas un copier-coller. Il s’est passé plein de choses, dont quatre mouvements très structurants dans la société française : les Gilets jaunes, Black Lives Matter, les jeunes pour le climat, et MeToo. Peut-être que nous n’avons pas été suffisamment impliqués dans ces mouvements, mais c’est sur leurs revendications qu’on doit s’appuyer pour 2022. Y compris sur nos axes de campagne, avec une priorité autour de la société du soin, la revalorisation des métiers féminisés ou les enjeux de justice fiscale. Et pour cela, les parrainages citoyens nous donnent une certaine légitimité populaire.
La jauge, fixée à 150 000 signatures, pour cette fameuse « investiture populaire » semblait tout de même atteignable sans trop de difficultés, non ?
C’est la petite musique qu’on nous répète : « 150 000, c’est pas grand-chose ». Très bien, mais qui d’autre est en capacité de le faire et si rapidement ? Je mets au défi quiconque, à gauche, d’en récolter autant, aussi vite. On a quand même atteint la moitié de cette jauge en moins de 24 h, même moi j’étais sceptique. Regardez Laurent Joffrin [ancien directeur de Libération, ndlr] qui veut renouveler la gauche – même si je ne sais pas qui ose vraiment y croire : il n’a que 5000 soutiens en ligne depuis qu’il a lancé son truc.
C’est ce qui m’a convaincue en rejoignant la FI : même si ça reste insuffisant, c’est aujourd’hui le seul mouvement qui est en capacité de s’ancrer dans des mobilisations populaires, avec des méthodes d’auto-organisation des militants qui lui donnent toute sa force. Nous avons lancé une consultation populaire, avec l’objectif de recueillir des avis, y compris de gens qui ne sont pas toujours d’accord avec nous – je pense par exemple aux petits commerçants qui ne sont pas notre électorat classique. Et puis il faut travailler avec d’autres organisations importantes dans la société, comme le collectif « Plus jamais ça », pour attirer des gens qui peuvent nous enrichir tant sur le fond que sur la forme.
Il faut donner une dimension collective. Pourquoi pas en présentant un « shadow gouvernement » avec un ticket Premier ministre-Président ? En 2017, certains ont reproché à Jean-Luc Mélenchon d’être un peu seul. Depuis, 23 parlementaires ont été élus, et ont fait l’expérience du pouvoir. Cela sera utile pour démontrer qu’on est en capacité d’exercer le pouvoir. On doit montrer comment traduire en actes nos aspirations : comment la Constituante va s’articuler avec la 5ème République qui se poursuivra en attendant, comment notre rapport de force vis-à-vis de l’Union européenne va s’inscrire de manière concrète, qu’est-ce qu’on va faire les 100 premiers jours… Il faut que les gens puissent se projeter pour voir qu’on est sérieux et crédibles. Et qu’on peut changer nos vies ici et maintenant pour reprendre un slogan bien connu !
En attendant, une autre présidentielle vient de livrer son verdict, aux Etats-Unis : la victoire de Joe Biden, c’est une bonne nouvelle ?
Plutôt un soulagement. Avec Trump, on a pu voir ce qu’était en pratique l’extrême droite au pouvoir. On voit également qu’elle progresse en voix, au bout de quatre ans passés à mépriser complètement les institutions… Trump est un véritable avatar de la crise démocratique que traversent les États-Unis. En face, il n’y a pas de raz-de-marée des Démocrates, qui ne gagnent pas le Sénat et perdent dix sièges à la Chambre des représentants. Quel enseignement en tirer ? À mon sens, c’est une erreur de stratégie profonde, chez les Démocrates : si notre seul projet de société, c’est dégager Trump…
Bien sûr que c’est une bonne chose de le dégager, mais qu’est-ce qu’on met à la place ? Des politiques libérales qui font qu’il n’y a plus de services publics aux États-Unis, qui font que la santé et l’éducation sont privatisées, que la progression des droits sociaux est extrêmement faible ? Dans ce cas, on n’aura pas un projet capable de mobiliser les foules, et le trumpisme reviendra d’une façon ou d’une autre, faute de lui avoir construit une alternative convaincante. La note positive vient du côté des progressive democrats, avec l’équipe du « Squad », notamment Alexandria Ocasio-Cortez et Ilhan Omar, qui sont réélues dans un fauteuil. Cette frange nous ressemble plus politiquement, avec leurs engagements autour du Green New Deal et du Medicare for all [2] qui ne correspondent pas vraiment au langage de Biden. Or là où ça bien marché pour les progressive democrats, c’est là où ils ont été en capacité de s’organiser en s’appuyant sur des démarches très locales, sur des mouvements sociaux, sur le terrain, contre les violences policières ou le mal-logement, pour l’accès à la santé pour tous, etc… Ici, seule la France insoumise est pour l’heure capable de faire ça. Aux États-Unis, comme en France, l’un des principaux défis c’est qu’un maximum de gens renouent avec l’enjeu démocratique. Cela ne peut pas se faire sur une sorte de consensus mou, qui serait le plus petit dénominateur commun : c’est un point de départ qui est dangereux et inefficace, voilà l’enseignement.
