AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Slate
Les entraves pour se projeter vers l’avenir se multipliant, le moral de la jeunesse est en berne.
La survenue du Covid place les nouvelles générations dans un embarras au double sens du terme. D’abord, elle pose un obstacle inattendu à leur cheminement vers l’âge adulte et vers l’autonomie, alors que plusieurs facteurs étaient déjà présents pour freiner cette avancée, comme la difficulté d’insertion pour les jeunes sans formation et, parallèlement, pour les autres, la pression à pousser les études le plus loin possible, ou la difficulté à financer un logement à soi pour les étudiants et pour une partie de ceux qui travaillent déjà.
Ensuite, elle les met dans un embarras au sens de perplexité: il est difficile de s’accrocher à un projet quand l’accès aux cartes qui permettent d’inventer son avenir se restreint brutalement. Dans L’Âge des possibles, film culte des années 1990, Pascale Ferran décrit les tâtonnements existentiels d’une poignée de jeunes adultes qui hésitent à s’engager face à l’éventail d’opportunités encore ouvertes. Cette image d’un horizon large disparaît quand tout projet personnel est soumis à la versatilité de décisions administratives et que l’économie chancelle.
La perte d’autonomie
Listons les obstacles inédits qui ont surgi pour les post-adolescents. D’abord, les difficultés à suivre sereinement le cours de leurs études puisque, dès mars, toutes les universités se sont reconverties à l’enseignement à distance et que depuis, elles n’ont été entrouvertes que pendant de courtes périodes (en particulier en octobre). Or, la vie universitaire, avec sa sociabilité, les opportunités d’enseignements, de rencontres et d’offres culturelles, est un sas initiatique en soi, et n’a rien à voir avec le fait de suivre des cours par écran interposé à partir de sa chambre.
Ces mauvaises conditions pédagogiques se sont doublées d’un chemin de croix pour trouver des stages ou mener des enquêtes ou des recherches personnelles, pourtant aujourd’hui chainons indispensables des cursus universitaires, sans parler de l’impossibilité de séjours à l’étranger, requis eux aussi dans nombre de cursus. À ces affres, est apparue la crise de l’emploi qui aujourd’hui touche tous les jeunes, même les frais émoulus bien diplômés. Enfin, à un âge où la construction identitaire et le rapport au monde se nourrissent de liens amicaux et amoureux, et où la vie du corps et les émotions sont primordiales, cette effervescence a été contrainte de se discipliner, abandonnant beaucoup de millennials à une insolite solitude et/ou au retour au bercail familial.
Pendant le premier confinement, 47% des étudiants français ont changé de logement, la plupart du temps pour retourner chez leurs parents, et trouver un cadre de vie plus confortable –les élèves étudiants des grandes écoles (plus de 50%) ont été les plus nombreux à aller vivre ailleurs, contre 39% des étudiants de l’université. Aux États-Unis, fermeture des universités et chômage aidant, on a observé un retour massif des moins de 30 ans chez leurs parents, au point qu’en septembre 2020 une majorité de cette classe d’âge vit dans son foyer d’origine, soit plus que pendant la Grande récession. Les entraves pour s’autonomiser se multipliant, le moral de la jeunesse est en berne.
Perception des jeunes adultes sur leur sort
Les deux mois passés en confinement (en famille ou seuls) au printemps 2020 resteront gravés dans les esprits de la jeunesse tant il s’agit d’une expérience inédite. Plusieurs enquêtes ont montré comment, pour elle, cette période a été traversée par de l’angoisse, de la diminution de sommeil, et même pour certains d’entre eux la peur d’un ébranlement de leur santé mentale, et/ou une augmentation de pratiques addictives. Un point intéressant: en mars-avril beaucoup de jeunes ne sont presque pas sortis, non pas par goût de l’enfermement mais sans doute parce qu’ils ont l’habitude de la sociabilité à distance, et aussi par peur d’être infectés et par sens de leur responsabilité sociale; de ce fait ce sont les personnes âgées qui ont le plus mis le nez dehors[1].
Le retour au confinement en novembre n’a plus le charme d’un moment exploratoire inédit limité dans le temps. Il déclenche plutôt la fatigue de la répétition, et la détresse psychologique qu’entraîne l’accumulation d’entraves pour se projeter vers l’avenir.
En puisant à diverses sources, le Financial Times dresse un tableau du moral des jeunes (18-34 ans) face à la pandémie. On note ainsi leur scepticisme face à l’action des pouvoirs publics. Une grande partie d’entre eux ont le sentiment que ces derniers ne contrôlent pas grand chose de la crise sanitaire: près de 80% en Espagne, aux États-Unis et en Grande-Bretagne; 60% en France, 42% en Allemagne, les taux, sans surprise, étant sensiblement meilleurs dans les pays asiatiques (Ipsos Mori Survey, octobre 2020).
Ensuite, la confiance envers la démocratie chez les jeunes adultes, déjà en érosion depuis 2016, connaît une chute libre (elle passe de près de 50% à 35%). Or, cette spirale de pessimisme est purement générationnelle, alors que pour les baby-boomers, la confiance démocratique navigue de façon assez étale un peu au-delà de 50% pour la même période, et est encore plus élevée chez les plus âgés (étude sur soixante-quinze pays, Center for the future of Democracy).