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SOURCE : NPA
Le 5 novembre, les travailleuses et les travailleurs de la métallurgie (ils sont plus de 1 600 000) ont de nouveau fait grève pour la convention nationale de travail, grève réussie malgré des difficultés importantes et un contexte de forte reprise de la pandémie.
Quand, au printemps dernier, la crise sanitaire a explosé en Italie, surtout dans les régions les plus industrialisées du Nord, les patrons ont exercé de fortes pressions pour que l’économie ne s’arrête pas. Il fallait maintenir les profits, même si cela signifiait envoyer au massacre les travailleurs et les travailleuses, et mettre en danger la santé de secteurs entiers. Avant que le gouvernement ne décrète enfin le confinement des activités productives, le 22 mars, le virus a pu continuer à se répandre, à cause aussi de ce choix terrible. Dans la province la plus touchée par le Covid, Bergame, où je vis, qui est aussi l’une des zones industrialisées et manufacturières les plus denses d’Italie et d’Europe, 6 100 personnes sont mortes en 2 mois, soit environ 700 % de plus que la moyenne.
Les patrons veulent faire payer l’addition aux travailleurs/ses
Ces mêmes patrons, en grande partie ceux de la métallurgie, qui, pendant des mois, de façon criminelle et irresponsable, ont fait passer leurs intérêts avant notre santé, veulent maintenant que l’addition soit réglée sur le plan économique et salarial. Addition que la plupart des travailleurs et des travailleuses ont déjà payée, entre le chômage technique (qui, en Italie, ne couvre en moyenne qu’un peu plus de la moitié du salaire) et les centaines de milliers de licenciements de précaires.
La Confindustria (l’association des patrons, équivalent du Medef en France) a déclaré la guerre aux syndicats, par l’intermédiaire de son président, Bonomi, nouvellement élu, qui vient de la Confindustria de Lombardie, c’est-à-dire de la région qui a été principalement responsable des ouvertures forcées des usines en plein Covid. Le nouveau « faucon » des industriels a attaqué les conventions collectives nationales qui, en Italie, sont, historiquement, le principal moyen de fixer les salaires, mais aussi les droits, les horaires et les conditions de travail (chez nous, en fait, il n’existe pas de loi sur le salaire minimum et ce sont les conventions nationales qui fixent les minima salariaux).
La Confindustria part avec une longueur d’avance vu que, ces dernières années, les conventions collectives se sont peu à peu affaiblies et qu’elles ont, aujourd’hui, déjà perdu une grande partie de leur force historique à cause des continuels renoncements des organisations syndicales confédérales mais aussi de la précarisation toujours croissante du monde du travail et de sa coupure entre contrats d’entreprise et contrats de sous-traitance.
En 2018, suite à un renouvellement désastreux de la convention des métallurgistes (la catégorie qui, par le passé, a joué au contraire un rôle moteur dans les négociations), la Confindustria a tiré profit de l’acceptation par les syndicats d’un nouveau type de contrat (le « Pacte pour l’Usine1 ») qui encadre les salaires en les indexant sur l’inflation (par ailleurs allégée des coûts énergétiques, et donc moindre que celle qui pèse vraiment sur ce que touchent les travailleurEs). Avec ce dispositif, les salaires restent fixes (ou augmentent à peine) et on remplace les augmentations en espèces par le welfare d’entreprise (assurances maladie et retraite, mais aussi bons d’achat ou essence), qui coûte moins cher aux entreprises et qui n’a pas d’incidence sur les futures retraites des travailleurs. L’éventuelle redistribution des richesses est ainsi limitée aux rares entreprises où le syndicat arrive à obtenir en plus un contrat (supplémentaire ou complémentaire) dans l’établissement lui-même (soit, en Italie, en moyenne, seulement 20% du total) mais c’est variable et le plus souvent lié à la productivité.
