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SOURCE : Frustration
Attractivité, n.f. : capacité d’un pays, d’une région ou d’une ville à courber l’échine face à des entreprises privées en recherche de main-d’œuvre pas chère, des cadres en costume bleu et baskets blanches en quête de soleil et d’écoles privées, et des actionnaires en manque de paradis fiscal.
« Nous sommes aujourd’hui le pays le plus attractif en termes d’investissements productifs », a affirmé Emmanuel Macron devant un parterre de 200 patrons invités au château de Versailles le 17 janvier 2020. Face au décor royal et au régime champagne-petits fours, ils ont certainement été d’accord. Pourtant, « une majorité des dirigeants étrangers interrogés par Business France pense que les deux mouvements [gilets jaunes et contre la réforme des retraites| ont eu un impact négatif sur l’attractivité de la France », fulmine le journal Les Echos. Les gueux ont gâché la fête, l’attractivité en a pris un coup. Rien n’est cependant perdu, apprend-t-on depuis Bordeaux, « parce que nous avons tous besoin d’une dynamique de territoire, la Région a lancé une démarche d’attractivité transversale et partagée avec les acteurs de la Nouvelle-Aquitaine. Car ensemble, nous partageons les mêmes défis, et ensemble nous serons plus forts », nous explique avec enthousiasme la région Nouvelle Aquitaine (ex-Aquitaine, Poitou-Charentes, Limousin – on ne vous demandera pas qui est le plus attractif parmi les ex). Heureux, ces dirigeants ont lancé un « club de l’attractivité » qui est, accrochez-vous, une « démarche partagée et fédérative qui a pour but de co-construire l’attractivité de notre territoire avec l’ensemble des acteurs qui souhaitent s’y associer. » ce n’est plus une phrase, c’est un bingo de tous les mots creux, pardon, clefs, de notre époque.
Attirer “les talents et les créatifs”, mode d’emploi
Avec un tel programme, la Nouvelle Aquitaine semble bien partie pour… quoi, au fait ? « Valoriser, garder et attirer les talents et les créatifs », nous explique son site internet. Les « talents » et les « créatifs », ce ne sont ni vous ni moi. « Talent » est un terme du globish d’entreprise multinationale qui désigne les salariés qualifiés qu’il faut à tout prix garder. Chaque grosse entreprise a son département « Talent » qui a pour but de les attirer. « Créatif » est un terme quant à lui promu par un géographe médiatique nord-américain au nom de jus de fruit industriel : Richard Florida.
En 2002, il publie un best-seller intitulé « The Rise of the Creative Class » (qu’on peut traduire par « l’avènement de la classe créative ») qui a popularisé parmi les élites nationales et régionales l’idée selon laquelle une ville ou un territoire dynamique devraient être capables d’attirer et de retenir cette population. La région Nouvelle Aquitaine se réclame directement de Florida dans son « guide de bonne pratique » pour des politiques locales d’attractivité : « L’enjeu consiste à amorcer et soutenir le cercle vertueux de l’attrait auprès de la classe créative », explique le document. Cette population que Wikipédia définit comme « urbaine, mobile, qualifiée et connectée », ne comprend clairement pas votre oncle artisan dans les Landes. Lui ne figure pas dans le cercle vertueux que la région compte « amorcer et soutenir ».
Cette classe qui monopolise diplômes, branchitude et montres connectées Apple, nous l’appelons, en France, « les CSP+ » et chez Frustration, la sous-bourgeoisie. Elle est la courroie de transmission entre les possédants et le reste de la société et utilise ses savoirs et son réseau pour garantir aux premiers le meilleur taux de remontée de dividendes. Elle sort de grandes écoles : de commerce, d’ingénieur… Bref, la classe créative ne compte ni votre cousin étudiant en socio, ni votre sœur titulaire d’un CAP.
Depuis le début des années 2000 et la mise en concurrence officielle des régions, des villes et des pays au sein du grand jeu de plateau pour riches appelé mondialisation, des milliers de personnes se consacrent à comprendre comment attirer ces « talents », ces « créatifs ». On apprend par exemple que la météo joue son rôle, mais aussi la proximité de grands campus « connectés ». Richard Florida est allé jusqu’à affirmer qu’il fallait la présence d’un quartier gay (qui donne un coté San Francisco) et la possibilité d’avoir une vie bohème, mais pas trop (le côté Berlin). Bref, mettez-moi quelques friches industrielles reconverties en salle de concert / bar à Smoothy, un campus avec un tramway, deux-trois « éco-quartiers » avec terrasses plein sud et tenez bien éloignés de ces zones « attractives » les quartiers où vivent les ouvriers et employés qui feront tourner tout ça.
