AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Blog de mediapart
Les bonnes raisons de critiquer la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement ne manquant pas, on pourrait aisément faire l’économie des mauvaises. Son discrédit est cependant si profond que tout ce qu’il entreprend semble devoir être frappé par le désaveu. Ainsi de la consultation d’une trentaine de Français afin d’assurer un suivi de la campagne de vaccination contre le Covid-19, dont la désapprobation a été si vaste qu’elle a semblé unanime, depuis tous les bords politiques.
Il faut dire que, non content de donner le sentiment que, pour lui, gouverner se résume à communiquer, l’exécutif communique fantastiquement mal. L’impression a été qu’il « consultait » ces Français pour leur faire prendre des décisions à sa place, et non simplement pour les entendre, tâcher de comprendre quelles pouvaient être les résistances à la campagne de vaccination et assurer un « suivi » de celle-ci.
Néanmoins, cette condamnation générale expédie un peu vite à la fois la question des dispositifs de consultation citoyenne et celle des rapports entre citoyens, science et décision politique. Toutes deux s’inscrivent pourtant au cœur d’une crise vaste, profonde et protéiforme qu’on ne prétendra qu’effleurer ici et laisser à des analyses bien mieux étayées, mais qui désigne un débat dont il semble urgent de poser les termes : pourquoi la parole scientifique souffre-t-elle d’un tel discrédit ?
Vaccination : faut-il excommunier les « anti » ?
Dans un premier temps, le choix du tirage au sort a suscité beaucoup de sarcasmes ou d’imprécations consistant à fustiger l’incompétence de cet échantillon aléatoire pour traiter de problèmes aussi graves qu’une épidémie au détriment des scientifiques. On ne s’étendra pas sur le sort expéditif réservé à la méthode du tirage au sort, qui est pourtant discutée depuis longtemps en sciences politiques comme une alternative aux procédures démocratiques traditionnelles et mérite donc mieux que cette disqualification.
Dans un second temps, l’option d’une composition de panel assurant la représentation de « pro », d’« anti » et d’indécis a pareillement fait polémique – au-delà des critiques légitimes sur ce revirement. Cela a été jugé pire : on allait donc solliciter des « antivax » obscurantistes, ce qui revenait à leur donner une importance exorbitante, voire à laisser leur irrationalité influencer les politiques publiques. En somme, il ne faudrait pas les écouter. Cette position laisse tout de même perplexe, alors que leur réticence ou leur opposition est précisément une donnée cruciale de la lutte contre l’épidémie, et que leur proportion dans la population nationale est considérable.
Autant l’argument « On ne vaccine pas plus vite afin de ne pas effaroucher les réfractaires » est du même acabit que « Les masques sont inutiles parce que vous ne saurez pas les porter correctement », autant le souci d’écouter ces réfractaires n’a rien d’indigne. Les exclure a priori de toute consultation, comme s’ils étaient de facto bannis de la communauté nationale, exprime une erreur stratégique, mais aussi une curieuse conception de la démocratie. On devrait pourtant savoir que qualifier les gens de crétins ne les dissuade pas de l’être.
Par ailleurs, des procédés comme les sondages d’opinion (dont les biais, les limites et l’instrumentalisation sont très bien documentés) sont quotidiennement employés sans être remis en cause. Dans ce cas, demander à des personnes de se prononcer sur des problématiques complexes sans se soucier de leur formation ni de leur niveau d’information ne pose pas problème à grand monde. Pourtant, « l’opinion » des Français n’a cessé d’être sollicitée à propos de la pandémie et de sa gestion par le gouvernement…
Convention citoyenne sur le climat : citoyens et importuns
Des critiques analogues avaient été émises à propos de la Convention citoyenne sur le climat, mais elles avaient été beaucoup moins largement partagées. Cette « assemblée citoyenne », dispositif de plus d’envergure, avait moins le caractère d’un gadget et – aussi trompeuses furent les déclarations d’intention, comme la suite allait le montrer – on pouvait cautionner sa vocation à remédier à l’inertie des pouvoirs publics. Pour autant, sa légitimité avait été remise en cause autour d’arguments analogues : comment des citoyens lambda pourraient se prévaloir d’une meilleure compréhension des enjeux que des spécialistes de ces questions et, au-delà, préconiser des politiques publiques globales ?
