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SOURCE : NPA
Le président turc Erdogan veut en finir avec le PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan), c’est ce qu’il martèle à longueur de discours.
L’opération lancée, entre le 10 et le 13 février, dans la région du Kurdistan d’Irak contrôlée par le Parti des travailleurs du Kurdistan, visait officiellement à libérer les prisonniers turcs retenus par le HPG, la branche armée du PKK. Officiellement car le déploiement de cette énorme opération, appuyée par des dizaines de F-16, des drones et une flotte d’hélicoptères de combat, qui ont pilonné la région de Garê pendant quatre jours, visait probablement à capturer, ou plus probablement à éliminer physiquement la direction militaire du PKK, et en particulier Murat Karayilan, la bête noire du président turc.
Mensonges et répression
Dans cette région escarpée, truffée de grottes, et malgré les énormes moyens déployés, le fiasco a été total. Les renseignements sur la base desquels l’opération a été lancée étaient apparemment faux, les troupes turques n’ont pas trouvé de dirigeant militaire et se sont heurtées à une résistance farouche de la part des guérillas présentes dans le camp. Mais au passage, ils ont apparemment asphyxié les prisonniers retenus dans une grotte et 15 membres des guérillas qui les protégeaient ont été tués dans l’assaut. Erdogan a immédiatement accusé le PKK d’avoir « liquidé » les prisonniers, hypothèse peu crédible puisque le PKK n’a jamais exécuté des prisonniers et est signataire de la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre depuis 1995.
Les prisonniers morts, tous membres de la police, soldats et agents du MIT (les services secrets turcs) ayant été emportés et enterrés immédiatement par les forces turques, une enquête internationale sur les véritables causes de leur mort semble peu probable. Car qui l’appuierait ? Sûrement pas la Turquie bien sûr, mais pas plus le gouvernement du Kurdistan d’Irak, qui a toléré cette invasion.
Le président turc a donc eu les mains libres pour accuser le PKK et en profite pour arrêter par centaines (718 depuis le 12 février) les militantEs et les éluEs du HDP en Turquie, sous prétexte de « complicité ». Le 14 février, le ministre de l’Intérieur turc appelait à « découper Murat Karayilan en mille morceaux » sur Twitter, propos surprenants de la part d’un ministre d’un pays prétendument démocratique.
Dans le même temps les procès s’enchaînent en Turquie, un cas emblématique étant celui d’Eren Keskin, une défenseure des droits humains très connue, avocate et vice-présidente de l’Association des droits humains en Turquie (IHD). Elle a déjà été arrêtée, poursuivie et emprisonnée à de nombreuses reprises, et vient d’être condamnée à six ans et trois mois de prison, avec bien d’autres procès en cours et condamnations à venir, le total des peines qu’elle encourt s’élevant à 26 ans de prison.
« Cela a déjà été fait à Paris »
Mais la cerise sur le gâteau en matière de crimes commis par un État-voyou a été offerte dans une émission diffusée en direct sur la chaîne de télévision CNN Türk le 16 février 2021, quand Ismail Hakkı Pekin, ancien chef du département des renseignements généraux de l’armée turque, a désigné comme cibles les représentants du KCK (Union des communautés kurdes), déclarant qu’ils devaient être visés en Irak, en Syrie et en Europe. « Ils ont aussi leurs éléments en Europe, a-t-il dit. Nous devons faire quelque chose dans ce sens en Europe. Cela a déjà été fait à Paris… »
Cette phrase incroyablement provocatrice fait tout simplement référence à l’assassinat en plein Paris des trois militantes kurdes Rojbin, Leyla et Sakine, et constitue un aveu arrogant de l’implication directe de l’État turc dans ces meurtres.
L’agence de presse kurde Firat News (ANF) s’est entretenue avec Erich Schmidt-Eenboom, spécialiste des services de renseignement allemands, concernant les déclarations de Pekin qui contiennent une reconnaissance de la responsabilité de la Turquie dans l’assassinat en janvier 2013 des trois militantes kurdes.
Décrivant le meurtre des trois militantes kurdes comme du « terrorisme d’État », l’expert des services de renseignement allemands a dit : « Si la France ne veut pas laisser le terrorisme d’État de la Turquie impuni, elle pourrait faire quelque chose après les paroles de Pekin. »
Et c’est bien là le cœur du problème. Le gouvernement français et Emmanuel Macron veulent-ils se confronter à Erdogan et à l’État turc ? Pour le moment la réponse est non, de toute évidence. Mais cette lâcheté risque d’être difficile à assumer à long terme.