Au Parlement européen, vous avez mené des batailles communes avec d’autres forces de gauche, comme au sujet de la PAC, récemment. La question européenne a souvent été un point de clivage, à gauche : peut-elle, paradoxalement, devenir un espace de construction commune, dans les prochains mois ?
Des choses évoluent. J’entends Raphaël Glucksmann [député européen apparenté au PS, ndlr] tenir un discours fort sur la souveraineté européenne, expliquant que, tant pour des raisons sociales qu’écologiques, on a intérêt à protéger nos industries européennes. Mais sur d’autres sujets, comme le plan de relance et les 750 milliards d’euros, nous avons des divergences stratégiques, notamment sur un texte actuellement en négociation, le RFF (qui définit la mise en œuvre du plan de relance européen), qui n’exclut pas la possibilité de financer des énergies fossiles.
« Aujourd’hui, la politique n’est plus vraiment un terrain de confrontation d’idées. On en arrive à un débat public proche du caniveau. » |
J’ai entamé un travail de fond sur les traités européens, pour mettre noir sur blanc toutes les dispositions actuelles qui nous posent problème en pratique : le fait qu’on puisse pas aider des entreprises en difficulté à cause de la règle sur la libre concurrence et les interdictions des aides d’État, l’application du semestre européen (qui impose des conditions « austéritaires » aux États comme la réforme des retraites en France), la règle des 3 % de déficit, l’absence de contrôle démocratique sur la Banque centrale européenne, le fait que l’UE ne puisse pas légiférer sur le salaire minimum, avec l’harmonisation sociale qui est rendue difficile… Il faut qu’on parle de concret, ça crédibilisera notre expérience du pouvoir au sein des institutions européennes et montrera notre attachement à une construction supranationale, sans que ça se fasse contre la volonté des peuples. Cela peut être en effet une bonne occasion de dialogue avec les autres forces politiques de gauche, pour voir où et à quel moment on est en désaccord.
Un autre point d’achoppement concerne l’organisation du pouvoir : les écologistes plaident pour une plus grande décentralisation, quand vous défendez la centralité de l’Etat…
Si on veut gagner la bataille contre le changement climatique, il faut une transformation profonde de notre économie, et pour ça, l’État a un rôle central à jouer. Un exemple : la question du secteur aérien. Demain, si vous voulez sauver la planète, il faudra faire voler moins d’avions, c’est arithmétique – ils sont responsables d’environ 10 % des gaz à effet de serre en France, ce n’est pas négligeable. Que fait-on ? On abandonne les salariés du secteur aérien, comme on a abandonné les mineurs de charbon à l’époque, en leur disant « c’est la fin, merci, au revoir », au risque de nourrir une crise sociale et un ressentiment très fort ? Non ! Nous travaillons plutôt sur l’idée d’un État employeur en dernier ressort, qui puisse garantir les emplois et aussi les formations. C’est faux de penser que demain, tous les salariés de l’aéronautique n’auront plus d’emplois – on ne va de toute façon pas se retirer du jour au lendemain du secteur aérien, ni du nucléaire d’ailleurs. Simplement, il faut pouvoir accompagner les salariés de ces industries pour qu’entre-temps, ils ne se retrouvent pas à la rue. C’est à ça que sert un État planificateur.
Est-ce que c’est incompatible avec une meilleure articulation à l’échelle locale ? Non, les deux sont nécessaires. Mais l’avantage d’avoir un cadre centralisé, c’est qu’on est aussi capable d’identifier que la région X a plus de besoins que la région Y, sur tel ou tel aspect. L’État permet cette vision globale, c’est un outil de redistribution des richesses. À travers la planification, l’enjeu, c’est la lutte contre les inégalités. Comme avec le changement climatique, d’ailleurs : on sait qu’il n’affecte pas tout le monde de la même manière, et que tout le monde n’a pas les mêmes capacités à y faire face. Or ce sont les 10 % les plus riches qui sont responsables de la moitié des émissions de gaz à effet de serre… Lutter contre le changement climatique, c’est donc aussi lutter contre les inégalités, et vice-versa.
Mais comment évite-t-on que cette approche centralisatrice ne conduise à la formation d’une sorte d’élite technocrate, qui déciderait des politiques publiques pour les 30 années à venir en restant bien loin des réalités du terrain ?