La réalité de la Convention est plus nuancée : les 150 Français sélectionnés ont consulté 140 experts et ont été épaulés par un « groupe d’appui » de quatorze autres. Il y a donc eu une collaboration avec des spécialistes et une intégration des connaissances scientifiques dans la réflexion collective [1]. La démarche peut être considérée comme vertueuse dans sa manière d’associer citoyens et experts, de prendre en compte les aspirations des premiers, de leur accorder un pouvoir de proposition et de stimulation des politiques publiques. Elle n’en constitue pas moins une transgression dangereuse aux yeux de ceux qui estiment que le monopole de l’expertise et de la décision ne devrait pas échapper aux experts et aux décisionnaires.
Une telle conception avait été illustrée par le sarcasme d’Emmanuel Macron pour justifier l’adoption du réseau 5G sans autre forme de procès : s’y opposer reviendrait à souscrire au « modèle amish » au détriment de celui des « Lumières ». La formule, d’une technolâtrie particulièrement inopportune, liquidait à la fois le débat et les opposants, renvoyés parmi les obscurantistes. Ces derniers s’avèrent fort utiles, finalement, en tant qu’épouvantails ou repoussoirs : qui voudrait leur être assimilé ? Il est significatif qu’en l’espèce, la décision a été prise avant que les études scientifiques ne permettent de l’informer suffisamment… La science du président de la République est infuse.
Cette mise à distance est troublante tant elle avoue que les citoyens, après avoir accordé un mandat électif, doivent être écartés de la réflexion et des décisions sous peine de les perturber. En revenant sur ses promesses d’appliquer « sans filtre » les propositions de la Convention citoyenne sur le climat, le président de la République s’est reconverti à cette politique-là. En annonçant un référendum sur l’inscription de la défense du climat et la préservation de l’environnement dans la Constitution, il a ramené la consultation à un dispositif abstrait et plébiscitaire [2].
La « gouvernance » contre l’intérêt commun
Il est donc plus prudent, pour les gouvernants, de s’en tenir à l’idée que seuls des experts détenteurs d’un authentique savoir sont habilités à éclairer leurs décisions, fût-ce sans transparence, et qu’ils doivent éviter de subir l’ingérence des sphères militantes et associatives ou celle des aspirations citoyennes. Dans cette optique, les sondages, les conventions ou les « Grenelle » sont surtout des manières de les tenir à distance et d’éluder, de circonscrire ou de neutraliser les débats – manières qui vont de pair avec l’impuissance critique des grands médias d’information, désarmés, malléables et/ou complaisants.
On ne peut évidemment pas s’étonner de ce type de simulations démocratiques, surtout dans une Ve République qui a assimilé à sa manière les principes de la « gouvernance » néolibérale – un État résiduel et une démocratie diminuée. Cette gouvernance « véhicule un idéal platonicien d’ordre et de supervision, assuré par une classe privilégiée de technocrates qui place son expertise et son expérience au-dessus des revendications profanes des simples citoyens », résume Olivier Boiral.
Contrairement à l’intérêt commun, les intérêts particuliers restent constamment au plus près des pouvoirs publics – via le lobbying ou la simple consanguinité entre le monde politique et les milieux d’affaires. Dans le domaine du climat comme dans bien d’autres, force est de constater que les conseillers ont bien mal conseillé les gouvernements, et que leurs conseils ont plus accéléré que conjuré la catastrophe. Les citoyens lambda auraient probablement été de meilleur conseil.
Peut-être les gouvernements n’ont-ils pas assez écouté les scientifiques auxquels la suite a donné raison, ou trop écouté les scientifiques pas nécessairement climatosceptiques, mais liés aux industriels ayant beaucoup à perdre d’une réelle transition énergétique. Les arbitrages ont été favorables à ces derniers, en tout cas. Loin d’obéir à une noble objectivité et à la seule Raison scientifique (fétichisée au point d’être crue exempte de toute autre détermination), les experts livrent souvent les pouvoirs à des influences et des contingences d’autant plus puissantes qu’elles sont intériorisées ou occultées. L’idéologie, c’est toujours les autres.