Les syndicats de certains secteurs, malgré ce modèle contractuel, ont réussi pendant ces deux dernières années à obtenir quelque chose de plus de leurs conventions nationales, bien que cela reste dans une dynamique de forte modération salariale et, le plus souvent, en contrepartie de droits sur les aspects règlementaires. Ce sont les métallurgistes qui ont subi l’entièreté de ce modèle contractuel : en 4 ans, leurs salaires mensuels n’ont augmenté que de 40 euros, ce qui est encore moins que les ajustements prévus pour les retraites.
Mais, pour tous les travailleurs et toutes les travailleuses, le moment est venu de régler les comptes avec la Confindustria qui demande le respect du « Pacte pour l’Usine » sur les salaires, alors qu’elle remet en cause la nature nême de la relation de travail et du lien entre le salaire et l’horaire de travail, et qu’elle profite aussi de la diffusion, provoquée par le Covid, du smartworking (dans l’urgence, c’est-à-dire sans règles) et de la dangereuse déstructuration des conditions de travail que celui-ci risque d’entraîner2.
Les données de l’affrontement
Cet affrontement, lié aux salaires et aux conventions de travail nationales, est aujourd’hui central dans la situation syndicale italienne d’autant plus qu’il concerne aujourd’hui environ 10 millions de travailleurs et de travailleuses en attente du renouvellement de leur convention nationale, pour certainEs avec un retard de plusieurs années. Dans le secteur privé, sont concernés : la métallurgie, le commerce, la logistique, les services de protection sociale, les multiservices (dans la plupart des cas les activités contractuelles de nettoyage et de services aux entreprises), les télécommunications, les assurances, l’industrie du bois, celle du textile, les chemins de fer, etc. On peut ajouter tous les travailleurs et toutes les travailleuses du secteur public: organes centraux de l’État, santé, école, université et recherche, ministères, administration publique, etc.
Les travailleurs du secteur du caoutchouc-plastique viennent juste de signer leur convention collective, mais avec une augmentation très faible, à peine supérieure à l’inflation et qui ne prend pas en compte toute l’année 2020.
Les conventions nationales de l’industrie alimentaire et de la santé privée (pour cette dernière après un retard d’au moins douze années) ont été signées elles aussi mais, immédiatement après, elles ont été boycottées par de nombreux patrons de ces deux secteurs qui n’ont plus adhéré à ces conventions et en ont choisi d’autres, mieux « adaptées » (bien que les syndicats le demandent depuis longtemps, il n’y a pas, en Italie, de loi qui impose aux entreprises d’appliquer une convention nationale plutôt qu’une autre et, depuis longtemps, les conventions signées par des « syndicats pirates » pour faire faire des économies aux entreprises sont de plus en plus nombreuses).
L’enjeu est donc important et ne concerne pas que les salaires et les droits de 10 millions de travailleurs et de travailleuses, mais aussi le rôle même de la convention de travail nationale dans une situation très compliquée, à cause de la crise économique mais aussi vu les difficultés de mobilisation et celles de l’activité syndicale elle-même à cause des mesures anti-Covid (même faire les assemblées sur les lieux de travail est devenu difficile). Tout cela alors que de plus en plus d’établissements vont jusqu’à annuler la négociation d’entreprise.
La grève de la métallurgie
Le point de conflit le plus important est celui des métallurgistes. Depuis quelques jours, Federmeccanica (l’association des patrons de la métallurgie) a rompu la négociation qui était en cours depuis presque un an et qui avait été stoppée pendant des mois à cause du Covid. Le conflit porte explicitement sur la question salariale. D’un côté, les patrons qui ne veulent pas accorder de véritables augmentations mais seulement le welfare d’entreprise, en renvoyant la négociation au niveau de chaque usine ; de l’autre, les trois principaux syndicats qui, de façon pour le moment unitaire, demandent enfin de vraies augmentations (8 % sur les minima des grilles de salaires, 140 euros par mois, en moyenne), pour un secteur dont les salaires, depuis cinq ans, sont pratiquement bloqués.
Le conflit n’est pas seulement sur le fond : il est aussi idéologique, surtout pour les entreprises, qui se sentent bien représentées par la Confindustria et par son faucon « Bonomi ».
