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SOURCE : Acrimed
Le 30 janvier 2021, la médiatrice des antennes de Radio France, Emmanuelle Daviet, reçoit Matthieu Mondoloni, directeur adjoint de la rédaction de Franceinfo et Delphine Gotchaux cheffe du service « police-justice » de la même chaîne pour « éclairer » les auditeurs sur le traitement médiatique par la radio publique de l’affaire Yuriy, et plus généralement des « faits divers ».
Dans un article critiquant les pratiques et les mythes journalistiques à l’origine de ce que nous appelons le « journalisme de préfecture », nous mettions en évidence « la proximité et la dépendance des journalistes vis-à-vis de leurs sources policières. »
Rien de tel que de voir des critiques corroborées par les journalistes eux-mêmes, en particulier si ces derniers sont haut placés dans les hiérarchies éditoriales ! C’est là le principal intérêt de l’entretien accordé par les « duettistes » de Franceinfo à la médiatrice de Radio France. À la question « comment votre service travaille sur un tel fait divers et plus largement sur les faits divers », la responsable du service « police-justice » démarre :
Delphine Gotchaux : En général, on a toujours un peu le même procédé. Évidemment, on voit le fait divers apparaître. On cherche à vérifier ce qui s’est passé avec nos sources. À voir au-delà de ce qu’on peut lire sur les réseaux sociaux et évidemment, [avoir] notre propre information vérifiée, authentifiée, certifiée avec nos différentes sources […] pour essayer d’approcher au plus près de ce que l’on sait à un instant T de l’enquête.
À ce stade en apparence, pas grand-chose de répréhensible d’un point de vue déontologique. L’affaire se corse au moment où l’on apprend quelles sont les « sources » en question, en apparence diversifiées, jugées « sérieuses », a priori dignes de confiance, et permettant de dépasser « ce qu’on peut lire sur les réseaux sociaux » :
Delphine Gotchaux : Ça peut être des sources institutionnelles comme le Parquet, en l’occurrence le Parquet de Paris, qui est habilité à communiquer certains éléments de l’enquête tout en protégeant bien sûr le secret des investigations. Et puis, il y a également des sources policières : la préfecture de police de Paris, par exemple, puisque ça s’est passé dans le 15ème arrondissement. Ça peut être des sources policières, syndicales. Mais dans ce cas-là, on conforte ces informations également avec d’autres sources plus institutionnelles. Et puis, ça peut être le maire du 15e arrondissement qui a été invité sur notre antenne, et qui vient donner des éléments que nous n’avions peut être pas jusque-là et que nous allons ensuite corroborer avec le procureur ou la préfecture de police de Paris.
Et voilà. Le « tour est joué ». Le huis-clos institutionnel a « parlé ». L’information peut être diffusée.
Cette croyance « aveugle » dans la fiabilité des sources institutionnelles n’est certes pas nouvelle. On se souvient que Noam Chomsky et Edward Hermann la pointaient déjà dans leur ouvrage La fabrication du consentement : « Les sources proches du gouvernement et des milieux d’affaires ont le grand avantage d’être reconnues et crédibles sur la base de leur seul statut de prestige. » [1] Mythe et pratiques également relevés par les sociologues Jérôme Berthaut, Éric Darras et Sylvain Laurens à la suite de leurs entretiens avec des « fait-diversiers » de la PQR [2] : « Sauf à ce que la police soit elle-même mise en cause, l’objectivité relève exclusivement de la reprise des « faits », c’est-à-dire des informations officielles, comptes rendus d’interventions policières ou décisions de justice. Il ne vient pas à l’idée d’un journaliste d’aller solliciter auprès du contrevenant sa version des faits. […] Mis à part les avocats – pour lesquels les journalistes s’efforcent d’opposer parties civiles et défense – les sources policières et judiciaires (parquet) ne sont pas perçues par les faits-diversiers comme des “parties” défendant un point de vue. »
Un légitimisme qui fait des dégâts. En particulier dans les affaires de violences policières. Que de telles pratiques soient verbalisées dans une émission « d’auto-critique » sans la moindre retenue, et sans imaginer qu’elles puissent poser un problème déontologique en dit long de la chefferie éditoriale de Franceinfo. Aussi bien sur le niveau d’intériorisation et de banalisation de ces pratiques, que sur l’incapacité à les interroger et à s’en départir, malgré les nombreux « couacs » constatés.
Ainsi de l’arrestation imaginaire de Xavier Dupont de Ligonnès à Glasgow en octobre 2019, que la radio publique relaiera (et feuilletonnera !) sans autres précautions que les « vérifications » opérées auprès de sources… policières.
Un épisode révélateur s’il en est, qui n’aura pas plus que les précédents encouragé les journalistes à remettre en cause leurs pratiques professionnelles. Car cette dépendance aux sources institutionnelles va généralement de pair avec les contraintes de l’instantanéité et la volonté de publier le plus vite possible, quitte à corriger (enquêter) plus tard. Un principe que confirme une nouvelle fois la cheffe du service « police-justice » de Franceinfo :
Delphine Gotchaux : Quand on a, à un instant T, une photographie qui nous semble juste, qui est confortée par plusieurs sources [institutionnelles], à ce moment-là, on peut donner cette information sur tous nos réseaux, à la radio, sur notre site Internet.
Au moment de justifier le fait qu’il ne s’était pas trompé en certifiant que Jean-Paul Delevoye n’allait pas démissionner (ce qu’il fit quelques heures plus tard), Christophe Barbier le disait encore mieux : « Je vous l’ai dit à 6h50 [et] il a démissionné à midi. La vérité de 6h50 n’est pas celle de midi ».
À ce compte-là… Mais reste à savoir si c’est du journalisme !
Denis Perais et Pauline Perrenot
[1] Version rééditée par Agone, 2008, p.55.
[2] Berthaut Jérôme, Darras Éric, Laurens Sylvain, « Pourquoi les faits-divers stigmatisent-ils ? L’hypothèse de la discrimination indirecte », Réseaux, 2009/5 (n° 157-158), p. 89-124. L’article dans son intégralité est consultable sur Cairn.