Covid-19, une brutale leçon de modestie
La crise sanitaire a justement révélé l’ampleur de la crise de la parole scientifique et montré que le discrédit de l’expertise savante était en partie de sa propre responsabilité. Dès le début de l’épidémie, des scientifiques – parmi lesquels beaucoup de médecins – se sont considérablement fourvoyés. Pour la plupart, ils étaient pourtant dotés de toute la légitimité académique requise, exerçant des responsabilités importantes, bénéficiant d’une visibilité médiatique significative. D’erreurs d’appréciation en prophéties ridiculisées ultérieurement, ils ont contribué à la confusion et, au-delà, renforcé les défiances. Certains se sont même enfoncés dans des impasses sectaires ou ont encouragé les positions les plus irrationnelles.
L’épisode rappelle que si l’épidémiologie, la virologie ou l’infectiologie mobilisent beaucoup de savoirs, elles naviguent au milieu d’un océan d’incertitudes et d’inconnues. Dans une situation dominée par la part de ce qu’on ignore encore, il est normal que des savants se soient trompés. Cette brutale leçon de modestie, bonne à prendre, n’a évidemment pas contribué à renforcer la confiance dans la communauté scientifique – le gouvernement ayant par ailleurs associé le Conseil scientifique à ses propres atermoiements.
Étonnamment, la période que nous vivons est moins celle d’un questionnement des errements des scientifiques, ou simplement de leurs limites et surtout de la crise de leur crédit, que d’une excommunication des ignorants. Les résistances à la vaccination illustrent cette tendance avec une acuité particulière. Qu’elles soient désolantes ne fait aucun doute. Que leurs causes ne soient pas examinées sérieusement, qu’elles soient le plus souvent rejetées dans l’indignité, comme si elles étaient inexplicables (ou alors explicables de manière expéditive et peu charitable), semble ressortir d’une stratégie d’évitement : le défaut de confiance dans la parole scientifique et dans ses relais (médias traditionnels, institutions) ne pourrait leur être imputé.
Il est facile de réduire la prolifération des fausses informations, des thèses complotistes et des croyances ésotériques à l’imbécillité de ceux qui les émettent ou y sont sensibles. C’est une manière de souhaiter la disparition du problème sans rien faire pour y parvenir et, surtout, sans s’interroger sur les causes élargies de ces phénomènes entièrement imputés, selon une modalité essentialiste, à ceux qui en sont en définitive les victimes. L’époque incite pourtant à considérer des responsabilités de la part de la classe politique, des médias d’information, mais aussi des milieux scientifiques ou qui se considèrent comme tels.
Experts et politiques : une dévaluation commune
La défiance envers l’expertise considérée comme légitime – qui englobe la sphère scientifique, mais va au-delà – se nourrit pour une part du sentiment qu’elle ne se met pas toujours spontanément au service du bien commun. Des scandales sanitaires et des combats aux côtés des industriels ont inévitablement conduit à contester son impartialité. Il y a une science qui ne dit pas la vérité, ou pas toute, ou qui l’interprète à mauvais escient pour produire un « consensus » trompeur.
Il se pourrait même que plusieurs « vérités » scientifiquement défendables soient en concurrence sur certains terrains, qu’il y ait un débat et des alternatives, finalement… Ou en tout cas que, si la plupart des constats peuvent être objectivés (ce qui ne garantit pas qu’ils soient exempts de biais et de lacunes), les recommandations pour les politiques publiques relèvent largement de partis pris idéologiques, sont le produit de rapports de force voire l’expression d’une hégémonie. C’est a minima vrai pour la « science » économique qui nous gouverne et prétend justement qu’il n’y a « pas d’alternative ».
Dans le domaine du nucléaire, terrain historique de vives controverses, on a pu constater l’intérêt de rendre plus indépendantes les agences d’expertise et de régulation, de préserver l’autonomie critique d’une partie des chercheurs et de ménager des pôles de contre-expertise. Les controverses ne sont pas évanouies, mais elles peuvent se déployer dans un contexte plus sain et plus équilibré – non sans rester menacées de reprises en main ou de censures.