À travers la démocratie participative. La Convention citoyenne pour le climat a été un bon exemple de cette association entre l’État et les citoyens, bien que Macron en balaye aujourd’hui les propositions d’un revers de main… Mais je partage cette idée : le modèle de société qu’on propose étant tellement différent de l’actuel, il ne marchera pas s’il n’est pas porté par une adhésion démocratique. Donc s’il n’est pas construit à partir d’une participation citoyenne. Voilà d’ailleurs un autre point de clivage qu’on a pu avoir avec les Verts, qui étaient favorables à la taxe carbone. Nous, on y était opposé, non pas qu’il ne faudrait pas taxer les activités polluantes, mais parce qu’il y a nécessité d’organiser, de planifier et de compenser. C’est pour ça qu’on soutenait les Gilets jaunes, là où les Verts étaient plus mal à l’aise. Même si je reconnais que l’épisode les a fait réfléchir sur la question.
Il y a un an, vous aviez invité, à travers une vidéo, le mouvement Extinction Rebellion à venir au Parlement européen, ce qui vous a valu un blâme…
Je leur disais d’aller toquer aux portes des parlementaires européens, parce que c’est eux qui votent un certain nombre de règles climaticides, que ce soit les accords de libre-échange, les subventions aux énergies fossiles ou la PAC. La liste est longue. J’ai donc été sanctionnée pour avoir invité les citoyens à investir le champ démocratique, tandis que près de 20 % des députés reçoivent des rémunérations externes de plus 1 000 euros par mois, notamment par des lobbys, mais qu’ils ne reçoivent aucune sanction, pour cela ! [3] Je découvre au fur et à mesure toutes ces violences institutionnelles qui interrogent forcément sur l’idée qu’on se fait de la démocratie.
Vous qui êtes encore jeune dans l’arène politique, élue seulement depuis quelques mois, comment avez-vous vécu ces dernières semaines qui se sont caractérisées par une certaine violence verbale suite aux attentats ?
Très mal. La violence du milieu politique était l’une des principales raisons pour lesquelles j’ai tant hésité à m’engager, il y a deux ans. Je viens du secteur associatif, de facto je faisais de la politique – mon boulot était de lutter contre l’évasion fiscale et les inégalités, autant dire que ça dessine un certain projet de société… Je n’ai jamais eu peur de mettre des mots forts, mais je vois bien la différence aujourd’hui : je raconte exactement la même chose, au mot près, mais l’animosité n’a plus rien à voir dès lors qu’on pénètre le jeu politique. Ce n’est plus le discours, c’est la posture qui génère cette violence. Une violence forte, quotidienne, qui peut être très difficile à vivre humainement, je pense à ma camarade Danièle Obono, qui n’a pas été épargnée ces derniers mois.
Or cette violence nous fait entrer dans un cercle vicieux, où la violence nourrit la violence, à laquelle on finit par répondre par la violence… Et on en arrive à un débat public proche du caniveau. Aujourd’hui, la politique n’est plus vraiment un terrain de confrontation d’idées. Face à ça, soit vous vous construisez une carapace qui vous rend complètement insensible – mais dans ce cas, vous devenez précisément ce type de personnage politique qui ne me donnait pas trop envie, avant, une espèce de machine. Soit vous restez un être humain, plus perméable, mais vous êtes à la merci de cette violence. C’est difficile de trouver un équilibre, mais il le faut, pour être utile. Personnellement, je ne sais pas si j’ai réussi à le trouver, en tout cas, je me questionne sans cesse là-dessus.
Vous regrettez d’avoir quitté la sphère des mouvements sociaux au profit de la politique ?
À l’époque, je m’étais écrit une lettre à moi-même, et je l’ai relue cet été, parce que j’ai eu des moments de doute – et c’est normal, c’est plutôt sain. Et je me suis rendue compte que les mêmes raisons prévalent encore aujourd’hui, à mes yeux : le terrain politique, à la fin, c’est ce qui change la vie des gens, par un projet de loi ou une règle qui est édictée. Je veux croire que l’action politique est très complémentaire de l’action associative. Je me suis souvenue de toutes les fois où j’ai été frustrée en menant une campagne depuis le secteur associatif, parce qu’à la fin, les lobbys adverses étaient plus forts auprès des députés, et que ce n’était pas moi qui appuyais sur le bouton… Donc je préfère être celle qui appuie sur le bouton, plutôt que de le laisser à des gens en qui je n’ai pas confiance. C’est ce que j’ai envie de dire à tous ceux qui sont impliqués dans les mouvements associatifs, syndicaux, les mouvements sociaux, etc. : envahissez le champ politique ! Les tenants de l’ordre établi ne rêvent que de ça, que vous ne vous empariez pas des pouvoirs politiques… donc faites-le !
Recueillis par Barnabé Binctin et Ivan du Roy
Photos : © Romain Guédé
Notre précédente interview politique : « Je suis passée d’une écologie des petits gestes à une écologie qui remet en question le système » |