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SOURCE : NPA (Philippe Poutou)
Rivages/Noir, 320 pages, 20,50 euros.
Professeur de lettres désormais à la retraite, Hervé Le Corre écrit des livres depuis des années. Solidaire, il avait rédigé une nouvelle pour le livre Ford Blanquefort – Même pas mort (2018, Libertalia) édité en soutien à la lutte contre la fermeture de l’usine (laquelle depuis a fermé).
Tout est vraiment noir
La spécialité d’Hervé, c’est le roman noir. Son précédent, paru il y a deux ans, Dans l’ombre du brasier, situait l’histoire au moment de la Commune de Paris, en mai 1871, avec un policier à la recherche d’un meurtrier en série, au moment terrible où les communards se défendent désespérément contre l’armée versaillaise du bientôt massacreur Thiers.
C’est en janvier qu’est paru Traverser la nuit, son dernier livre. Un roman qui se déroule cette fois à Bordeaux, dans les temps actuels, toutefois avant la crise sanitaire, les confinements et les masques.
Louise, une jeune femme, qui vit seule avec son gamin, travaille comme aide à domicile, confrontée quotidiennement à la solitude et à la maladie des personnes âgées. Mais surtout elle vit sous la menace psychologique et physique, permanente, de son ancien compagnon qui la frappe et la terrorise. Entre peur et honte, elle ne sait pas comment s’en sortir. Elle n’est pas complètement seule, elle a une amie, Naïma, qui la soutient mais cela ne suffit pas à éloigner le danger. Dans le même temps, un homme solitaire, Christian, ancien militaire, inquiétant, qui semble bien abîmé psychologiquement, agresse et tue des femmes. Alors la police mène l’enquête et c’est Jourdan, un commissaire qui paraît lui aussi un peu seul, qui n’a pas non plus le moral, fragilisé, écœuré ou plutôt désespéré. Noir c’est noir, l’auteur ne triche pas, tout est vraiment noir.
Une noirceur qui nous secoue et nous bouleverse
Nous voilà donc entrainés dans une violence omniprésente, avec des personnages et des vies en souffrance, une humanité finalement bien abimée. Et tout cela dans un monde globalement brutal. Car l’auteur fait régulièrement allusion aux problèmes de la société : violences policières, luttes sociales comme dans la santé ou avec le mouvement des Gilets jaunes, l’actualité internationale avec les guerres ou les régimes dictatoriaux…
Bon d’accord, c’est une lecture qui pourrait ne pas donner ou redonner le moral. Mais paradoxalement peut-être, cette noirceur qui nous secoue et nous bouleverse, provoque aussi comme un effet secondaire, un refus et une révolte contre un monde misérable. Nous nous attachons à Louise bien sûr, au policier aussi qui galère sévère, on voudrait qu’elle ou il ne se résigne pas, qu’elle ou il résiste, qu’elle et il s’entraident, se battent ensemble. Car l’issue ne peut se trouver que dans la lutte pour la survie, pour la vie, pas seul contre tous mais dans la solidarité.
Ce n’est peut-être pas la morale de l’histoire (si elle en a une) mais ce livre est finalement bien taillé pour nos longues soirées d’hiver sous couvre-feu. Histoire de ne pas sombrer et de relativiser en nous sortant de devant la télé avec ses chaînes d’info-intox en continu.