Le paradoxe est que, si les experts conservent leur emprise sur la sphère politique, ils perdent progressivement leur autorité dans l’espace public. Un grand nombre de facteurs explique le phénomène, mais on est tenté de lier la dévaluation des politiques et celle des experts, exilés ensemble dans un univers séparé. Malgré les efforts de communication, les messages ne passent plus : toujours, les gouvernements expliquent le rejet de leurs politiques par un défaut de « pédagogie ». Si elles sont mal comprises, c’est parce que les élèves sont à la peine – la faute au niveau-qui-baisse, aux réseaux sociaux, aux fake news ou aux jeux vidéo, on ne sait plus très bien.
Panique morale et replis sectaires
Le brouillage est général, bien en deçà de ses formes extrêmes et de la dynamique délétère des réseaux sociaux : il trouve un terreau dans les partis pris idéologiques unilatéraux de nombreux médias d’information, dans leur absence d’indépendance, dans la transformation de l’action politique en stratégies de communication (c’est-à-dire en formes sophistiquées de mensonge), dans la banalisation de la proximité entre représentants publics et intérêts privés, etc.
Tout concourt à une fragmentation de l’espace public en isolats irréductibles qui ne dialoguent plus, ne se confrontent même plus. À chacun sa vérité, aucun arbitrage n’est plus possible. Ainsi, dans un contexte de défiance diffuse envers tous les pouvoirs, où les anciens monopoles de la parole légitime sont contestés ou démantelés (dont ceux des médias d’information traditionnels), les consensus sont de plus en difficiles à établir, y compris pour produire simplement la base commune sur laquelle un débat quelconque peut s’établir.
Chez ceux qui se sentent dépossédés de ce monopole, il y va d’une défense spontanée de leurs intérêts, mais aussi d’un peu de panique morale qui les empêche de comprendre les mécanismes ayant conduit à cette situation, et qui les pousse à renoncer encore plus à l’exercice de l’argumentation publique. D’autant qu’ils ne sont pas toujours enclins à prendre conscience leurs propres tropismes. Eux aussi se replient dans leur citadelle, leur propre « bulle de filtre ».
Dans leur majorité, les scientifiques et assimilés sont soucieux du doute méthodique, conscients des enjeux épistémologiques, avertis des déterminismes qui agissent sur leurs disciplines. Ils sont fondés à éprouver de la colère, de l’incompréhension et du désarroi face aux formes contemporaines d’obscurantisme. Une partie d’entre eux [3] a toutefois développé une forme de sectarisme qui résulte de divers facteurs : un sentiment d’omniscience et de supériorité hérité de leur formation ; l’inconscience de leurs intérêts objectifs (professionnels notamment) à défendre une position ; la contestation de leur autorité (à tort ou à raison) elle-même.
Les objets scientifiques sont des objets politiques
Les limites de cette conception défensive de la science se manifestent dans le déni du social et du politique. Ils semblent ignorer que l’élaboration des « vérités » scientifiques n’est pas le pur produit d’une Raison souveraine et indépendante, mais aussi celui de rapports de force et de déterminations extérieures au champ scientifique : financement des recherches, choix politiques, intérêts économiques, rapports de force sociaux, dynamique de leur discipline ou de leur spécialité, etc. Ignorer les conditions sociales de leur production est embarrassant pour des scientifiques – le mépris culturel envers les sciences sociales les prive hélas de très bons outils. De même, ils tendent à occulter l’histoire des sciences, qui est aussi celle d’erreurs et de révisions de jugement, comme si l’état actuel des connaissances était définitif.
Cette posture néo-positiviste les pousse également à ignorer ou faire mine d’ignorer que les controverses majeures qui portent aujourd’hui sur les pollutions chimiques, les choix énergétiques, le modèle agricole, les perturbateurs endocriniens, la bioéthique, etc., sont certes de nature scientifique, mais qu’elles doivent impérativement être examinées par l’ensemble des citoyens tant elles sont aussi de nature sociale et politique et impliquent des choix qui engagent la collectivité entière.
Un long historique de scandales sanitaires et environnementaux atteste que des scientifiques peuvent adopter des points de vue répréhensibles ou, à tout le moins, défendre les intérêts des industriels impliqués contre l’intérêt collectif. Dans toutes ces affaires, il aura fallu que des luttes longues et difficiles imposent aux contre-vérités et aux dissimulations officielles les fruits d’une « expertise citoyenne » (notion qui fait hurler, bien entendu) alliant le recours, l’acquisition et le développement de compétences réellement scientifiques – finalement légitimées.
