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SOURCE : Reporterre
L’implantation d’Amazon en France connaît une dynamique exponentielle. Rien que ces deux derniers mois, cinq agences de livraison ont ouvert. La multinationale semble inarrêtable et profite de la complicité du gouvernement pour se développer. Reporterre publie la carte actualisée de l’emprise du géant du commerce en ligne.
L’empire Amazon ne cesse de s’étendre alors que la pandémie ronge le pays. En quelques années, le réseau de la multinationale est devenu tentaculaire. Ses gigantesques entrepôts poussent partout. En France, Amazon compte désormais 31 sites logistiques et souhaite, d’ici 2021, doubler ses surfaces de stockage, qui dépassent déjà les 800.000 m2. Du jamais vu.
L’entreprise étasunienne ne connaît pas la crise. Elle a su se rendre omniprésente dans les esprits comme sur le territoire. Aujourd’hui, près d’un Français sur trois achète sur son site internet qui concentre à lui tout seul 22 % des achats en ligne et accueille plus d’un million d’internautes… par jour. En France, c’est le premier site de vente en ligne pour la mode, la culture, l’électronique et l’électroménager, la beauté et même les meubles. Avec les deux confinements, son expansion n’est pas près de s’arrêter. La pandémie lui a permis de battre des records de vente.
Au troisième trimestre 2020, au niveau mondial, la multinationale a affiché un bilan financier insolent. Ses bénéfices nets ont triplé et son chiffre d’affaires a augmenté de 37 %, à 96,1 milliards de dollars. Tandis que la fortune de son PDG, le libertarien Jeff Bezos, a atteint des sommets jamais égalés. Il pourrait devenir d’ici 2026 le premier « trillionaire » [1] de l’histoire. En six secondes, il gagne autant qu’un salarié français moyen pendant toute la durée de sa vie.
Construire le monopole, se rendre indispensable
Pour conquérir la France, la stratégie de la multinationale est, somme toute, assez simple : il s’agit de construire tous azimuts des plateformes logistiques et d’accroître partout son monopole, jusqu’à se rendre indispensable. Dans le journal Les Échos, Ronan Bolé, le directeur d’Amazon France logistique indiquait ainsi, « vouloir ouvrir 5 à 10 agences de livraison par an ». Il en existe déjà 19 à travers le territoire. La direction souhaite aussi « développer chaque année un grand centre de distribution dans des zones où Amazon n’est pas encore implantée ».
Dans le viseur de la multinationale : le « Grand Ouest », où elle cherche à créer plusieurs sites : un mégaentrepôt de 185.000 m2 à Montbert (Loire-Atlantique), près de Nantes, et une agence de livraison à proximité de Quimper (Finistère). Au total, Reporterre a recensé au moins huit projets en chantier. Quatre entrepôts à Rouen (Seine-Maritime), Metz (Moselle), Lyon et Montbert, deux centres de tri à Fournes (Gard), et à Belfort, ainsi que deux autres agences de livraison, à Briec (Finistère) et Belfort.
Il y a un an et demi, dans une enquête en trois volets, Reporterre racontait déjà les coulisses de ces implantations où les maires signent des clauses de confidentialité et où Amazon avance couvert, en sous-traitant l’achat de terrain et la maîtrise d’ouvrage à des sociétés-écran, comme Goodman. Plus récemment, le quotidien de l’écologie s’est infiltré dans le tout nouvel entrepôt de Senlis, dans l’Oise, qui a artificialisé plus de 16 hectares de terres agricoles et où les critiques émises par l’Autorité environnementaleont été balayées d’un revers de la main.
Coûte que coûte, Amazon avance, en dépit de ses conséquences flagrantes sur l’environnement. Preuve de son essor : entre septembre et octobre dernier, en deux mois seulement, la multinationale a ouvert cinq agences de livraison, à Carquefou (Loire-Atlantique), à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), à Seynod (Haute-Savoie), à Avion (Pas-de-Calais) et à Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime). À Metz, le chantier du futur entrepôt robotisé de 185.000 m2 va également débuter. Tout s’accélère. « Bientôt Amazon va avoir les moyens et les supports logistiques pour prendre le contrôle du marché français », alerte Alma Dufour, des Amis de la Terre.
Une stratégie d’incitation à la surconsommation
La multinationale a fixé comme priorité la construction d’agences de livraison, aussi dites « du dernier kilomètre ». Ce choix ne rassure pas les associations environnementales : « Ces agences permettent de livrer le client en moins de 24 heures, explique Alma Dufour. C’est un préalable à l’abonnement Prime et une manière de fidéliser le consommateur. » Ce forfait, très couru aux États-Unis, pousse à la surconsommation, augmente le fret aérien et fait exploser le bilan carbone de l’entreprise.