“Il faut souffrir pour être attractif”
Des tas d’organismes plus ou moins bidons ont été créés pour gagner la bataille de l’Attractivité. En 2001, L’Agence française pour les investissements internationaux a été fondée par le gouvernement français pour attirer multinationales et salariés qualifiés dans le pays. Devenue depuis Business France (l’attractivité mérite bien qu’on renonce à sa langue natale), cette agence a été dirigée par Muriel Pénicaud, ex ministre du Travail, qui a fait le plus grand pas en faveur de l’attractivité de la France une fois nommée au gouvernement : ses ordonnances travail permettent aux grands groupes d’embaucher en France, puis de licencier quand ça leur chante.
Emmanuel Macron, qui était en 2016-2017 le candidat le plus attractif pour les capitalistes étrangers et exilés fiscaux (envers qui il a multiplié les levées de fonds pour financer sa campagne), est un partisan enthousiaste de « l’attractivité ». Il a lancé un grand plan intitulé « Choose France » (mais pas la langue française) pour attirer les grandes entreprises du monde entier. Et comment, concrètement ? Le site internet de l’opération nous apprend que l’un des objectifs clés est de « renforcer (Ndlr: encore) l’attractivité de la France en permettant aux entreprises d’embaucher et d’investir, en développant l’offre scolaire internationale et en mettant en œuvre la loi PACTE (sur la croissance et la transformation des entreprises). »
La loi PACTE, votée en 2018, est venue « alléger » à nouveau le droit du travail et a lancé la privatisation d’Aéroport de Paris, de la Française des Jeux et ouvert encore un peu plus le capital d’Engie (ex-Gaz de France). Venez venez, les petits capitalistes, la France a des petits cadeaux pour vous !
Et ça marche ? Eh bien, ça dépend pour qui. Ni pour votre oncle, ni pour votre cousin, ni pour votre sœur, ni pour tous les contribuables. Car malgré l’argent public versé en masse depuis près d’une décennie, puisque Sarkozy comme Hollande étaient de grands partisans du « renforcement de l’attractivité » du pays, l’industrie française vit au rythme des plans de licenciements. Même les entreprises à qui les gouvernements successifs ont donné des millions d’euros – via le CICE par exemple –, continuent de virer des gens. C’est le cas de Sanofi par exemple, ou de Michelin, qui a utilisé l’argent donné pour acheter des machines et… les envoyer dans ses usines d’Europe de l’Est et d’Espagne. Désolé mais le niveau du SMIC Français n’était pas assez attractif pour leurs actionnaires.
Tel un amant éploré après un énième cadeau sans remerciement, notre pays continue ses efforts en direction des entreprises et démolit son droit du travail et sa protection sociale pour tenter d’être aussi attractif que la Pologne en termes de coût de main-d’œuvre. Mais après tout, les ouvriers et les employés, on s’en fout, ce ne sont pas des « talents ». Du moment qu’on a des chercheurs, des ingénieurs et des cadres sup !
Grand match Paris-Bordeaux-Marseille : qui attirera le plus de connards en basket blanches ?
C’est ainsi qu’à l’image du pays, les « métropoles » comme Paris, Bordeaux, Lyon ou Marseille, tentent de se transformer pour devenir le terrain de jeu favori de la bourgeoisie. Paris s’y est employée dès les années 90, en virant toute une partie de sa population ouvrière. Marseille tente de dépopulariser son centre-ville à base de grands travaux et serait récemment devenue une destination instagramable pour trentenaires branchés que la capitale ennuie. « Cet été, nous racontait Libération en août avec gourmandise, la ville attire des touristes d’un genre nouveau, des «créatifs» issus de la mode ou des médias. Qui investissent les mêmes lieux et se délectent d’une cité tendance, mais tout de même «un peu bad boy»… »
Le passage de plusieurs grandes villes aux mains des écolos lors des dernières municipales représenterait-il un coup de frein à la concurrence entre villes pour la quête de CSP+ ? Pas si sûr. Les pistes cyclables, les défis zéro déchets et les façades végétalisées sont devenues essentielles à une classe sociale qui est la plus polluante et la moins désireuse d’en finir avec le capitalisme et qui a donc besoin de verdure et de bicyclettes pour pouvoir se regarder dans le miroir et se kiffer toujours autant.
En attendant, notre pays si attractif pour les « investissements » , nos « métropoles » si attirantes pour les « talents » et les « créatifs » et nos régions qui s’affrontent pour attirer le plus de costard-baskets blanches sont en train de devenir des zones répulsives pour tous les autres. Celles et ceux qui travaillent, celles et ceux qui créent, celles et ceux qui vivent et que nos dirigeants mettent à genoux pour produire des villes, régions et pays conformes aux désirs et appétits de la bourgeoisie.
Nicolas Framont