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SOURCE : Reporterre
Le recours porté par les associations écologistes contre l’État pour inaction climatique a été jugé jeudi 14 janvier. La rapporteuse publique recommande de condamner l’État. Décision sous quinze jours.
Jeudi 14 janvier, dans l’après-midi, la rapporteuse publique a invité le tribunal administratif de Paris à reconnaître la « carence fautive » de l’État dans la lutte contre le changement climatique. Si cet avis est suivi par les magistrats, qui devraient se prononcer dans un délai de quinze jours, « ce serait une décision historique pour la justice climatique en France », estime Cécilia Rinaudo, coordinatrice générale de l’association Notre affaire à tous.
C’était la première audience de l’Affaire du siècle, ce recours en justice déposé en mars 2019 par quatre ONG — Notre affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas Hulot — contre l’inaction climatique de l’État. Trois mois plus tôt, les associations avaient recueilli plus de deux millions de signatures dans la pétition qu’ils avaient lancé pour dénoncer l’inaction climatique du gouvernement français.
Au tribunal administratif, la rapporteuse publique a constaté « la carence de l’État à adopter des mesures publiques contraignantes », dont résulte « un surplus annuel d’émissions de gaz à effet de serre qui aggrave le préjudice écologique ». La présentation de ses conclusions a été largement étayée par des données scientifiques, notamment les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Le non-respect de la trajectoire que s’est lui-même fixée l’État, transcrite par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), a beaucoup pesé dans sa recommandation.
La préconisation de la rapporteuse publique s’inscrivait également dans le prolongement de la décision rendue le 19 novembre 2019 par le Conseil d’État. Saisie par la ville de Grande-Synthe (Nord), menacée par la montée des eaux, la plus haute juridiction administrative avait alors fixé un ultimatum à l’exécutif en lui donnant trois mois pour « justifier que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée ».
« Même si la France n’est pas le pays le moins vertueux, chaque pays doit faire sa part »
La rapporteuse a aussi souligné les limites de la responsabilité des comportements individuels. Bien qu’ils aient des conséquences, ils doivent être orientés par l’État avec des modifications structurelles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Quant à la tentation de se pencher sur l’action insuffisante des autres pays du monde, elle a déclaré que « même si la France n’est pas le pays le moins vertueux, chaque pays doit faire sa part et est responsable de réduire ses émissions ».
Elle a par ailleurs reconnu l’intérêt à agir de Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas Hulot, mais pas celle de Notre affaire à tous, dont elle a estimé la requête « irrecevable » en raison de la jeunesse de l’association, qui n’aurait pas prouvé qu’elle menait une action cohérente de lutte contre le changement climatique.
La rapporteuse publique a proposé au tribunal administratif de condamner l’État à verser un euro symbolique aux ONG requérantes — sauf Notre affaire à tous — en réparation de leur préjudice moral. Elle l’a en revanche invité à rejeter la demande de réparation du préjudice écologique, au motif qu’il peut encore être corrigé, et à accorder au gouvernement un délai supplémentaire pour prendre les mesuresnécessaires pour éviter une aggravation de la crise climatique. Si le tribunal suit ses recommandations, il n’y aura pas d’injonction à mettre un terme aux manquements de l’État.
Après l’intervention de la magistrate, Maître Arié Alimi, avocat d’Oxfam, s’est avancé à la barre. Il a égrené les innombrables risques que fait peser le changement climatique sur les citoyens du monde et de France. « Je sais tout cela et pourtant… je rejette votre demande : c’est ce que nous a dit l’État en février 2019 », a-t-il dit, avant de demander au tribunal de « rappeler l’État français à ses obligations » en le contraignant à agir, « pour que l’État se sente, à l’avenir, investi de cette mission de protection des citoyens. L’Affaire du siècle doit devenir une affaire de tous les jours ».
Me Emmanuel Daoud, avocat de Notre affaire à tous, a contesté l’avis de la rapporteuse publique de ne pas reconnaître l’intérêt à agir de l’association. « La valeur n’attend pas le nombre des années », a-t-il cité, avant de faire le bilan des actions qu’elle a mené depuis cinq ans, lesquelles « démontrent une action de protection du climat très cohérente ».
L’avocat a aussi regretté que l’État ait versé un certain nombre de mémoires après clôture de l’instruction, dont le projet de loi Climat dans les tuyaux. « Je me dois de rectifier le tir : si c’est comme cela que l’État nous signifie qu’il agit, sachez que cette loi n’est autre qu’un détricotage des mesures de la Convention citoyenne pour le climat. Il faut que les pouvoirs publics comprennent que les promesses, c’est terminé. Nous devons protéger notre droit, et celui de nos enfants, à la vie et à la santé. »
« Affirmer aujourd’hui que les objectifs climatiques ne seront pas tenus sur la seule base du dépassement du premier budget carbone relève moins du procès juridique que du procès d’intention », a répondu l’avocate du ministère de la Transition écologique. Pour elle, « les trajectoires ambitieuses ont un effet d’appel pour tous les acteurs » et, « pour que les actions soient enclenchées, il faut une mobilisation des autres acteurs publics ».
« L’État ne devrait donc pas être puni pour ne pas avoir respecté des trajectoires indicatives », a poursuivi l’avocate. Elle a estimé que sinon, « tous les États sans aucune exception doivent être condamnés par tous les tribunaux ». Enfin, elle a tenu à « contester vigoureusement l’accusation d’inaction de l’État ». « Je ne crois pas que l’État ait repoussé éternellement le temps de l’action », a-t-elle dit, en citant notamment le projet de loi Climat.
Le tribunal administratif, qui suit généralement les conclusions du rapporteur public, devrait rendre son jugement dans deux semaines. Si l’une des parties fait appel du jugement, l’affaire sera portée devant la Cour administrative d’appel de Paris.