De l’autre côté de l’Atlantique, un client abonné au Prime, et donc livré en moins de 24 heures, consomme deux fois plus sur Amazon qu’un client normal. En France, un client Prime achète en moyenne sept catégories de produits différents sur le site quand le consommateur classique en achète seulement deux. Ces agences de livraison sont comme un cheval de Troie. Elles nourrissent un modèle productiviste qui, pour tenir, doit sans cesse croître.
Mais ce système n’a rien d’un élan naturel ou d’une « destruction créatrice », comme aimeraient faire croire les libéraux. Il est le fruit d’une politique mûrement réfléchie dont Emmanuel Macron est l’orfèvre depuis qu’il est devenu ministre de l’Économie sous François Hollande, en 2014. Nous le racontions déjà, mais, il n’est pas inutile de le rappeler, c’est lui qui avait été le commanditaire de « la stratégie nationale pour la logistique » en 2015, qui voulait « faire de la plateforme France une référence mondiale ». À l’époque, les normes avaient été allégées pour construire des entrepôts logistiques allant jusqu’à des capacités de stockage de trois millions de m3.
Une fois président de la République, Emmanuel Macron a aussi inauguré le site Amazon de Boves près d’Amiens et reçu Jeff Bezos à l’Élysée. Le secrétaire d’État au numérique, Cédric O, était lui présent à l’ouverture de l’entrepôt de Brétigny-sur-Orge en 2019.
« Le chef de l’État assume ce choix industriel. L’implantation d’Amazon est bien pratique pour cacher l’échec de certaines politiques », estime Alma Dufour. À Boves, Amazon s’est implantée sur les ruines de Whirlpool et de Goodyear. À l’époque, le gouvernement n’avait pas réussi à éviter les licenciements. À Belfort, Amazon a annoncé la création d’un entrepôt quelques jours après le plan social chez General Electric, qui va supprimer près d’une centaine d’emplois. Sous couvert d’anonymat, un maire des environs admet à Reporterre « un deal entre l’État et Amazon » : « Ils ont négocié en sous main pour que les deux annonces sortent au même moment. »
Le gouvernement entre complicité et laisser-faire
Au sommet de l’État règne une certaine complicité avec la multinationale mais aussi une forme de laisser-faire. Le gouvernement refuse de réguler le secteur. Aucune taxe sur les bénéfices exceptionnels d’Amazon n’a été votée, le moratoire sur les plateformes de commerce en ligne a été abandonné. Pire, le projet de loi de finances 2021, en divisant par deux les impôts locaux de production, va offrir plus de 60 millions d’euros à Amazon, estiment les Amis de la Terre.
Rarement le double discours de l’exécutif n’a été aussi palpable. Sur le terrain, rien n’est fait mais dans les médias, les ministres bombent le torse pour essayer de calmer la fronde des petits commerçants, qui se plaignent d’une concurrence déloyale.
Dimanche 1er novembre, sur TF1, Jean Castex a ouvert le bal (des hypocrites). Il a convié les Français à « peut-être, pendant ce mois-ci, retarder ou décaler [des achats], plutôt que de commander, sur un grand site étranger, des produits par internet ». Dans un style plus direct, Roselyne Bachelot, la ministre de la Culture, a surenchéri dès le lendemain sur LCI : « Oui, Amazon se gave, à nous de ne pas les gaver », lâchait-elle. Quelques jours plus tard, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, désignait « les géants du numériques » comme « des adversaires des États », puis demandait aux Français de « faire un geste patriotique » en appelant leur commerce de proximité plutôt que des plateformes de commerce en ligne.
Mais, dès que des parlementaires ont réclamé des mesures coercitives à l’Assemblée nationale ou au Sénat, le secrétaire d’État au numérique, Cédric O, est monté au front pour désamorcer les velléités de contrôle. « Il existe une psychose française sur Amazon, a-t-il dénoncé. Attaquer Amazon parce qu’ils proposent un meilleur service, je pense que c’est un mauvais combat. »
Pourtant, aux quatre coins de la France, des collectifs citoyens se montent pour stopper l’élan de la multinationale. Ils étaient 300 à manifester mardi 17 novembre à Montbert, près de Nantes, contre le projet de mégaentrepôt. Quatre sites ont déjà été abandonnés, deux en Alsace, un à proximité de Caen et un autre à deux pas de la Zad de Notre-dame-des-Landes. La multiplication des recours juridiques ralentit la multinationale. À Rouen, la métropole a aussi voté contre le projet local. À défaut de régulation étatique, à l’avenir, la bataille se jouera donc sur le terrain.