Au pôle le plus extrême de cet intégrisme se trouve la mouvance pseudo-rationalistequi se caractérise par sa haine pathologique de l’écologie et par ses affinités avec le monde industriel, mais aussi avec le libéralisme économique quand ce n’est pas avec les libertariens ou l’extrême droite. Son entreprise de falsification des connaissances et d’intoxication des débats se reconnaît à sa défense aveugle de la sound scienceinstrumentalisée par les industriels, à sa participation à la « fabrique du doute », et à ses procédés rhétoriques détestables [4]. Parmi ceux-ci, celui consistant à caricaturer toute adversité en la réduisant à sa fraction la plus ridicule, aussi infime soit-elle, aussi désavouée soit-elle par ceux-là mêmes auxquels il s’agit de les assimiler [5].
Culture scientifique et contre-pouvoirs
Les scientifiques ne doivent pas, en se barricadant dans leur pré carré, renoncer à vulgariser, à traduire dans l’espace public les problématiques, à éclairer du mieux possible les citoyens afin qu’ils se forgent une opinion et soient en mesure de décider par les voies démocratiques théoriquement prévues. Que la tâche soit difficile ne la rend que plus impérieuse [6].
Restaurer les conditions d’un débat équilibré et informé sur les grandes problématiques scientifiques actuelles est un enjeu démocratique cardinal. Pour y parvenir, il faut probablement mobiliser l’école et réhabiliter l’éducation populaire. Développer une culture scientifique devrait autant consister à inculquer des connaissances qu’à transmettre cette culture scientifique, c’est-à-dire un bagage méthodologique et une pratique du doute méthodique, mais aussi des démarches réflexives sur les moyens, les fins, les déterminants du travail scientifique.
Il est pareillement indispensable, au-delà de la difficile préservation de l’indépendance de la recherche, de constituer des contre-pouvoirs – scientifiques, associatifs, médiatiques, publics – à la puissance de feu financière et idéologique des grands groupes d’intérêts. Les médias eux-mêmes doivent apprendre à rééquilibrer les rapports de force en contrecarrant les influences qui s’exercent sur eux, c’est-à-dire en commençant par les connaître et les documenter, et en se réarmant par le développement de compétences spécifiques.
Dans cette perspective, les imprécations contre l’imbécillité contemporaine, aussi alarmante soit-elle (ou justement parce qu’elle est alarmante), ne sont d’aucune utilité, sinon pour exacerber la polarisation, les crispations et, finalement, la confiscation de l’expertise et des décisions. Pour rallumer les Lumières, il faudra consentir plus d’efforts.
[1] Sur les problèmes méthodologiques posés par ce type de convention, lire l’analyse critique de Jacques Testart.
[2] Il ne peut ignorer que la vertueuse introduction, par son prédécesseur Jacques Chirac en 2005, du principe de précaution dans le texte fondamental de la République n’avait pas assuré son application.
[3] Il faudrait, à ce sujet, se pencher sur l’arrogance particulière de cette partie des « assimilés scientifiques » dominésdans le champ scientifique (comprenant les ingénieurs, les techniciens voire les médecins), dont les certitudes sont inversement proportionnelles à leurs aptitudes au doute méthodique et au débat contradictoire, rétréci à des arguments d’autorité, de la condescendance, des collages d’étiquettes ou des anathèmes.
[4] On recommande, à ce sujet, la lecture de Les Gardiens de la raison. Enquête sur la désinformation scientifique, de Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens, La Découverte 2020.
[5] Les sectateurs ont besoin d’adversaires discrédités par avance, ce qui leur épargne de confronter leurs propres discours à des faits ou des argumentations rationnelles. L’extrême polarisation des débats qu’encouragent les réseaux sociaux, mais aussi une partie des médias, y contribue fortement.
[6] Une « maison de la science et des médias » – sur le modèle du « Science Media Centre » britannique – ne peut pas être la réponse à ce besoin de vulgarisation : elle a toutes chances de n’être qu’une forme avancée des technologies d’influence de l’opinion, qui conduirait à une confiscation du débat encore plus pernicieuse.