Le 5 novembre, les métallurgistes se sont enfin mis en grève. Il n’a pas été facile de créer un climat de lutte, de construire une volonté de mobilisation dans les entreprises mais, finalement, les « salopettes bleues » se sont de nouveau mobilisées et, dans beaucoup d’usines, surtout dans le Centre-Nord, la production a été arrêtée. C’est un résultat non négligeable, vu que la crise sanitaire atteint de nouveau des niveaux très préoccupants et que, dans certaines régions, il n’a pas été possible de manifester à cause des nouvelles restrictions sanitaires, même si cela n’a pas empêché d’organiser de nombreux rassemblements devant les entreprises et les sièges de la Federmeccanica. Vendredi prochain, ce sera au tour des agents d’entretien et de service, qui attendent depuis sept ans une augmentation des salaires. C’est une catégorie très fragile, soumise à un chantage permanent mais qui décide enfin de faire grève.
Espérons que ces initiatives ne sont qu’un début, parce que la vraie question c’est de pouvoir continuer sur une longue période une contestation d’ensemble où puisse se jouer un véritable affrontement de classe. En sachant aussi que les trois syndicats n’ont pas la même capacité de résistance et que la Fiom3 elle-même (celle qui est la plus capable de mobiliser les travailleurs) paye très cher de graves erreurs commises ces dernières années, à partir de l’acceptation calamiteuse de la convention nationale précédente qui, de fait, a ouvert la voie au modèle salarial auquel les patrons aspirent maintenant.
La nécessité d’une initiative d’ensemble
Il est important de lier la contestation des métallurgistes à la crise plus générale causée par l’urgence sanitaire, y compris pour éviter que la droite négationniste n’instrumentalise le malaise et la colère du pays tout entier par rapport aux choix du gouvernement, qui pendant ces derniers mois a laissé sans solution les questions centrales que sont la santé, l’école, les transports publics et le dépistage. Ce qui serait surtout utile aujourd’hui, ce serait une initiative d’ensemble de toute la confédération, pour regrouper l’ensemble des désaccords concernant les conventions de travail, unifier les initiatives de luttes isolées et créer un climat de mobilisation générale de l’ensemble du monde du travail, en réaction à l’attaque massive de la Cofindustria, tout en demandant au Gouvernement de garantir la santé, la sécurité et les revenus face à une seconde vague du Covid très dangereuse.
Jusqu’à présent, les syndicats, y compris la Cgil4, ont choisi la voie de la modération et de la concertation, en centrant tout sur le seul blocage des licenciements jusqu’au mois de mars (mesure très importante mais qui ne répond qu’en partie au malaise du pays tout entier) en espérant obtenir quelques bricoles du gouvernement par rapport à la contestation des conventions collectives, par la réduction des impôts sur les augmentations salariales. C’est une véritable erreur parce que cela ferait payer à la collectivité et à l’État providence cette redistribution des richesses que les patrons ne veulent pas faire. S’il y a une chose que le Covid devrait nous avoir enseignée, c’est que, à commencer par la santé publique, on ne touche pas à l’État providence. Nous devrions plutôt exiger du gouvernement qu’il intervienne sur la défense de l’emploi et sur la retristribution du travail, à partir de la réduction du temps de travail et de l’abaissement de l’âge de la retraite. Nous devons faire céder les patrons sur les conventions nationales et les salaires à partir des luttes des métallurgistes qui, malgré les difficultés qu’elles rencontrent, représentent, après tant d’années, une possibilité de relever la tête. Espérons que l’occasion ne sera pas de nouveau gâchée.
Traduction de Bernard Chamayou
- 1.L’accord entre les syndicats et la Confindustria sur le “nouveau modèle de relations contractuelles et industrielles”, a été signé le 28 février 2018 – NDT.
- 2.« Flexibiliser » en est le maître-mot. Cela rejoint aussi certains aspects du welfare d’entreprise dont il a été question plus haut. NDT.
- 3.Fédération Italienne des Ouvriers Métallurgistes.
- 4.Confédération Générale Italienne du Travail (équivalent de la CGT), dont la Fédération Italienne des Ouvriers Métallurgistes fait partie.